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Frédéric Billet, ambassadeur de France en Pologne : bilan 2022 et perspectives

Son Excellence l'ambassadeur Frédéric BilletSon Excellence l'ambassadeur Frédéric Billet
Son Excellence l'ambassadeur Frédéric Billet
Écrit par Bénédicte Mezeix-Rytwiński
Publié le 2 avril 2023, mis à jour le 3 octobre 2024

Frédéric Billet est Ministre plénipotentiaire, il a été en poste à Moscou, à Vienne (OSCE) et Ambassadeur à Tallinn en Estonie. Il est titulaire d’un Doctorat d’études slaves de 3e cycle de l’Université de Paris Sorbonne. Il est Ambassadeur en Pologne depuis le 18 octobre 2019.

 

Lepetitjournal.com/Varsovie : Quel bilan faites-vous dans l'ensemble de l'année 2022, grandement marquée par les conséquences de l’invasion de l’Ukraine par la Russie ? Une cellule de crise avait été mise en place aux premières heures de l’attaque de l’Ukraine, qu’en est-il aujourd’hui, plus d’un an après ?

Son Excellence Frédéric Billet : Nous avons vécu une année 2022 particulière, historique à bien des égards, surtout pour notre région du monde. Ces 12 derniers mois ont bien entendu été marqués par l’agression russe contre l’Ukraine et le retour de la guerre en Europe. La guerre a bouleversé, pour longtemps, je crois, les rapports en Europe et au-delà. Elle a des conséquences terribles, en premier lieu sur le plan humanitaire, pour les populations ukrainiennes. L’agression russe a aussi accentué la crise énergétique qui couvait depuis fin 2021 et la pénurie alimentaire globale.

Mais, 2022 a aussi été une année de réaffirmation de l’Europe, qui a su répondre à ces défis. Ensemble, nous avons su en effet adopter une réponse ferme face à l’agression, et nous avons fait preuve d’une grande solidarité. Cette année a plus que jamais mis en évidence le besoin d’une Europe forte, unie et souveraine, dans tous les domaines. Et c’est ce à quoi nous avons travaillé pendant la présidence française du Conseil de l’Union européenne, au premier trimestre 2022. Cette Présidence Française de l'Union Europenne (PFUE) a permis d’avancer sur de nombreux sujets, avec l’adoption d’une boussole stratégique dans le domaine de la sécurité, ou encore l’agenda de Versailles, qui jette les bases du renforcement de nos capacités de défense, la sortie de notre dépendance aux importations de gaz, de charbon et de pétrole russes, et la construction d’une économie plus compétitive.

La Pologne et les Polonais, dans ce contexte, ont été à l’avant-poste et ont fait preuve d’une solidarité admirable, envers l’Ukraine et envers les réfugiés, ce que je tiens à saluer. Ce fut une année importante aussi pour le renforcement de nos relations, dans ce contexte particulier – j’y reviendrai.

Nous avons donc vécu une année de rupture, mais aussi une année de solidarité et de réaffirmation.

Pour l’Ambassade, cela a été un grand moment de mobilisation pour pouvoir accueillir et aider nos ressortissants d’Ukraine, et participer à la réponse française en appui à l’Ukraine. L’une de ces actions fut en effet l’activation d’une cellule de crise pour répondre à l’urgence et à l’intensité des besoins dans les premières semaines du conflit. Nous avons participé très activement aux opérations de rapatriement de nos compatriotes d’Ukraine. Aujourd’hui, la situation est différente, même si nous continuons à aider ponctuellement nos compatriotes venant d’Ukraine.

L’ambassade de France reste vigilante. La Pologne est et demeure un pays sûr, mais, je peux vous assurer qu’en 2023, la sécurité des Français demeure pour nous une priorité.

 

Quelles sont les grandes lignes qui se dessinent pour l’Ambassade de France à Varsovie en 2023 ?

Toute l’équipe de France en Pologne – c’est-à-dire l’Ambassade à Varsovie, mais aussi le Consulat général à Varsovie, l’Institut Français et toutes nos antennes – est prête pour une année dense, sur la lancée de l’année précédente. En premier lieu au service du renforcement de la relation franco-polonaise et de la défense de nos intérêts conjoints, mais aussi en appui à l’Ukraine et pour une Europe forte, unie et souveraine.

Au service des Français, de la culture et de l’économie françaises également. Le service économique régional et Business France sont mobilisés pour renforcer la coopération économique bilatérale. Cela inclut le développement de la coordination bilatérale sur les politiques économiques européennes, par l’organisation d’échanges entre ministres ou administrations avec dès février, par exemple, des échanges sur les politiques industrielles européennes.

