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Achille, Eustache, Cubitus et les autres

Il y a bien longtemps que la communauté médicale a uniformisé sa terminologie pour que bobos et maladies puissent être entendus de tous, qu’on soit à Paris ou à Rome… L’occasion de faciliter l’apprentissage réciproque de nos deux langues, mais qui fait tomber en désuétude une pile d’histoires à raconter.

homme de vitruve leonard de vincihomme de vitruve leonard de vinci
Écrit par Françoise Danflous
Publié le 27 novembre 2024, mis à jour le 28 novembre 2024

Il y a bien longtemps que la communauté médicale a uniformisé sa terminologie pour que bobos et maladies puissent être entendus de tous, de Gibraltar aux fjords nordiques. Cette liste désormais bien installée en médecine n’a pourtant pas vraiment pris auprès du grand public. En fait, c’est surtout que personne n’a jamais officiellement prévenu madame, monsieur Tout-Le-Monde. Nous sommes donc arrivés des années après l’apparition de la nouvelle nomenclature, nous plaignant toujours de notre rotule douloureuse alors que de rotule, rotula, qu’on soit à Paris, qu’on soit à Rome, horreur, nous n’en avons plus. C’est maintenant sur une universelle « patella » qu’il convient de larmoyer si l’on veut être compris et que notre langage ne nous ringardise pas davantage auprès des jeunes et impitoyables générations.

L’ennui, c’est l’hécatombe qui s’ensuit. Eh oui, le remplacement a aboli les drôles de personnages qui surgissaient ça et là de nos planches anatomiques. Où est-il notre tendon d’Achille, tendine d’Achille ? Ce ligament de derrière le pied dont le nom seul nous faisait changer de monde, avec des dieux, des vrais et des demis, des enchantements et des mauvaises fortunes. Achille, dont le prof de science se devait bien d’annoncer les péripéties. Puis d’ajouter que le tendon d’Achille, ce n’est pas le talon d’Achille, tallone d’Achille, l’un étant une partie du corps, l’autre l’expression d’une faiblesse. Puis, peut-être, d’évoquer Achille Talon, illustre personnage de bd, devenu Walter Melon en Italie (bon, ça rime), jeu de mots sur Walter-water sachant que water melon veut dire pastèque en anglais… allez savoir pourquoi l’anglais et pourquoi la pastèque. Houlà, revenons vite à nos moutons.

De toute façon, c’est dit, c’était mieux avant parce qu’il y avait des piles d’histoires à raconter et qu’on en changeait à la vitesse de la lumière. Achille tombé, la nouvelle nomenclature a choisi un morne « tendon calcanéen », tendine calcaneale, qui n’évoque rien au quidam d’où qu’il soit. Et la pomme d’Adam, pomo d’Adamo ? Le fruit biblique interdit, coincé en travers de la gorge, et le pommier et le serpent, on y croit, on n’y croit pas, ça donnait tout de même fière allure à notre cou ! Platitude infinie, le voici troqué contre une « proéminence laryngée », prominenza laringea, qui suggère une métamorphose en cours quelque peu diabolique.

Et la trompe d’Eustache, tuba di Eustachio ? Transformée en « trompe auditive », tuba auditiva. Eustache, dont on se souvenait bien parce que c’était un nom rare et rigolo : éclipsé. Éclipsé itou l’hommage que les Italiens rendaient ainsi à leur Bartolomeo Eustachi national dit Eustachio (1510-1574), anatomiste et grand explorateur de notre oreille interne. Misère et décadence. Perdant ses gens, ses images et leurs vivifiantes digressions, les heures de classe où l’on apprend l’anatomie viennent de pâlir d’une saudade sans nom !

L'Italie en avance

Dans cette affaire, l’Italie a, disons-le, une certaine avance. Alors que nous sommes en passe de renoncer à nos « amygdales » historiques au profit d’obscures « tonsilles », les Italiens peuvent se réjouir d’avoir déjà une tonsilla (amigdala étant fort peu utilisé) dans leur vocabulaire. Aux oubliettes aussi notre patapouf « gros orteil », définitivement converti en « hallux » latino-aseptisé, entrevu parfois, c’est vrai, dans l’expression « hallux valgus » pour une vilaine pathologie. Les Italiens disent alluce ; comme on voit, la différence ne se mesure qu’en quelques lettres. Une question : pourquoi cet hallux d’hurluberlu alors que les quatre orteils qui le suivent reçoivent comme des noms de légionnaires romains en formation rangée, secondus, tertius, quartius, quintus ? Et que là, facétieux comme dans une aventure d’Astérix, ils seront très facilement appris.

Un tour par l’étymologie...

Un tour par l’étymologie pourrait illustrer l’hallux d’une image d’Épinal afin que nous puissions pareillement l’apprivoiser. Il semblerait qu’il ait une racine commune avec deux mots grecs, l’un signifiant « sel », l’autre « saumure », préparation servant à conserver le poisson, mariner les olives, fermenter les fromages. Des odeurs, de fortes à très fortes, planeraient-elles donc à l’origine de notre bon et vieux « gros orteil » ? Et là, petits rires de classe étouffés et grand moyen mnémotechnique pour retenir l’étrange vocable. Nous avions « omoplate », maintenant « scapula ». Chez les Italiens scapola (avec un o) et omoplata coexistaient, le problème ne se pose alors que dans le bon choix. Voyons pour une fois la chose du côté positif, l’occasion de faciliter l’apprentissage réciproque de nos deux langues, le passage amygdale-tonsilla et compagnie n’ayant jamais coulé de source.

Le médecin a délaissé le cubitus au profit d’une ulna tombée du ciel. Les dictionnaires suivent en douceur, faisant précéder cubitus de « anciennement » ou « désuet ». Une politesse de dictionnaire de pousser délicatement vers la sortie. Bref, ulna, c’est cubitus et cubitus, c’est obsolète. Tout clin d’œil au cubito italien devenu gomito, « coude », par corruption populaire se fait par conséquent oiseux. Sans compter ce petit drame qui se joue dans le rayon bandes dessinées où un gros chien anthropomorphe prénommé Cubitus (devenu Teodoro en italien) et grand collectionneur d’os attend son sort : bientôt, c’est sans appel, son nom ne voudra plus rien dire. Voilà qui est triste car un chien avec le nom d’un os, ça compte, comme un boulanger qui s’appellerait Pétrin, un prisonnier Reclus.

Un nom reflétant le caractère ou la profession de celui qui le porte est une curiosité linguistique appelée aptonyme et il y en a tellement dans l’annuaire qu’on peut jouer des nuits entières à en dénicher, des jours à les inventer. Houlà, re-stop ! Oui mais c’est que la nouvelle terminologie anatomique a un effet domino, et de grisaille, sur toute la langue. Alors on fait quoi… Achille, Adam, Eustache ! On résiste ?… Cubitus !!!

 

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