L’assassinat présumé de Sarah Everard par un policier a réveillé la colère des femmes du Royaume-Uni. Retour sur cette affaire mêlant féminicide, maintien de l’ordre et violences policières.
Les faits. Le 4 mars, la disparition de Sarah Everard est signalée par son petit-ami. 6 jours plus tard, la police britannique fait une découverte macabre dans le Kent : le corps de la jeune responsable marketing de 33 ans est retrouvé sans vie dans un bois. Le 12 mars, l’identité de la victime est confirmée et son meurtrier présumé est arrêté le même jour. L’identité du tueur glace le Royaume-Uni : il s’agit d’un policier anglais. Wayne Couzens, âgé de 48 ans, est inculpé de l’enlèvement et du meurtre de Sarah Everard dans la foulée. Son procès aura lieu en juillet de cette année.
Ce féminicide a eu l’effet d’une véritable bombe au Royaume-Uni. Lors d’un rassemblement à Clapham Common (non autorisé par les autorités), la police évacue violemment des femmes venues honorer pacifiquement la mémoire de Sarah. Pour beaucoup, c’en est trop : la colère des femmes ne se sentant pas en sécurité dans le pays éclate, et la police de Londres est conspuée par une partie de la population pour son usage disproportionné de la force lors de l’hommage de Clapham Common.
Sarah Everard, assassinée par un policier d’une unité d’élite britannique
L’affaire suscite une vive émotion à travers tout le pays. Le 3 mars, Sarah Everard quitte ses amis pour rentrer chez elle. Elle a environ 50 minutes de marche avant d’atteindre son domicile. Sur le chemin, elle raccroche d’un coup de téléphone d’une quinzaine de minutes avec son petit-ami, et ne donnera plus jamais signe de vie ensuite. La dernière trace de Sarah Everard vivante est enregistrée par une caméra de sécurité, aux alentours de 21h30.
Le tueur présumé est un dénommé Wayne Couzens. Cet homme âgé de 48 ans avait rejoint la police depuis 2018, et faisait partie depuis février 2020 d’une unité armée chargée de la protection des ambassades et des parlementaires. L’identité du tueur provoque la stupeur au Royaume-Uni, où les relations avec la police sont habituellement plus apaisées qu’en France.
La cheffe de la police de Londres, Cressida Dick, a déclaré dans une conférence donnée peu après la mort de Sarah que “La nouvelle qu’un officier de la police métropolitaine a été arrêté parce qu’il était soupçonné du meurtre de Sarah a provoqué une onde de choc et de colère dans la population et à travers nos services (...) Je parle au nom de tous mes collègues lorsque je dis que nous sommes absolument consternés par cette terrible et tragique nouvelle. Notre travail consiste à patrouiller dans les rues et à protéger les gens.”
L’enquête se poursuit
D’après nos dernières informations, l’enquête concernant Wayne Couzens serait en cours et la police anglaise examinerait le passé du policier, dont les dernières semaines semblent troublantes. En effet, Wayne Couzens serait soupçonné d’exhibition sexuelle dans un fast-food du sud de Londres. L’incident aurait eu lieu le 28 février, soit peu de temps avant le meurtre de Sarah Everard. Selon nos sources, il aurait également posé de multiples arrêts maladie ces dernières semaines, présentant par ailleurs un comportement “erratique” d’après la presse anglaise. L’IOPC (la police des polices britannique) est chargée d’enquêter sur les soupçons d’exhibition sexuelle, et s’attache à vérifier si ce dossier a été traité en bonne et due forme par les autorités compétentes.
Aussi, le mode opératoire de Wayne Couzens commence à se dessiner pour les enquêteurs.trices, qui découvrent un scénario qui ne fait que confirmer la stupeur provoquée par ce geste : le policier anglais aurait utilisé son badge pour leurrer la victime et l’attirer dans son véhicule avant de la tuer. Bien que Wayne Couzens n’était pas en service au moment du crime, il aurait donc cependant fait usage de son uniforme ainsi que de son statut de policier d’unité d’élite pour assassiner Sarah Everard.
A ce jour, Wayne Couzens n’est apparu qu’une seule fois au tribunal, en visioconférence à Old Bailey depuis la prison de Belmarsh, où il s’est contenté de confirmer son identité. Son procès est prévu en juillet.
Un hommage à Sarah Everard brutalement stoppé par la police de Londres
Le vendredi 13 mars, soit le lendemain de la confirmation du meurtre de Sarah Everard avec pour accusé Wayne Couzens, un hommage fut rendu à la jeune femme par des centaines de personnes à Clapham Commons, en dépit des restrictions sanitaires. Bien que le rassemblement ait été calme et pacifiste, il n’était cependant pas autorisé par les autorités de la ville. Alors, la Metropolitan Police (la police de Londres) est intervenue et dispersa brutalement la foule. Des photos et des vidéos montrent la police en train de maîtriser et de menotter, plaquées au sol, des manifestantes présentes au recueillement.
Ces arrestations musclées font le tour de la toile, et les forces de l’ordre britanniques rencontrent un tollé. Conspuée par une partie des citoyens, la Met Police est décriée pour son usage disproportionné de la force dans un cas de féminicide incriminant l'un des leurs. Les organisateurs.trices de l’hommage, Reclaim These Streets, répondent dans un communiqué et condamnent l’action des policiers, qui auraient “malmené physiquement des femmes lors d'une veillée contre la violence masculine”. La ministre de l'Intérieur Priti Patel ainsi que le maire de Londres, Sadiq Khan, ont tous deux exigé des explications de la part de la police sur sa gestion de l'événement.