Cela inclut également l’accompagnement des entreprises françaises sur le marché polonais, avec dès le mois de février un pavillon Business France sur l’exposition Rebuild Ukraine organisée à Varsovie.

Nous allons également densifier notre coopération en matière de sécurité et de militaire avec la Pologne.

Je tiens à souligner la présence d’un contingent français en Pologne (plusieurs centaines de personnes qui vont former 600 soldats ukrainiens par mois). Nous participons également avec nos alliés au renforcement du flanc oriental en Pologne par exemple dans le cadre de la Police du ciel.

Nous nous préparons aussi à une année 2023 riche sur le plan de l’activité culturelle, avec le vingt-cinquième anniversaire du prix Goncourt des étudiants polonais francophones, en octobre à Cracovie. Le festival du film français diffusera à Varsovie et dans les grandes villes polonaises les derniers films français, en juin. Les liens étroits entre artistes polonais et français seront soulignés au travers de plusieurs expositions, notamment celle consacrée à la sculptrice française Camille Claudel, en avril à Varsovie. Les scènes polonaises ont programmé un nombre exceptionnel de danseurs, chanteurs et musiciens français. De même, le programme Eco-Miasto, qui promeut l'idée d'un développement urbain durable, et les rencontres que nous organiserons entre collectivités territoriales françaises et polonaises placeront au cœur de leurs travaux la question de la ville durable et de la solidarité.

Depuis, nous continuons d’améliorer les services offerts à nos compatriotes. À la fin de l’année dernière, nous avons ainsi organisé le déploiement de France Consulaire, qui permet aux usagers d'obtenir sans délai une information et une assistance téléphonique pour initier leurs démarches administratives.

Croyez donc bien que toutes les équipes sont mobilisées pour cette année qui s’annonce d’ores et déjà bien dense.

 

Parlons de votre parcours. Votre carrière de diplomate vous a emmené de Moscou à Tallin, en passant par Vienne. Vous êtes en poste à Varsovie depuis le 18 octobre 2019, comment est né cet attrait pour la culture slave, que vous avez par ailleurs étudiée ?

J’ai entrepris initialement des études de langues slaves, un peu par hasard et le hasard fait souvent bien les choses.

J’ai eu la chance de pouvoir faire mes études universitaires à la Sorbonne où j’ai obtenu un doctorat d’études slaves. Je me suis intéressé à la Russie d’une part et aux pays d’Europe centrale d’autre part.

À la Sorbonne, j’avais comme professeurs Michel Heller (historien, spécialiste de l’Union soviétique) et l’écrivain Andrej Siniavski. Je suivais également les séminaires d’Hélène Carrère d’Encausse à Sciences Po. Je dois dire que je suis extrêmement reconnaissant à mes mentors, d’autant plus que j’ai terminé ma formation universitaire un moment où l’Union soviétique disparaissait et l’Europe de l’Est se libérait du communisme.

Au cours de cette formation académique, j’ai eu la chance de pouvoir vivre l’Histoire en direct à un moment crucial de l’histoire du continent européen avec la chute du mur de Berlin, la fin du rideau de fer et le retour de pays comme la Pologne, la Hongrie, la Tchécoslovaquie dans le giron européen. C’est à cette période également que j’ai commencé une carrière de diplomate au Quai d’Orsay, où, comme jeune rédacteur, j’étais affecté à la Direction de l’Europe Centrale et Orientale et j’étais en charge de la Pologne.

Je dois dire aujourd’hui que cette double expérience professionnelle et académique m’est extrêmement précieuse pour assurer ma mission ici en Pologne. Car elle m’a donné de très solides repères pour mieux comprendre ces bouleversements et la situation actuelle.

 

Quel est votre lien plus précisément avec la Pologne ? 

Avec la Pologne, c’est aussi une histoire un peu particulière.

J’ai entendu parler, quand j’étais enfant, de la Pologne ou, plus exactement, des Polonais, par mon père qui était résistant dans le Vercors. Il avait comme frères d’armes de jeunes Polonais avec lesquels il a combattu contre les Allemands. Il m’a toujours parlé de leur extrême courage et de leur vaillance au combat et cela m’a profondément marqué.

Ensuite, comme adolescent, au début des années 80, j’ai été très impressionné par le mouvement Solidarité et les « événements de Gdansk » comme on disait à l’époque. Ensuite, dans le cadre de mes études universitaires, j’ai appris la langue polonaise et je me suis familiarisé avec cette culture et ce pays. La Pologne est un pays qui compte en Europe par son histoire, par sa population et par sa capacité à jouer un rôle important dans cette partie de l’Europe au regard notamment de la guerre en Ukraine. Par ailleurs, la relation franco-polonaise est une relation chargée d’histoire et il convient à être à la hauteur de cette histoire et de ses enjeux là, dans une configuration actuelle..

