« La réalité est que nous vivons en moyenne 90% de notre temps entre quatre murs ». Vincent Cocquebert revient sur la « Civilisation du Cocon », cette époque de safe spaces dans laquelle nous vivons.
La Civilisation du Cocon, c’est également le titre de son nouveau livre, paru ce jeudi 18 mars aux éditions Arkhê. Selon le journaliste, « L’obsession, propre à la modernité, d’une vie « intense », a laissé place à l’imaginaire fantasmatique d’une vie sous cocon qui imprègne tous les champs de nos existences. ». Dans cette interview, Vincent Cocquebert revient sur cette tendance à la recherche de sécurité absolue qui traverse aujourd’hui notre société.
C’est une volonté un peu fantasmatique et mortifère de nous isoler dans un espace qui est le nôtre, sécurisé, et qui serait imperméable à la violence du monde.
Qu’est-ce qui définit la « Civilisation du Cocon » ?
Quand je parle de « Civilisation du cocon », c’est pour évoquer une période historique qui prend son amorce dans les années 80 et qui s’épanouit pleinement depuis une vingtaine d’années. Il s’agit d’une société dont le moteur est moins la quête d’intensité qu’une volonté collective – souvent non dite – de repli, de recherche de confort et de sécurité. C’est une volonté un peu fantasmatique et mortifère de nous isoler dans un espace qui est le nôtre, sécurisé, et qui serait imperméable à la violence du monde. Le mythe du progrès n’est plus vraiment mis en avant : le passé était mieux, le présent sera toujours mieux que demain, car demain sera moins bien.
Le numérique a permis de rendre désirable et possible un certain isolement
Vous faites le constat d’une tendance de plus en plus forte à créer des safe spaces, ces espaces d’entre-soi rassurants. Où trouvez-vous l’origine de cette tendance ?
Au cours des Trente Glorieuses, le discours politique était conquérant. Les années 80 sont la décennie de la bascule, où deux discours cohabitent. Ce sont les années un peu néolibérales où sont mis en avant la réussite individuelle et l'extrême de masse. En même temps, une « risquophobie » émerge. La modernité devait nous émanciper des vieux cadres structurants familiaux, amoureux et professionnels, mais cela n’a pas été le cas pour tout le monde. Les premiers à s’isoler sont les victimes d’une mondialisation un peu sauvage. Le numérique a permis de rendre désirable et possible un certain isolement, caractérisé par la domiciliation des loisirs, de la consommation, de l’apprentissage, du travail.
Vous mentionnez un rôle « trop » protecteur de l’Etat, qui aurait amené à une désillusion chez les citoyens. Comment se libérer de ce rêve inatteignable du risque zéro ?
Ce n’est pas contre l’Etat-providence, mais la sécurité se fait toujours au détriment d’une certaine liberté aussi. Dans les années 1980, les populations demandaient de plus en plus de sécurité, car le monde économique et professionnel devenait plus dur et concurrentiel. Au même moment, l’Etat commençait à tenir un discours beaucoup plus centré sur l’individu. Avec la crise sanitaire, l’Etat répond à cette demande de sécurité, mais parallèlement, la défiance envers l’Etat augmente. Comme nous n’avons jamais assez de sécurité, la personne qui nous l’a promise va finir par être mise à défaut.
Il faut cependant accepter qu’au niveau individuel, le risque fait partie de la vie.
Nous canonisons le principe de précaution, jusqu’à utiliser le risque potentiel comme mesure de nos actions. Aujourd’hui, nous nous sommes appropriés ce principe institutionnel au niveau individuel, à travers nos relations sociales, amoureuses, familiales, professionnelles. Il faut cependant accepter qu’au niveau individuel, le risque fait partie de la vie. Une étude sortie récemment montre que, pour 62% des Français, nous devons tout faire pour tendre vers le risque zéro, et que, pour seulement 38%, le risque fait partie de la vie. Alors que ça paraît être une évidence. Ce désir de sécurité est profondément ancré en nous depuis le début de l’histoire humaine.
Il y avait cette idée d’une pause civilisationnelle bienvenue dans un monde où nous en avions un peu ras-le-bol de courir et batailler tout le temps.
Vous le précisez, ce livre n’est pas un livre sur le confinement, ce dernier est juste venu amplifier un phénomène de repli préexistant. Le confinement aurait-donc été le dernier stade de la civilisation du cocon ?
Je pense qu'il a été un révélateur. La France a cette image d’un pays un peu rétif, toujours en train de râler...enfermer la population s'est finalement révélé assez facile. Evidemment, la peur était un moteur, mais les études montrent que toute une partie de la population se sentait mieux. Il y avait cette idée d’une pause civilisationnelle bienvenue dans un monde où nous en avions un peu ras-le-bol de courir et batailler tout le temps. Sur le long-terme, pour certains, cela crée des difficultés à ressortir, à « renouer avec la vie d’avant », voire de la dépression. Est-ce la dernière étape ? Je ne sais pas, car cela n’a fait qu’amplifier une dynamique préexistante.
Depuis quelques mois, les voix se font de plus en plus nombreuses contre les restrictions des libertés liées à la crise sanitaire. Est-on dans une inversion de la tendance ?
Je ne pense pas. Nous sommes face à une pulsion majoritaire qui traverse la société, malgré les voix discordantes. Il y a un mois, la menace d’un reconfinement dur pesait, et une majorité de Français était pour, en premier les plus jeunes cohortes. Peut-être qu’il y avait ce fantasme d’y aller fort une fois pour toutes, pour en sortir après. Quoi qu’il en soit, ces demandes de libertés sont limitées. Les jeunes ne sont pas dans la rue.
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