Hier avait lieu la fête du "taureau de la Vega", dans la région de Valladolid : au cours de cette célébration, un taureau est sacrifié par tous les habitants du village qui souhaitent participer. Cette fête est extrêmement critiquée par les défenseurs des animaux, pour la violence infligée à l'animal avant son exécution, dans un but uniquement "festif". Mais ce n'est pas un cas isolé : les Espagnols cultivent de nombreuses traditions ancestrales qui incluent le sacrifice d'un animal. Entre tradition et barbarie, la frontière est parfois bien fine.
La célébration du Toro de la Vega est probablement l'une des plus violentes et des plus polémiques actuellement en Espagne. Un taureau est choisi chaque année pour être lâché au mois de septembre dans la vallée, où il est poursuivi et chassé par les participants. Armés de lances et montés à cheval, ces chasseurs amateurs blessent l'animal en plantant tant bien que mal, leurs armes dans la bête, jusqu'à son exécution. Il s'agit d'une tradition datant de l'époque médiévale, du XVe siècle, plus précisément -la barbarie sur animal n'était qu'un détail alors. Dans la commune de Torsedillas, les habitants participent aujourd'hui encore fièrement à la mise à mort du taureau et sont acclamés par leur village s'ils ont la chance de porter le coup final : celui qui donne le coup fatal à la bête est acclamé comme un héros.
Tension maximale pour l'édition 2015
Ces derniers jours, de nombreuses associations comme LTNEC, au nom sans équivoque ("La Tortura No Es Cultura") se sont unies à l'appel du parti animalier PACMA afin de manifester contre la fête du taureau de la Vega d'hier. PACMA a remis au responsable socialiste de la Culture de Torsedillas une pétition de 120.000 signatures à l'encontre de cette fête. Pedro Sánchez, le Secrétaire général du PSOE, en a profité pour exprimer son mépris à l'égard de cette fête traditionnelle, en précisant que si son parti venait à gouverner, il changerait la loi "pour que le taureau de la Vega et les autres spectacles taurins à haut niveau de maltraitance animale soient interdits".
Hier les militants anti-taurins ont bloqué le passage de la célébration, mais les participants à la fête ont forcé l'accès à cheval, et le taureau a pu être lâché alors que le passage n'était pas totalement dégagé. Le ton est rapidement monté entre villageois et défenseurs des animaux, donnant lieu à des affrontements et des insultes. Les uns criaient à l'assassinat, les autres répondaient que le taureau nait pour mourir ainsi. Un jeune homme, entouré par d'autres militants, s'est même attaché avec un cadenas à un poteau et a jeté la clé pour attirer l'attention sur le danger du lâcher de taureau. La Guardia civil a dû le dégager en sciant le métal qui l'emprisonnait par le cou.
Des taureaux, mais pas seulement
L'Espagne comporte presque autant de fêtes où un animal est torturé, que de communautés autonomes. La tauromachie est une marque de fabrique de la Péninsule, une coutume ancestrale très ancrée dans certaines régions, rendant très compliqués le débat et les négociations afin de réguler ces traditions. Ainsi, on recense en Espagne de nombreuses fêtes dont les taureaux sont les victimes. Le taureau "júbilo", également appelé "taureau de feu", est très populaire à Soria dans la région de Castille et León ainsi que dans la communauté valencienne. Cette tradition du XVIe siècle veut que du métal et un produit inflammable soient installés sur les cornes de l'animal. Ainsi, le bovin a les cornes en flammes toute la soirée, lui provoquant de nombreuses brûlures. Le taureau de San Juan de Cáceres, est quant à lui lâché dans la ville pour que les habitants lui lancent une pluie de fléchettes affilées, avant qu'il ne soit abattu d'un coup de feu. A noter : la région a décrété cette fête "d'intérêt touristique". Mais il n'y a pas que les taureaux qui font l'objet de cruels divertissements. La course aux canards, qui avait pourtant été interdite plusieurs années, est de nouveau d'actualité. Cela consiste à jeter des canards à la mer, qui seront poursuivis et attrapés à la main. Les participants ne sont pas doux avec les animaux, comme le montre cette vidéo d'une course réalisée sur la Costa Brava il y a un mois, où l'on voit une femme utiliser un canard vivant comme arme pour taper un défenseur des animaux qui la filme. Mais la palme de la barbarie revient sans doute aux "corridas de gansos", jeu cruel qui consiste à arracher à main nues la tête d'une oie qui est suspendue à un fil (âmes sensibles d'abstenir). Les participants sont à cheval, et celui qui réussit à décapiter l'animal devient le héros du jour. Sans oublier les nombreuses fêtes qui peuvent paraître plus innocentes car il n'y a pas de sang apparent, mais qui en réalité "génèrent un grand stress et des contusions profondes aux animaux" selon les associations de défense.
Que dit la loi ? Que disent les Espagnols ?
La législation espagnole reste assez conservatrice sur ce sujet, et de nombreux partisans de ces fêtes violentes avancent le fait que ces traditions sont des héritages culturels qu'il faut perpétuer afin de conserver l'identité de la région. La maltraitance sur animal est interdite par la loi, à l'exception des fêtes et traditions locales. Et encore une fois, la mise en place d'une la législation se heurte à la configuration politique et institutionnelle de l'Espagne : chaque communauté autonome est libre de règlementer ses traditions comme elle le souhaite. Ainsi, la Catalogne fait exception en interdisant (depuis 2012) les corridas et autres jeux où les taureaux sont torturés. Les associations de défense des animaux sont en revanche bien présentes et bien décidées à se faire entendre. Luttant contre des traditions au poids étouffant dans leur propre pays, les activistes réalisent de nombreuses actions pour sensibiliser les politiques, les étrangers, mais aussi pour empêcher certaines fêtes, ce qui leur vaut souvent des affrontements avec les villageois et les forces de l'ordre. Car les avis sont encore très partagés au sein de la population espagnole au sujet de la tauromachie.
Premières évolutions : quelques fêtes annulées
La législation espagnole semble bien coincée entre d'un côté des partis et des associations qui luttent pour faire évoluer le cadre juridique, démontrant la violence et la cruauté de ces fêtes, et d'un autre côté des Espagnols extrêmement attachés à leurs traditions, qui n'acceptent pas de faire une croix sur leurs coutumes anciennes. Néanmoins, le regard des étrangers sur le pays n'est pas positif quant à ces actes. Qui plus est à un moment où l'Espagne souhaite redorer son image et diffuser sa culture à l'international. La pression sociale et médiatique exercée par les défenseurs des animaux et par la presse porte ses fruits, si bien que plusieurs coutumes barbares ont finalement été abandonnées, comme par exemple la chèvre de Manganeses de la Polvorosa : depuis 2000, ce village de Zamora ne jette plus de chèvre depuis le clocher de son église ! Ou du moins plus de chèvre vivante, un animal en carton est depuis fabriqué pour l'occasion.
Toujours à Zamora, la commune de Guarrate a stoppé sa fête traditionnelle au cours de laquelle les participants montés à cheval devaient décapiter avec une épée des coqs installés sur la place du village.
La communauté de Valence a quant à elle accepté d'interdire une fête ou une vachette de moins d'un an était traditionnellement lynchée en place publique jusqu'à sa mort.
Dans la province de Jaén, les habitants de Cazalilla avaient pour habitude de jeter une dinde depuis le clocher de l'église, afin de porter chance à celui qui la rattrapait -ce qui par ailleurs n'arrivait presque jamais. La région avait interdit cette tradition, mais elle a à nouveau eu lieu en février dernier.
Perrine LAFFON