L’affaire Sarah Everard a remis d’actualité la question de la sécurité des femmes dans l’espace public. Des lectrices de Lepetitjournal.com témoignent de leurs ressentis en France et au Royaume-Uni.
Depuis l’assassinat de Sarah Everard par un policier du nom de Wayne Couzens, le Royaume-Uni est en ébullition. La colère des femmes gronde, réveillée par ce féminicide effroyable qui remet la question de la sécurité des femmes au cœur des débats.
Depuis le 12 mars, les femmes britanniques se sont exprimées en nombre sur les réseaux sociaux sous le hashtag #IWasJustWalkingHome (“J’étais simplement en train de rentrer chez moi”). Elles sont des milliers à y témoigner de leur sentiment d’insécurité dans la rue, à confier leurs ruses préventives allant des clés fermement tenues entre les doigts jusqu’au partage de localisation à un.e ami.e prêt.e à venir porter secours.
Le constat semble sans appel : les femmes britanniques en ont assez que toutes ces mesures de protection par anticipation soient communément admises, et que leurs trajets se déroulent la peur aux tripes. L’assassinat de Sarah Everard devient peu à peu un symbole, celui du cauchemar de chaque femme marchant seule la nuit.
Loin de relever de la paranoïa collective ou du mouvement de foule, les craintes des femmes du Royaume-Uni sont justifiées : une étude YouGov réalisée par ONU Femmes révèle que 71% des femmes britanniques ont déjà subi des agressions à caractère sexuel dans un lieu public, dont la moitié de celles-ci se seraient produites dans la rue. Dans les transports en commun, ce sont 55% des femmes qui ont subi une agression sexuelle, allant de l’exhibitionnisme à l’agression physique. En France, les chiffres ne sont guère plus glorieux : une enquête IFOP pour la fondation Jean Jaurès rapporte que 86% des femmes déclarent avoir subi des agressions sexuelles, des caresses ou des attouchements dans l’espace public.
Depuis le mouvement Balance ton porc, et depuis le meurtre de Sarah Everard au Royaume-Uni, la question de la sécurité des femmes dans les espaces publics se pose concrètement. Bien souvent, la réponse choisie par les différentes autorités relève de l’aménagement de l’urbanisme : parcours éclairés la nuit, horaires aménagés, rames de wagon non-mixtes… Mais depuis peu, pour les militantes féministes des deux côtés de la Manche, ces réponses de colmatage ne peuvent plus suffire. “Comment fait-on pour que les hommes arrêtent de violer ?” entend-on en France, pendant que les anglaises supplient d’“arrêter d’accabler les femmes pour les actions des hommes” (Lucy Mountain).
Lepetitjournal.com a souhaité donné la parole aux femmes, et a recueilli les témoignages de lectrices ayant vécu en France et en Angleterre. Elles livrent ici le récit de leurs expériences en tant que femmes dans ces deux pays.
Margaux, Londres et Nantes
Bonjour, Tout d'abord, je me suis toujours sentie plus en sécurité à Londres qu'à Nantes (d'où je viens en France). L'été dernier à Londres je pouvais mettre des jupes en journée sans me faire importuner alors qu'à Nantes, impossible.
Ensuite, je ne me sens pas safe partout à Londres. J'habite à Greenwich et je peux me balader tard le soir (dans la mesure du raisonnable bien sûr) sans problème. Une de mes amies habite à Wood Green, et me balader seule dans ce quartier la nuit me parait plus qu'impossible.
Je n'ai jamais vécu à Paris donc je ne peux pas comparer avec une autre capitale. Mais en ce qui concerne Nantes, je peux clairement dire que je me sens plus en sécurité à Londres qu'à Nantes. Don't get me wrong, je ne m'amuse pas non plus à me balader la nuit seule !
Kate, Londres, Glasgow et Paris
Je me suis rarement sentie en danger dans les espaces publics du Royaume-Uni. J’ai vécu à Londres pendant 19 ans et à Glasgow pendant 6 ans, qui sont deux villes considérées comme risquées, pourtant j’avais l’habitude de rentrer à pied la nuit sans être inquiète (il est fort probable que je sois juste totalement stupide !). Bien sûr, j’évitais quand même les allées sombres et les parcs.
Le cas de Sarah Everard a été terrifiant, 90% des posts sur mes réseaux sociaux concernaient cette affaire. L’endroit où elle a été enlevée est au centre d’une zone d’environ 5 km où TOUS mes ami.e.s vivent. J’étais exactement au même endroit où elle a été enlevée une semaine plus tôt, et tous mes amis ainsi que ma soeur empruntent cette rue. Jusqu’à cet incident, nous nous accordions à considérer que cet endroit était totalement sans danger. `Quand j’étais en uniforme scolaire à Londres, je remarque cependant que j’étais harcelée beaucoup plus que maintenant. Plusieurs de mes ami.e.s ont été suivis depuis l’école jusqu’à chez eux au fil des années par des hommes étranges. Des hommes dans des camionnettes klaxonnaient sans arrêt ou nous éclaboussaient les jours de pluie. Parfois, des mecs bizarres venaient se coller à moi dans le bus. C’était particulièrement écoeurant puisqu’au Royaume-Uni, nous portons l’uniforme jusqu’à 16 ans, ce qui signifie que ces hommes savaient parfaitement que nous étions des enfants ou, en tout cas, en deçà de l’âge de consentement.
