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Adieu Trump, bonjour Pékin : le jambon ibérique conquiert la Chine

Fleuron de la gastronomie espagnole, le jambon ibérique met le cap sur l’empire du Milieu. Longtemps convoité par les États-Unis, où il a statut de produit de luxe, le bellota voit son avenir s’écrire en caractères chinois. La menace de barrières tarifaires sous la présidence de Donald Trump a refroidi les ardeurs des exportateurs espagnols, qui préfèrent désormais un marché en pleine explosion : +104 % de croissance en cinq ans !

porc ibériqueporc ibérique
Montanera 2025
Écrit par Paul Pierroux-Taranto
Publié le 17 février 2025, mis à jour le 18 février 2025

 

 

Le jambon ibérique a trouvé son nouvel eldorado : la Chine. Tandis que les producteurs espagnols scrutent avec méfiance les hausses de taxes outre-Atlantique, l’appétit chinois pour ce trésor de la gastronomie ne cesse de grandir. En cinq ans, les exportations de jambon ibérique y ont explosé de 104 %, dépassant les 28 millions d’euros en 2023. À côté, les progressions en France (+23,7 %), en Allemagne (+24,3 %) ou au Mexique (+25 %) feraient presque pâle figure. Mais si les marchés s’élargissent, la production, elle, doit composer avec des défis croissants sur le sol espagnol.

 

 


 

La Chine, nouvel eldorado du jambon ibérique

“En Chine, le jambon ibérique est un produit chic, très recherché par les consommateurs”, souligne Florencio Sanchidrián, ambassadeur mondial du jambon ibérique. Il en sait quelque chose : ce maître coupeur est une icône gastronomique dans le pays aux 1,41 milliard d'habitants, au point qu’une école de coupe de jambon porte son nom à Shanghai. Un art qui fascine autant que le produit lui-même.

 

 

 

 

des maîtres coupeurs de jambon ibérique
Montanera 2025.

 

 

 

Pendant ce temps, aux États-Unis, la situation est plus incertaine. Les menaces tarifaires de Donald Trump planent sur le secteur, rendant le marché américain moins prévisible. “Les États-Unis sont la première puissance mondiale et leurs taxes nous impactent tous”, reconnaît Ángel Hernández, directeur de Jamones Juan Manuel, la maison auréolée du titre de meilleur jambon ibérique d’Espagne 2024

Pour lui aussi, l’avenir se joue ailleurs : “Les Chinois sont de vrais connaisseurs. Ils aiment la charcuterie et ne nous imposent pas autant de restrictions que les Américains.” Un pari qui semble payant. Jamones Juan Manuel a encore renforcé sa position en 2024, avec une production en hausse de 4,6 % et 10.528 jambons de bellota vendus, portant son chiffre d’affaires à plus de 16 millions d’euros

L’appellation "bellota" désigne les porcs ibériques élevés en liberté et engraissés exclusivement aux glands et pâturages naturels durant la montanera, leur dernière phase d’élevage. Leur cycle commence par une première phase d’allaitement, suivie d’une croissance en plein air où ils se nourrissent de céréales et de légumineuses. Enfin, lors de la montanera (octobre-mars), ils se gavent de glands (“bellotas”) et de plantes sauvages, prenant au minimum 46 kg, ce qui confère au jambon ibérique de bellota sa texture fondante et son goût incomparable.

Mais alors que le jambon ibérique triomphe en Chine, les producteurs espagnols doivent composer avec une autre réalité : celle d’une production sous pression. Entre aléas climatiques et flambée des coûts, l’approvisionnement en porcs de bellota devient plus incertain, menaçant la pérennité de cet essor international.

 

 

 

 

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Moins de pluie, moins de glands, moins de jambon en 2025 

Dans les vastes pâturages espagnols, où les porcs ibériques se gavent de glands sous l’ombre des chênes, la saison de la montanera (la dernière phase d’élevage du porc ibérique) touche à sa fin. Si 2024 restera gravée comme une année d’exception, 2025 s’annonce plus modeste. “Il a plu au bon moment, mais moins que l’an dernier”, résume José Medrano, éleveur à la finca La Encinosa. Moins de pluie, moins de glands, et donc moins de cochons engraissés jusqu’au standard d’excellence.

Les chiffres ne trompent pas : 592.275 porcs de bellota ont été abattus en 2024, soit un léger recul de 1 % par rapport à 2023. Et si la baisse semble contenue, elle cache une tendance plus lourde. Le secteur n’a toujours pas retrouvé son niveau d’avant la pandémie : en 2021-2022, ils étaient encore 100.000 de plus à rejoindre les séchoirs à jambon.

Derrière cette évolution, deux menaces se profilent. D’abord, le dérèglement climatique, qui rend les récoltes de glands plus imprévisibles. Sans bellota en quantité suffisante, impossible d’élever des porcs ibériques de qualité. Ensuite, l’explosion des coûts, qui frappe aussi bien l’alimentation que l’entretien des élevages. Le prix du porc ibérique a atteint un record de 4 € le kilo, un sommet qui pèse sur la rentabilité des producteurs.

Alors que Trump brandit ses taxes et que la Chine déroule le tapis rouge, le jambon ibérique choisit son camp. Mais si les marchés s’ouvrent, encore faudrait-il pouvoir les approvisionner. Exporter, c’est bien, produire, c’est mieux.

 

 

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