 

Après les échanges parfois houleux qui ont ponctué la relation entre le président français Emmanuel Macron et le Premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki (vous ayant même valu une convocation), diriez-vous que les relations entre les deux pays sont aujourd’hui plus apaisées ?

La Pologne est un partenaire clé pour la France. Les relations franco-polonaises se trouvent actuellement dans une très bonne dynamique. Notre coopération se renforce à tous les niveaux.

Au plan politique, les échanges ont été denses, avec dans les derniers mois la venue en Pologne des présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, Mme Braun-Pivet et M. Larcher, de la Ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Mme Colonna, du Ministre de la Défense, M. Lecornu, de la Secrétaire d’État en charge de l’Europe, Mme Boone, du Ministre délégué chargé du Commerce extérieur, de l'Attractivité et des Français de l’étranger, M. Becht. Dans l’autre sens, le Premier ministre Mateusz Morawiecki s’est rendu à Paris pour rencontrer le Président Macron, suivi par le ministre polonais des Affaires étrangères, M. Rau, en novembre dernier. Les contacts ministériels et parlementaires sont très réguliers.

La guerre en Ukraine nous a également conduits à travailler davantage ensemble : que ce soit dans la perspective de la reconstruction ou de la coopération sur le plan militaire. Notamment, nous avons signé en décembre dernier un contrat pour la fourniture de deux satellites Pléiades Néo d’Airbus Defence and Space.

Au plan économique, les derniers forums qui se sont tenus ont montré l’intérêt mutuel des entreprises françaises et polonaises, et l’offre d’EDF est en lice pour la construction d’une centrale nucléaire en Pologne.

Je dirais donc que plus qu’« apaisées » comme vous dites, nos relations sont en plein renforcement et sont très prometteuses.

 

Qu’en est-il du triangle de Weimar depuis le déclenchement de la guerre ? 

Dans le contexte de l’agression russe en Ukraine et des défis pour l’Europe, le triangle de Weimar représente en effet un format important de concertation, d’échange et d’impulsion. Nous avons eu quelques rencontres dans ce format l’année dernière. Celles-ci ont été l’occasion d’échanger sur la réponse européenne à la guerre en Ukraine et à la crise énergétique, mais aussi sur l'avenir de l'Europe, notamment la communauté politique européenne, les réformes institutionnelles et la gouvernance économique, industrielle et commerciale. Une rencontre au niveau du Président et du Chancelier s’est tenue en février en marge de la Conférence sur la sécurité à Munich. Le Président de la République a également convié à Paris le chancelier allemand et le président polonais, pour un somment en juin à Paris qui sera précédé par des rencontres ministérielles préparatoires.

 

Quant aux relations économiques entre la France et la Pologne, quel est le bilan du service économique de l’ambassade ?

Permettez-moi de préciser d’abord un point d’organisation interne, l’ambassade dispose en réalité de deux services traitant de dossiers économiques.

D’une part le Service Economique Régional qui a compétence sur les pays baltes et du groupe de Visegrad, en charge des questions régaliennes : cela inclut la réalisation d’études et veilles sur les situations et politiques publiques en Europe centrale et balte, à destination des ministères français ou des milieux d’affaires ; cela inclut aussi la préparation de rencontres entre représentants de nos gouvernements et, plus globalement, des échanges institutionnels.

D’autre part le bureau Business France de Varsovie, qui a compétence sur la Zone Europe Centrale et Orientale. Business France est un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), en charge du développement international des entreprises françaises et de leurs exportations, ainsi que de la prospection et de l’accueil des investissements internationaux en France. Business France accompagne les entreprises individuellement dans leurs démarches export en Pologne ou au travers d’une programmation d'événements collectifs.

S’agissant des relations économiques entre nos deux pays, 2022 a constitué un nouveau record en termes d’échanges de marchandises, du fait du dynamisme des importations de produits polonais en France (15,8 milliards d’euros), mais aussi des exportations de produits français en Pologne (13,8 milliards d’euros). Le solde en notre défaveur reste relativement stable.

La France est un des principaux investisseurs étrangers en Pologne, en termes de stocks d’investissements, mais également d’activité et d’emplois créés.

Les données pour 2022 ne sont pas encore disponibles, mais il convient de noter qu’en 2021 l’investissement français en Pologne a fortement rebondi avec un flux positif de 2,8 Mds euros, après la crise de la Covid-19 l’année précédente. En 2021, La France s’est classée au 4e rang des principaux investisseurs directs étrangers. Cette même année, il y avait 1 251 entreprises contrôlées en partie par des entités françaises, avec des actifs estimés à 5,8 Mds euros, ce qui représentait 12 % du total des actifs étrangers.

