Artemisia nous présente un autre classique de la littérature italienne : Le Mépris (Il disprezzo - 1954), d’Alberto Moravia. Un livre à l’époque considéré comme moderne, adapté au cinéma par Jean-Luc Godard, avec Brigitte Bardot et Michel Piccoli.
Le Mépris d'Alberto Moravia (1907-1990) a fait date non seulement parce qu'il a été adapté au cinéma par le réalisateur Jean-Luc Godard en 1963 (et c'est là plutôt une conséquence), mais surtout parce qu'il a correspondu à une certaine modernité, celle de la période ayant suivi l'engouement néo-réaliste (« le néo-réalisme (…) a lassé la plupart des gens », en ce qu'il « représente l'Italie comme un pays de loqueteux – à la plus grande joie des étrangers » !).
« Je te méprise ! »
Moravia annonce l'intrigue dès les premières lignes de son roman : « L'objet de ce récit est de raconter comment, alors que je continuais à l'aimer et à ne pas la juger, Emilia au contraire découvrit ou crut découvrir certains de mes défauts, me jugea et, en conséquence, cessa de m'aimer ». D'où le cruel aveu justifiant le titre : « Je te méprise ! Voilà le sentiment que j'ai pour toi et la raison pour laquelle je ne t'aime plus... ».
Le Mépris n'est pas un grand livre du point de vue strictement littéraire. Son style est en effet simple voire simpliste, certains passages sont passablement réactionnaires et démodés (« dans son amour pour sa maison, il y avait plus que l'inclination naturelle commune à toutes les femmes, mais quelque chose de semblable à une jalouse et profonde passion, une sorte d’avidité qui dépassait sa personne et paraissait avoir une origine ancestrale ») mais il est vrai que ses personnages sont parlants. Quelque chose en eux frappe juste et touche le lecteur. Godard en a eu l'intuition, peut-être mis sur la piste par sa troublante ressemblance avec le personnage principal du livre, Riccardo Molteni : « Je me voyais comme un jeune homme dont la maigreur, la myopie, la nervosité, la pâleur, la tenue négligée, témoignaient par avance de la gloire littéraire à laquelle il était destiné ».
Riccardo Molteni aurait voulu être auteur de théâtre mais, pour rembourser l'emprunt de l'appartement qu'il a acheté pour plaire à sa jeune épouse, il accepte à contrecœur un travail de scénariste, assez bien rémunéré, il faut le dire. Finalement, en acceptant ce compromis, il perd du même coup l'amour de sa femme et une part de sa propre estime, sur un malentendu idiot (Emilia pense que Riccardo veut la pousser dans les bras du producteur du film par pur intérêt carriériste).
Voyage entre Rome et Capri
Le Mépris est le testament de ce double échec sans pour autant aboutir à une victoire sur celui-ci. Tout au plus, Moravia parvient-il à sublimer ce triste sentiment en osant un parallèle plutôt approximatif avec l'Odyssée d’Homère. Personne ne niera certes que « la grande bible des peuples méditerranéens » ne soit très schématiquement « l'histoire d'un couple », en l'occurrence celle de Pénélope et Ulysse, mais était-il vraiment nécessaire de la transposer dans un meublé romain (première moitié du roman) ou dans une maison à Capri (seconde partie), fût-elle d'architecte ? Moravia reconnaît implicitement ces limites sans cependant faire aboutir sa critique (« L’Odyssée ne serait plus la merveilleuse aventure de la découverte de la Méditerranée, en pleine enfance fantastique de l’humanité, mais le drame intérieur d'un homme moderne en proie aux contradictions d'une psychose »).
D’Emilia à Brigitte Bardot
Quant au succès du film, la ravageuse beauté de Brigitte Bardot à son zénith, tantôt brune, tantôt blonde, n'y est pas étrangère. Pour autant, on peut se demander le rapport entre la célèbre comédienne et le personnage d'Emilia ainsi décrite par Moravia dans le roman : « Elle avait un visage brun avec un nez très dessiné et de forme sévère, une bouche charnue, fraîche, rieuse avec des dents d'une blancheur lumineuse et qui paraissait toujours humide et éclatante (…). Emilia n’était pas une beauté, je l'ai déjà dit, mais elle en faisait l'effet, je ne sais pour quelle raison »). De même que le roman ne contient rien de la kitsch et provocante ouverture du film... Doit-on vraiment le déplorer ?
Godard prend d'ailleurs la précaution de changer les noms des protagonistes : Emilia et Riccardo deviennent Camille et Paul dans son film, alias Brigitte Bardot et Michel Piccoli.
Restent la beauté des paysages de Capri auxquels le roman comme le film rendent un assez bel hommage, seul véritable point de connexion avec le chef d’œuvre antique (« Et c’était bien une mer comme celle-ci qu’Homère avait voulu dépeindre, un ciel et un rivage semblables avec des personnages faits à l'image de cette nature dont ils avaient l'antique simplicité, l'aimable mesure »).
Effet de mode donc... Les adaptations passent, l’Odyssée fort heureusement demeure.