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Revers pour le fisc espagnol : son formulaire 720 "contraire au droit européen"

une personne ouvre le formulaire 720 sur le site de l'administration en Espagneune personne ouvre le formulaire 720 sur le site de l'administration en Espagne
Écrit par Armelle Pape Van Dyck
Publié le 28 janvier 2022, mis à jour le 30 janvier 2022

Avis aux contribuables qui auraient été sanctionnés pour n’avoir pas ou mal informé le fisc espagnol des biens qu’ils possèdent à l’étranger. L’arrêt de la Cour de justice de l’UE ouvre la porte à un déluge de réclamations. En effet, elle estime la législation contraire au droit, avec des sanctions démesurées. Mais attention, le formulaire n’est pas annulé !


Coup dur pour le fisc espagnol. La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a déclaré contraire au droit communautaire le formulaire 720 de l'AEAT (le fisc espagnol), qui oblige les contribuables à déclarer leurs biens à l'étranger. Et elle l'a fait, en outre, avec des arguments qui critiquent sévèrement les mesures appliquées par l’Espagne, car elles constituent une restriction à la libre circulation des capitaux et imposent des sanctions "disproportionnées".

"La législation nationale qui oblige les résidents fiscaux en Espagne à déclarer leurs biens à l'étranger est contraire au droit de l'UE", indique l'arrêt de la CJUE, qui identifie trois points par lesquels cette législation "va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis par l’Espagne".


L'Espagne a manqué à ses obligations en matière de libre circulation des capitaux

En premier lieu, la CJUE considère que "l'Espagne a manqué à ses obligations en matière de libre circulation des capitaux". En effet, le fisc espagnol considère que ce qui n'est pas déclaré est considéré comme "une plus-value injustifiée, sans possibilité, dans la pratique, d'invoquer la prescription". Cela permet "à l'administration fiscale de procéder sans limitation de temps à la régularisation de l'impôt dû, ce qui porte atteinte à l'exigence fondamentale de sécurité juridique".

Le deuxième motif concerne les lourdes sanctions en cas de non-déclaration, qui peuvent atteindre 150% du montant non déclaré, plus d'autres pénalités. Selon les magistrats, "le taux très élevé de cette amende la rend extrêmement répressive et son cumul avec les amendes forfaitaires complémentaires peut aboutir dans de nombreux cas à ce que le total des sommes dues par le contribuable dépasse 100% de la valeur de ses biens ou droits à l'étranger". 

Enfin, la Cour européenne de justice se réfère également au montant des sanctions prévues en cas d’erreur, avec une pénalité de 5.000 euros pour chaque information incomplète fournie à l'administration fiscale, et de 10.000 euros pour les fausses informations (chacune d'entre elles) ; à quoi s'ajoutent 100 euros pour les retards, également pour chaque information. 

Ces amendes "sont sans commune mesure avec les amendes infligées pour le non-respect d'obligations similaires dans un contexte purement national en Espagne". Cela amène la Cour à conclure que le régime de sanctions établit "une atteinte disproportionnée à la libre circulation des capitaux". En effet, elle établit une différence de traitement entre les résidents en Espagne selon le lieu où se trouvent leurs biens ou leurs actifs. En outre, elle décourage de facto les résidents espagnols qui voudraient investir dans d'autres États membres.


Mais qu'est-ce que le formulaire fiscal 720 ?

Le formulaire 720 avait été mis en place en 2013 par Cristóbal Montoro, qui était alors le ministre des Finances sous le gouvernement du Parti Populaire de Mariano Rajoy. L’objectif était d'assurer la lutte contre la fraude et l'évasion fiscale, en obligeant tous les contribuables possédant plus de 50.000 euros d'actifs à l'étranger à faire une déclaration purement informative. 


Plus de 5.000 amendes

Environ 60.000 contribuables ont présenté ce modèle, ce qui en soi est peu, mais représente un volume de fonds déclarés supérieurs à 230  milliards d'euros. Mais surtout, ce formulaire 720 est vite devenu une source de revenus pour l'État. Selon les données de l’AEAT, plus de 5.000 amendes ont été imposées aux contribuables depuis 2013.  

Le modèle a d’ailleurs immédiatement suscité des plaintes et des poursuites judiciaires. De nombreux experts fiscaux ont en effet vivement critiqué une législation qu'ils considéraient comme abusive et que le gouvernement actuel a continué à appliquer. 


La bataille contre le formulaire 720 est gagnée

Pour l’un des représentants de l’AEDAF, l’Association espagnole des experts fiscaux à l’origine du recours, "la bataille contre le modèle 720 a été gagnée". Avec la publication de cet arrêt, "le combat initié par l'AEDAF en 2013 contre la nouvelle obligation déclarative des biens et droits situés à l'étranger a pris fin, en la déclarant contraire au droit communautaire".


Mais le formulaire 720 est toujours en vigueur

Mais attention. Le modèle 720 est toujours en vigueur. L'arrêt de la CJUE ne l'annule pas. Rappelons que tous les résidents fiscaux en Espagne, quelle que soit leur nationalité, doivent impérativement déclarer les biens qu'ils possèdent à l'étranger si la valeur ou le solde de l’ensemble de ces biens dépasse 50.000€. Le 31 mars de chaque année est le dernier jour pour envoyer à l’AEAT le fameux formulaire.

En revanche, une fois la première déclaration effectuée, il n’est plus nécessaire de la refaire chaque année. Il faudra cependant à nouveau informer le fisc lorsque la valeur des biens ou droits varie de plus de 20.000€ ou si l’on a cessé d’en être titulaire au cours de l’année précédente.

En déclarant illégales les sanctions, la Cour européenne oblige le fisc espagnol à modifier le système de sanctions, c'est-à-dire à réduire les amendes. En outre, l'arrêt ouvre la porte aux réclamations, ce qui entraînerait des millions d’euros de coûts pour l'État. Selon les calculs de l’AEAT, les amendes qui pourraient être contestées seraient celles antérieures à 2019, (à partir de cette date, aucune sanction n’a été imposée) qui s'élèvent à plus de 230 millions d'euros !