De manière générale, les PME et ETI françaises (Entreprises de Taille Intermédaire), depuis la période de la pandémie, ont retrouvé le chemin des marchés européens comme celui de la Pologne, qui se classe dans le top 10 de leurs destinations à l’export selon le dernier Bilan Export paru en novembre dernier.

 

Selon un rapport du cabinet de conseil en gestion EY Poland, publié fin octobre 2022, la transformation du secteur énergétique polonais, y compris les mesures visant à soutenir le secteur minier en difficulté, pourrait coûter jusqu’à 135 milliards d’euros d’ici à 2030…

La transition écologique et énergétique est effectivement au cœur de l’agenda des pays de l’UE pour atteindre la neutralité carbone à horizon 2050, et la Pologne dispose d’un mix énergétique reposant massivement sur des ressources minières. À ce titre, la sortie de l’exploitation minière est un enjeu de taille pour le pays, et la Pologne s’est engagée dans cette voie, en diversifiant les sources de production d’énergie.

La transition passe par la production d’une énergie décarbonée, l’année 2022 a confirmé la convergence de vue entre nos deux pays sur l’importance de « Reprendre en main notre destin énergétique » pour reprendre la formule du président de la République. Nous avons en commun d’ambitieux programmes nucléaires et je demeure persuadé de l’intérêt réciproque que nous avons à travailler ensemble dans ce domaine.

C’est également le cas pour les énergies renouvelables, dont l’éolien en mer qui doit connaître d’importants développements en France comme en Pologne dans les prochaines années et pour lequel nous soutenons les contacts entre parties prenantes des deux pays.

La question de la transition écologique, et plus précisément de la transition énergétique, est déjà au cœur des relations économiques entre nos deux pays. Les échanges de véhicules et des éléments qui les composent représentent une partie importante de notre commerce bilatéral et la transition vers la mobilité électrique est illustrée par la forte croissance des exportations de batteries de la Pologne vers la France au cours des dernières années.

Plus globalement, la ville durable fait l’objet d’échanges réguliers dans le cadre d’Eco-Miasto grâce à l’UNEP Grid Varsovie et aux partenaires du projet : Renault, Nhood, Eiffage Immobilier, SUEZ Consulting – SAFEGE et Crédit Agricole. Le fait que l’association France Ville Durable ait fait de la Pologne sa première destination pour une visite à l’étranger dans un cadre bilatéral marque également la force de l’intérêt que se portent nos deux pays dans ce domaine.

 

Abordons le sujet des services consulaires. Il subsiste une forme de floue dans l’esprit de nombreux ressortissants autour des services de l’ambassade et du consulat - en témoignent les nombreux messages de demandes d’aide ou de plaintes publiés sur des groupes francophones sur les réseaux sociaux, pointant particulièrement l'accueil tant téléphonique que sur place (messages publiés au printemps 2022, notamment)... Un audit a-t-il été réalisé depuis ? 

Tout d’abord, je voudrais partager avec vous le bilan de notre action consulaire en 2022.

  • Les équipes du consulat à Varsovie et du consulat général à Cracovie ont délivré l’année dernière plus de 1860 titres d’identité et de voyage, ce qui correspond à presque 55 % de hausse de délivrance, comparé à 2019, année pré-pandémie.
  • Plus de 150 certificats de capacité à mariage, ainsi que plus de 50 actes d’état civil ont été dressés. 7 tournées consulaires ont été réalisées l’année dernière dans 7 villes de circonscription.
  • 6 agences consulaires, consules et consuls honoraires, répartis sur toute la circonscription, travaillent au profit des compatriotes en Pologne. En outre, nous avons aidé 700 personnes en difficulté.

En ce qui concerne les habitudes des usagers, elles ont changé à travers des années. Le premier réflexe aujourd’hui, surtout pour la jeune génération, est d’interroger les réseaux sociaux dans le but d’obtenir une information ou une confirmation plutôt que de consulter les sites institutionnels.

Nous sommes très soucieux de la qualité des services rendus aux usagers et sommes très attentifs aux recommandations qui nous parviennent. C’est pourquoi nous avons, comme nous le faisons régulièrement, vérifié et actualisé les informations disponibles sur notre site internet. Par ailleurs, les usagers peuvent désormais nous faire part de leur satisfaction et critiques à travers une application dédiée [Cette enquête se télécharge via un QR code affiché à côté des guichets au consulat].

 

Soyez assurés que nos équipes consulaires sont pleinement mobilisées au service des Français. Je saisis l’occasion pour rappeler les trois sources d’information à privilégier fiables et à jour :

 

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