Passionné de nautisme, avec six traversées de l’Atlantique dont une en solitaire à son actif, et ancien fonctionnaire de la Direction Générale de l’Aviation Civile en France, Hugues Le Cardinal a choisi Milan pour concrétiser son rêve de créer son entreprise. Aujourd’hui, VELICA fête ses 10 ans. Entretien sur son parcours d’entrepreneur, de la France à l’Italie.
Lepetitjournal/Milan : Ancien ingénieur sous contrat devenu fonctionnaire, vous aviez une carrière toute tracée dans la fonction publique. Pour autant, vous avez fait le choix de la quitter pour créer votre entreprise, il y a 10 ans. Quel parcours vous a amené à cette nouvelle vie milanaise et entrepreneuriale ?
Hugues Le Cardinal : Après une formation d’ingénieur en aéronautique et de pilote à l’école de l’Air de Salon de Provence, j’ai travaillé 19 ans pour la Direction Générale de l’Aviation Civile. J’ai notamment participé à la création de l’Agence Européenne pour la Sécurité Aérienne (AESA) en 2003. Ayant un bon poste dans la fonction publique, la logique de ma carrière était de poursuivre mon parcours à l’AESA. Mais le siège a été établi à Cologne, ce qui signifiait vivre à Düsseldorf pour inscrire nos trois enfants à l’école française, à une heure de route. C’était en plus bien trop loin de la mer !
Ma femme, milanaise, avait par ailleurs envie de rentrer dans sa ville natale, où elle a grandi. C’était donc le moment de quitter Paris et de lancer mon projet d’entreprise mûri pendant de longues années auparavant.
Vous aviez donc une âme d’entrepreneur. Comment saute-t-on le pas ?
VELICA est un vieux rêve. D’ailleurs lorsque je me suis marié en 1995, j’ai choisi le régime de la séparation des biens car mon objectif était déjà de créer mon entreprise.
VELICA est née en mars 2011 quelques mois avant notre installation à Milan, mais il s’agit en réalité de mon troisième projet. En 1998, j’avais déjà voulu créer une société, toutefois je n’avais pas le réseau suffisant. J’ai failli racheter une entreprise en 2014 mais cela ne s’est pas fait. VELICA correspond exactement celle que j’avais imaginé en 1998, mais entretemps, j’ai eu le temps de mûrir mon projet. J’ai beaucoup réfléchi et préparé ma création : je suis allé au salon des micro-entrepreneurs à Paris plusieurs années avant de concrétiser ce projet. J’ai aussi lu de nombreuses histoires d’entreprises et d’entrepreneurs, ce qui m’a beaucoup aidé. L’une des notions que l’on apprend, est qu’une entreprise n’est jamais ce que l’on imagine au départ. Et c’est vrai !
Lorsque j’ai créé VELICA, je travaillais dans l’aéronautique, et en tant que passionné de voile, je voulais changer de milieu professionnel. Aussi, VELICA est une société de conseil et d’expertise en aéronautique et nautisme. Pour l’aéronautique c’est le cas depuis le départ car j’avais de réelles compétences professionnelles dans le domaine avec un certain bagage. Dans le nautisme je n’ai jamais été considéré comme un réel expert. C’est dur d’être débutant à 43 ans dans un métier. Mais aujourd’hui on a des bateaux volants, donc je ne m’interdis rien !
Votre secteur d’activité est très spécialisé. Qu’est-ce que VELICA exactement ?
Notre cœur de métier est la certification des aéronefs et nous avons aussi une activité de bureau d’études. Tout engin volant doit être certifié par l’AESA pour pouvoir être commercialisé en Europe. De plus, lorsqu’un aéronef est innovant, il n’existe pas de règlement technique de certification. Il faut alors le proposer à l’AESA.
Cela nous amène à travailler sur des sujets passionnants, voire amusants : des avions hybrides, des dirigeables, des engins à décollage vertical, et tout ce qui touche à l’innovation comme une voiture volante slovaque également !
En tant que spécialistes de la propulsion électrique, on s’est par exemple aussi occupés du programme de certification d’un petit avion électrique développé par AIRBUS innovation.
Vous travaillez principalement entre la France et Milan. Au niveau légal, comment s’organise votre société ? Et comment a-t-elle évoluée en 10 ans ?
