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Une proposition de loi menace le droit de manifester au Royaume-Uni

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Ehimetalor Akhere Unuabona - Unsplash
Écrit par Stéphane Germain
Publié le 26 mars 2021, mis à jour le 9 juillet 2021

Le pays connaît une série de manifestations contre une proposition de loi visant à élargir les pouvoirs de la police. Ses opposants dénoncent une loi liberticide.

 

Le 9 mars, la loi Police, Crime, Sentencing and Courts Bill a été présentée au Parlement britannique. Cette loi survient en réponse à des difficultés rencontrées par la police lors d’interventions face au groupe de désobéissance civile Extinction Rebellion en 2019. Depuis ces incidents, le gouvernement cherche à élargir les pouvoirs de la police en matière de maintien de l’ordre et à durcir les autorisations accordées aux parties civiles.

 

Que prévoit la loi Police, Crime, Sentencing and Courts Bill ?

Les principaux changements prévus par la proposition de loi concernent essentiellement les manifestations : les chef.fes de police pourraient désormais imposer une heure de début et de fin, des limitations de bruit, et appliquer ces règles même à un groupe d’une seule personne. Aussi, la loi considérerait tel un crime le fait de ne pas respecter ces restrictions, censées être connues des organisateurs et ce, même sans en avoir été sommé par les forces de l’ordre. Jusqu’ici, la police devait être en mesure de prouver que les manifestants avaient reçu l’ordre de se disperser.

La loi entend également considérer comme une infraction les “nuisances publiques intentionnelles ou imprudentes”. En d’autres termes, la nouvelle loi permettrait d’éviter l’occupation de lieux publics ou les démonstrations à l’instar de celles d’Extinction Rebellion durant lesquelles les militants se suspendaient aux ponts, par exemple.

Une dernière mesure envisagerait de punir de 10 ans de prison la dégradation de monuments commémoratifs. A cela, les opposant.e.s à la loi rétorquent que le gouvernement “protège mieux les statues que les femmes”.

 

Pourquoi la loi fait polémique ?

La loi Police, Crime, Sentencing and Courts Bill a provoqué une vague d’indignation et de protestations dans le pays.

Ses opposant.e.s pointent à l'unisson une loi liberticide et une atteinte au droit à manifester. Dans un communiqué, Amnesty International UK prévient que la situation sanitaire ne doit pas servir de prétexte au gouvernement pour restreindre les libertés : “Des restrictions temporaires à nos libertés civiles pendant une pandémie sont une chose, mais une loi qui restreint de manière permanente le droit de manifester pacifiquement est absolument inacceptable”, a déclaré l’organisme dans un communiqué. “La loi est intrinsèquement si vaste qu’elle devient une menace pour chacun. (...) Nous ne devons pas laisser des restrictions concernant nos droits à protester devenir un symptôme persistant de ces temps difficiles” a-t-il poursuivi. Un point de vue partagé par le secrétaire à la justice David Lammy pour qui cette loi serait une mesure “pauvrement pensée” et viserait à “imposer un contrôle disproportionné à la liberté d’expression et au droit de manifester”. Dans un communiqué, l’association d’aide juridique aux femmes Rights of Women UK affirme elle aussi que cette loi conférerait des “pouvoirs d’oppressions qui empiètent sur nos droits de manifester associés à des réformes draconiennes de la justice pénale”.

Kate Allen, la directrice d’Amnesty International UK avertit, elle, que si la loi venait à passer, le pays connaîtrait sans doute “de nouveaux incidents à l’instar de celui lors de l'hommage à Sarah Everard”. En effet, au-delà de la loi en elle-même, c’est la temporalité de cette dernière qui semble avoir mis le feu aux poudres : la loi est passée en seconde lecture dans la nuit du 15 mars, soit trois jours à peine après le dispersement brutal d’un hommage à Sarah Everard, une jeune femme dont l’assassinat est présumé par un membre de la police britannique. Kate Allen avait alors réagi, assurant que “cette dangereuse surréaction policière doit sonner comme une alarme dans le pays.” Cet événement avait dès lors mis la question des violences policières au cœur de l’actualité. Le passage en seconde lecture de la proposition de loi avait été vue comme un affront par les militant.e.s.

 

Les associations féministes et anti-racistes s’insurgent

La loi Police, Crime, Sentencing and Courts Bill semblerait, en plus d’une atteinte aux libertés de manifester, une pente glissante vers des répressions sexistes et racistes de plus en plus tolérées juridiquement.

Pour l’association de militantes féministes SistersUncut, la loi permettrait de “donner plus de pouvoir à la police, ce qui fera augmenter le nombre d’arrestations, particulièrement parmi les communautés pauvres, noires, et de minorités ethniques.” Une position partagée par l'association d’aide juridique aux femmes Rights of Women UK, qui ajoute que “les violences faites aux femmes sont endémiques dans notre pays et dans notre société, et sont en outre rendues possibles par un racisme systémique.

 

 

Les protestations engendrées par cette proposition de loi reposent donc la question du racisme au sein de la police et de la société britannique. Rose Lewis, militante anti-racisme et membre de l'association de protection de femmes victimes de violences domestiques Sistah Space, a déclaré à Lepetitjournal.com que “des femmes noires comme Cherry Groce, Cynthia Jarrett et Sarah Reid sont là pour nous rappeler que les expériences passées des femmes noires avec la police (...) bénéficient d’une couverture médiatique et d’un émoi général bien moindre que celui auquel nous assistons actuellement.Sistah Space et bien d’autres associations craignent que la loi Police, Crime, Sentencing and Courts Bill ne fasse fi d’une longue histoire de violences sexistes et racistes parmi la police, et augmente les pouvoirs policiers au détriment de la protection de ces populations à risques. Pour Rights of Women UK, cette loi serait donc une “dangereuse extension des pouvoirs de la police, qui exemplifie les pas en arrière faits en matière de droits humains, et qui vient ignorer l’histoire de violences faites aux femmes par la police.”

Depuis le passage en seconde lecture de la loi, les protestations se multiplient dans le pays. Le groupe d’activistes féministes Sisters Uncut a été déposer 194 bouquets de fleurs devant le Parlement, formant les mots “Kill the Bill”, en mémoire aux 194 femmes tuées par la police et par des violences carcérales depuis 2010. Les militantes rappellent par ailleurs, dans un communiqué signé par une vingtaine d’associations dont Black Lives Matter UK, qu’“entre 2012 et 2018, 594 plaintes pour violences sexuelles ont été déposées contre des employés de la Met Police, dont seules 119 ont été traitées.

Alors que les accusations envers la police britannique se multiplient sur les réseaux sociaux, des manifestations ont rassemblé des milliers de personnes à Bristol, Brighton, Newcastle, Londres ou encore Manchester. Parfois, ces manifestations ont pu dégénérer et devenir violentes, comme à Bristol le 22 mars où plusieurs policiers ont été blessés.

 

 

Regroupés sous les hashtags #PoliceCrackdownBill et #KilltheBill, les protestations prolifèrent outre-Manche alors que l’enjeu devient intersectionnel : racisme, sexisme, violences faites aux femmes… Le Royaume-Uni continue de se révolter depuis l’assassinat de Sarah Everard.

 

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