Entre hypothèses d’abus de construction et de corruption, une enquête géante sur l’expansion fulgurante du secteur de l’urbanisme, implique des géants de l'immobilier et des politiciens, et fait trembler la capitale économique de l’Italie. Plus de 100 projets sont sous la loupe du parquet, dont les plus ambitieux qui ont changé le visage de Milan ces dernières années, alors que plus de 150 chantiers risquent le blocage.


Depuis mi-juillet, l’affaire du « Brique-Gate » fait les grands titres de la presse italienne. Le parquet de Milan enquête depuis plus de deux sur le « Nouveau modèle Milan », un moteur qui, en dix ans, à partir de l'Expo 2015, a levé des investissements d'environ 35 milliards d'euros, transformant rapidement la capitale économique en « ville des gratte-ciel ».
De 2015 à 2024, 17 millions de mètres cubes de nouvelles constructions résidentielles ont été construits et 29 millions de constructions non résidentielles, avec une augmentation du prix de l’immobilier de 50 %.
Ce développement fulgurant de Milan est mis en cause par des allégations d'abus de construction et de corruption impliquant des géants de l'immobilier - de grands entrepreneurs et des architectes - et des politiciens, parmi lesquels des conseillers municipaux et le maire de Milan, Giuseppe Sala.
L’élément déclencheur, un immeuble construit dans une cour
Il y a trois ans, un groupe d'habitants de la Piazza Aspromonte, à l’est de la ville, ont vu se dresser une tour de sept étages dans la cour de leur immeuble. Face à leur protestation, une enquête pour infraction au code de la construction a été ouverte. En quelques mois, l'enquête s'élargissait, l'affaire étant loin d'être isolée, et des dizaines de projets furent interrompus.
Les abus présumés
Les enquêtes portent sur des abus présumés commis ces dernières années par des membres de l'administration milanaise, notamment des constructeurs, des entrepreneurs et des urbanistes, à travers des d'appels d'offres truqués et de tarifs gonflés, mais aussi un mécanisme permettant d’autoriser et accélérer la construction de nouveaux bâtiments, parmi lesquels certains sont déjà devenus des symboles de la nouvelle Milan.
Les projets les plus ambitieux de régénération urbaine visés
Plusieurs projets sont visés, notamment la rénovation du « Pirellino » - une tour botanique - le village olympique de Scalo Romana ou encore une ancienne gare de triage.
Les premiers projets examinés n'ont pas arrêté les grues. Des habitants vivent déjà Piazzale Aspromonte, dans le « bâtiment de la cour », le premier à être examiné, tout comme la Torre Milano, un bâtiment de 80 mètres en plein centre-ville surplombant le quartier flambant neuf de Porta Nuova, qui a déjà accueilli des footballeurs et autres personnalités. Bosconavigli à San Cristoforo – une forêt résidentielle - , Park Towers dans le parc Lambro, Twin Palace à Lambrate : certains chantiers sont en cours, d'autres en cours de finition.
A moins de six mois du début des JO de Milan-Cortina, l'enquête du parquet n'a pas arrêté les grands projets mentionnés dans les documents, du village olympique au Scalo Romana, en passant par l'arène Santa Giulia ou encore le PalaItalia, en voie d'achèvement.
« Spéculation immobilière sauvage » et corruption : 74 personnes mises en examen
A ce jour, 74 personnes font l'objet d'une mise en examen. Le parquet a également requis six arrestations dans le cadre de cette affaire, qui concerne un prétendu « système spéculation immobilière sauvage » resté « intact » pendant des années.
Une audience clé est prévue le 23 juillet pour décider d'accepter ou non les mandats d'arrêt.
Le principal personnage au cœur de l’affaire est le conseiller municipal chargé de la régénération urbaine, Giancarlo Tancredi. Cinq jours après l’éclatement de l’affaire, l’homme politique a démissionné de ses fonctions ce lundi. En cause également, Manfredi Catella, PDG de Coima, leader pour l'investissement, le développement et la gestion d'actifs immobiliers pour le compte d'investisseurs institutionnels. Le dirigeant de ce groupe immobilier est accusé d’avoir joui de canaux privilégiés pour obtenir des permis de construire simplifiés et plus rapides. Le numéro un de la commission municipale du paysage (entre 2021 et fin avril 2025), Giuseppe Marinoni, est également mis en examen. Il était à la tête de la commission malgré le conflit d'intérêts lié à sa position d'architecte et à ses liens avec une série de constructeurs.
L’enquête vise également le renommé architecte-star Stefano Boeri, célèbre pour son Bosco Verticale, une forêt verticale au cœur de Milan. Il est notamment suspecté de pressions abusives contre le président de la commission du paysage. Quant au maire de maire de Milan, Giuseppe Sala, en poste depuis 2016 et soutenu par une coalition de gauche, il est sous enquête d’une part pour fausses déclarations dans la nomination du président de la Commission du paysage de la municipalité et, d'autre part, pour fausses déclarations et complicité dans l’incitation à des avantages indus dans le projet « Pirellino ».
A noter : outre la notoriété des personnalités impliquées, le battage médiatique est également lié à l'utilisation de termes forts dans les titres des journaux transalpins : « arrestations demandées », « maire mis en examen », « urbanisme sous accusation ». L’enquête sera longue, rappelons qu’être mis en examen ne signifie pas être condamné.
Plus de 150 chantiers bloqués, 4.500 ménages en suspend
L'impact direct de l’enquête touche 150 projets autorisés et 110 autres bloqués en phase de procédure.
Il ne s'agit pas seulement d'immeubles non résidentiels. Des habitations privées, achetées sur plan sont également menacées de ne jamais voir le jour. Selon Filippo Borsellino, président du Comitato Famiglie Sospese (Comité pour les familles suspendues), le blocus touche environ 4.500 ménages.
Des projets couvrant des milliers de mètres carrés, encore sur papier, qui risquent d'entraver la régénération des 182 kilomètres carrés de la capitale lombarde. Des chiffres exorbitants, qui inquiètent les professionnels de l'immobilier. Sur le plan financier, les risques de perte sont évalués à 12 milliards d’euros.
Sur le même sujet























