J’ai fait le choix de créer une société française, le siège social est établi à Sarzeau en Bretagne, et le bureau opérationnel se trouve à Milan, où je vis avec ma famille. Il s’agit d’une position stratégique, qui permet des échanges pratiques avec nos clients du monde entier de San Francisco à l’Afrique du Sud. En Italie, nous avons une existence légale avec un bureau de représentation. Ce statut est particulièrement intéressant car il s’agit d’un centre de coût mais pas un centre de profit. Toutes les factures sont donc émises au nom de la société française. Je bénéficie en outre d’une existence légale en Italie avec un codice fiscale et la possibilité d’avoir des salariés sous le régime italien ou français.
L’avantage par ailleurs d’avoir une société française, est de pouvoir embaucher des VIE (Volontaire International en entreprise). C’est une très belle étape pour faire grossir une société car un ingénieur en VIE coûte moins cher qu’un ingénieur en CDI. J’en ai ainsi recruté deux, dont un est passé en CDI. J’ai commencé seul il y a 10 ans, aujourd’hui nous sommes cinq.
De quelle façon le marché de l’aéronautique a-t-il été impacté avec la Covid-19 ?
C’est tout à fait paradoxal. D’un côté, les compagnies aériennes souffrent et ne volent presque pas. De l’autre, l’avion d’affaire fonctionne plutôt bien pour des raisons de sécurité sanitaire mais aussi puisqu’il compense l’absence de vols des compagnies aériennes.
En ce qui nous concerne, en travaillant sur des engins innovants, nous avons finalement beaucoup de travail. Je ne m’y attendais pas. Ce regain d’activité s’explique notamment par le plan de relance. L’Etat français finance beaucoup d’innovation, de recherche, et dans ce cadre-là, ils ont besoin de nos compétences en certification.
Vous parliez de trois projets d’entreprenariat. Quel a été le deuxième ?
Nous sommes partis en congé sabbatique en 2009, en mer et en famille, en ayant déjà prévu et établi notre plan pour s’installer en Italie. J’avais certes prévu de lancer VELICA, mais j’ai aussi fondé VELABAG, une société qui distribuait dans la Péninsule, les produits 727 Sailbags, des sacs ou encore des poufs et des lampes, fabriqués avec des voiles usagées dont certaines de bateaux de course célèbres.
C’était une belle aventure, mais ce n’était pas mon métier… Au bout de 2 ans et demi nous avons arrêté puisque l’on perdait de l’argent. Les échecs sont importants dans un parcours d’entrepreneur. Cela fait progresser. J’ai d’ailleurs aussitôt serré les boulons sur VELICA.
Vous animez par ailleurs un club de micro-entrepreneurs français à Milan. De quoi s’agit-il ?
SQUARE est un club d’entraide, fondé en 2011 par Elisabeth Giret-Bertrand (fondatrice de Kite-up) avec deux autres personnes, et que j’anime depuis 2013. Il vient répondre aux problématiques que les micro-entrepreneurs peuvent rencontrer. Car on est souvent seul lorsque l’on lance son propre projet. J’en aurais eu bien besoin à mon arrivée à Milan en 2011. Aujourd’hui nous sommes une douzaine de membres, tous des entrepreneurs aux profils très différents (créateurs, consultant financier…). L’objectif est l’entraide et la solidarité. Outre le fait d’apporter des réponses pratiques telles que trouver un informaticien qui dépanne, ou résoudre le problème d’un client qui ne paye pas, nos séances de travail s’attèlent tour à tour, au cas de l’un d’entre nous. On étudie ainsi comment optimiser sa rentabilité, comment augmenter son chiffre d’affaire, revoir sa politique de prix, sa communication, quelle entreprise créer (de droit français ou de droit italien et de quel statut). On sait que l’on peut compter sur chacun d’entre nous au point de nous aider sur la stratégie à adopter pour nos projets.
Et quels sont vos projets, à Milan ou ailleurs ?
D’abord, fêter les 10 ans de VELICA cette année en emmenant mon équipe en mer ! Il est important qu’une équipe soit soudée pour bien fonctionner. Une petite entreprise doit être en mesure d’apporter quelque chose de supplémentaire, être réactive, dynamique. C’est ce qui nous différencie des grosses sociétés. Je souhaiterais que VELICA grossisse encore un peu pour garantir une qualité de travail optimale. La stratégie est de monter à sept afin d’avoir sur chaque compétence au moins deux personnes. On ne peut survivre que si l’on fournit un excellent travail.
Et j’entends bien sûr rester à Milan. La ville a en plus le mérite d’être très attractive. Dans le cadre de formations sur la règlementation aéronautique que j’anime régulièrement, mes interlocuteurs sont ravis de venir !