En réponse, la cheffe de la police de Londres, Cressida Dick, affirme dans un communiqué de presse “comprendre” pourquoi “tant de citoyens tenaient à venir rendre hommage” à Sarah Everard, mais évoque une décision “diaboliquement difficile” et regrette le déroulement de la soirée. Malgré tout, elle défend la décision de ses équipes en raison des risques de transmission du virus, dans un pays traumatisé par une vague de décès colossale liée au Covid-19. "Nous avons à plusieurs reprises incité ceux qui étaient là à se conformer à la loi et à partir", poursuit-elle dans le communiqué, précisant que seule une "petite minorité de gens" auraient commencé à pousser les policiers et à leur lancer des projectiles. Des explications qui ne semblent pas convaincre ses opposants, nombreux à réclamer la démission de l’intéressée.
Face à l’intervention policière du vendredi 13 mars, le pays est divisé. Pour une majorité, l’erreur de la Met Police est manifeste en faisant usage de la force lors de l’hommage à Sarah Everard. Dans une série de lettres ouvertes publiées dans le Telegraph, Peter Amey désapprouve le comportement de la police de Londres : “La réponse de la police, qui a plaqué des femmes au sol en prenant l’avantage physiquement sur elles, était aussi déplorable que le rassemblement alors que la situation sanitaire est encore grave. La police a fait exactement ce que les femmes venaient dénoncer.” Selon lui, la réponse aurait pu être plus proportionnée, et éviter ainsi des heurts qui ont terni l’image de la police dans un moment déterminant pour la cause des femmes : “Il aurait fallu identifier les leaders et s’associer à eux pour répartir la foule et, ainsi, respecter les règles de distanciation."
Lors de ce même rassemblement, la police des polices britannique fut également saisie par une femme, Georgina, affirmant qu’elle avait été harcelée sexuellement par un homme à Clapham Commons, et que des officiers présents sur place auraient refusé de l’aider en dépit de sa sollicitation. Contacté par Lepetitjournal.com, l’IOPC (Independent Office for Police Conduct), précise ne pas être en charge de cette affaire, dans la mesure où elle ne relèverait pas de son champ de compétences. L’IOPC nous a également affirmé ne pas avoir eu à traiter de nouvelles plaintes concernant le rassemblement à Clapham, bien que la police en ait, elle, reçu d’autres : “la police a effectivement reçu d’autres plaintes, mais nous ne traitons que les plaintes que cette organisation estime recevables.”
Féminicides, sécurité dans l’espace public, violences policières… le Royaume-Uni s’embrase
Depuis l’hommage à Sarah Everard à Clapham Commons, le pays connaît une vague de manifestations et de protestations inédite dans son histoire. Ces tensions bouillonnent d’autant plus que le gouvernement veut faire passer une loi controversée, la Police, Crime, Sentencing and Court Bill, qui réduirait les droits des manifestant.e.s, et élargirait les pouvoirs des forces de l’ordre. Alors qu’une femme est abattue par un policier, et qu’un hommage en sa mémoire est brutalement interrompu par la police, cette loi ne passe pas pour celles et ceux qui, déjà, s’insurgeaient de la situation.En effet, l’affaire Sarah Everard a mis le feu au poudre dans un pays où, selon une enquête YouGov, 71 % des femmes ont déjà subi des agressions sexuelles dans un lieu public, et que, selon une enquête menée à Londres en 2020, 55 % des femmes ont été agressées sexuellement dans les transports en commun.
Dans ce climat, les associations féministes, anti-racistes et LGBTQI+ s’insurgent, voyant dans l’affaire Sarah Everard l’étincelle tant attendue dans le pays. Sisters Uncut, l’une des associations les plus investies dans le féminicide de Sarah Everard et dans la lutte contre la Police, Crime, Sentencing and Court Bill a déclaré dans un communiqué de presse : “Le comportement de la Met Police était une honte absolue. (...) Même à un rassemblement où les femmes expriment leur rage face aux violences faites aux femmes dans la société, la police est violente.” Une autre de leurs militantes, anonyme, ajoute que la police “se protège elle-même”. D’après elle, la police serait “ivre de pouvoir”. La militante rejette alors la réaction du gouvernement qui voudrait lui en procurer davantage : “Maintenant, le gouvernement vote pour leur donner plus de pouvoir. Nous refusons. Nous ne les laisserons pas nous faire taire.”
Rose Lewis, membre de Sistah Space, une association visant à aider les femmes victimes de violences domestiques et sexuelles, précise à LePetitJournal.com pourquoi le meurtre de Sarah Everard a tant remué le pays : “Le meurtre de Sarah a créé un mouvement immense au Royaume-Uni dans la mesure où il s’agit d’une attaque envers toutes les femmes, qu’importe la race, la classe sociale ou le genre. Beaucoup de femmes se sont mises à réfléchir à leur sécurité et aux dispositifs mis en place pour les protéger.”
La mort de Sarah Everard, l’évacuation par la Met Police et la loi Police, Crime, Sentencing and Courts Bill ont provoqué différents mouvements contestataires sur les réseaux sociaux et dans les rues : #ReclaimTheseStreets, #IWasJustWalkingHome, #KillTheBill… Les femmes du Royaume-Uni semblent avoir, depuis le 12 mars, brandi les torches et refusé le bâillon. “L’horreur et la rage provoqués par la mort de Sarah ont généré un mouvement de la part des femmes, qui attendaient que leur voix soient enfin entendues”, analyse Rose Lewis. En attendant le procès de Wayne Couzens, le féminicide de Sarah Everard aura au moins permis d’ouvrir le débat quant aux violences faites aux femmes et aux violences policières au Royaume-Uni.
Pour ne rien perdre de l’actu londonienne, abonnez-vous à notre newsletter en deux clics !