Depuis que je vis à Paris, je trouve que le harcèlement de rue est bien plus commun qu’au Royaume-Uni malgré tout. Je pense que c’est en partie parce qu’à Londres il est très rare de parler à des étrangers, où même de croiser leurs regards. Cela dit, mon français est très mauvais alors à chaque fois que des hommes me crient des choses dans la rue, je préfère me dire qu’ils m’ont dit quelque chose de gentil ! Mais je ne me sens pas particulièrement menacée par eux. Ma réelle inquiétude à Paris sont les pickpockets, qui est bien plus commun ici : on m’a volé deux fois mon téléphone et j’ai vu une femme se faire agresser l’autre jour en pleine rue (mais un homme qui travaillait sur les bâtiments s’est comporté de manière héroïque et a poursuivi l’homme en question puis l’a attrapé, chose que je n’ai jamais vu arriver au Royaume-Uni, peut-être que ça égalise le tout, finalement!). A Paris, il y a aussi toujours des bandes de mecs qui traînent à différents endroits comme à la Gare du Nord, par exemple. Il y a aussi beaucoup plus de SDF qu’à Londres. Les deux ont tout à fait le droit d’être là où ils sont, bien sûr, mais se faire héler par ces groupes de personnes reste très intimidant, même si c’est en français.
Marie, Albi, Londres
Je m’appelle Marie et vis à Londres depuis environ 3 ans. Je suis originaire du sud de la France (Albi, petite ville). Pour être honnête je me suis toujours sentie plus en confiance et en sécurité à Londres, déjà à cause du fait que les femmes, même habillées très court, sont plutôt respectées (du moins, on ne vient pas les embêter pour ça).
Je pense aussi que le fait que la ville soit sous vidéosurveillance catalyse ce sentiment de sécurité. Petite anecdote datant de 2015 (lorsque j’étais à Londres avant de rentrer en France pour mes études supérieures) : j’étais sortie dans un club, il était environ 3h et alors que je rentrais chez moi (5 minutes de marche à pied pour me rendre à l'arrêt de bus - maintenant, je prends un Uber), un homme s’est mis à me suivre, super lourd, il me demandait mon portable pour rentrer son numéro. Aucun problème jusque là, il était lourd, mais je ne me sentais pas particulièrement en danger. Après 5 bonnes minutes (je ralentissais le pas pour ne pas qu'il me suive dans le bus), j’ai souvenir de ne plus l’avoir eu dans mon champ de vision, alors je me suis retournée et j'ai vu 4 hommes le plaquer au sol. J’ai compris après quelques minutes qu’ils étaient de la “BAC” anglaise. Ils m’ont dit l’avoir reconnu via les caméras (il était connu pour racket ou vol de téléphone). Ils l’ont arrêté et ont pris mes coordonnées pour que je témoigne plus tard. Tout ça pour pointer du doigt le fait que la police a été très efficace dans son travail, ce qui n’a fait qu’augmenter ma confiance en ce système : il y a une vraie utilisation des caméras dans ce cadre de petites "agressions/délits".
Voilà, j’espère que ces quelques mots suffiront. Je travaille beaucoup et n’ai pas beaucoup de temps pour en discuter davantage mais je souhaitais quand même dire que, oui, en tant que femme, je me sens plus en sécurité à Londres qu’en France (même à Albi, qui ne compte que 60 000 habitants!)
Marie, Londres, France
J'ai vécu beaucoup de mauvaises expériences en France : j'ai été suivi par des voitures, j'ai subi du harcèlement de rue, dans les transports et beaucoup d'autres choses. C'est presque devenu quelque chose avec lequel j'ai appris à vivre et auquel je fais tout le temps attention. Une fatalité.
On m'avait dit qu'à Londres, il y avait moins de problèmes de sécurité pour les femmes. Je n'y croyais pas au début, mais cela s'est avéré vrai pour moi pour l'instant. Je rencontre beaucoup moins de problèmes dans l'espace public en me baladant à Londres qu'en France. Je me sens plus en sécurité ici. Je ne sais pas ce qui explique cette différence, cependant.
Malgré tout, cela ne signifie pas que tout est rose pour autant. Sarah Everard nous le rappelle malheureusement. L'insécurité est toujours présente et un malheur peut toujours arriver, aussi bien à Londres qu'en France. Cette affaire me rappelle que, même si la situation semble plus sûre à Londres, les femmes doivent toujours rester très prudentes. C'est une triste réalité à laquelle, je pense, nous ne pourrons jamais échapper.
Pour ne rien perdre de l’actu londonienne, abonnez-vous à notre newsletter en deux clics !