Après une réponse ferme et négative de l’exécutif, les MPs devraient à leur tour statuer sur la reconnaissance de la non-binarité. Une pétition intitulée « Faire de la non-binarité une identité de genre légalement reconnue » a en effet récolté près de 138 000 signatures.
Explications sur ce concept et ses détracteurs
L’éducation genrée que nous recevons a cantonné les individus dans deux cases bien précises : les hommes et les femmes. S’il est possible quoique délicat aujourd’hui de changer de sexe et.ou de genre, rien légalement n’encadre le concept de non-binarité. Les défenseurs de la théorie du genre expliquent que le sexe assigné à la naissance n’a rien à voir avec l’identité de chacun, et qu’il est tout à fait possible de se sentir homme, femme, ni l’un ni l’autre (agenre), les deux (bigenre) ou bien de varier selon les jours et les ressentis (fluide). Ces questions sont plus discutées, plus acceptées socialement dans certaines parties du Royaume-Uni de nos jours, mais le gouvernement n’a pour autant rien voulu entendre.
Si certains avancent des théories scientifiques pour invalider cette identité, les neurosciences s’attèlent récemment à démontrer que les « cerveaux féminins » et « masculins » constituent un mythe très souvent relayé. Les neuroscientifiques modernes tels que Lise Eliot, professeure à la Chicago Medical School, démontrent en fait de structurations quasiment identiques chez ces deux sexes. Les différences perçues entre les hommes et les femmes tiendraient plutôt de la socialisation (jouets, éducation des parents, école…) et de l’observation sociétale en général (« là où une femme talentueuse sera décrite comme un bourreau de travail, l’homme sera perçu comme un génie : une distinction que les enfants intègreraient dès leurs 6 ans », écrit la spécialiste).
J’en discutais récemment avec une amie, très vocale sur ces problématiques, qui m’expliquait avoir introduit les choses de la sorte auprès de son frère cadet dubitatif : « Ne trouves tu pas cela un peu étrange, que les identités de plus de 7 milliards d’êtres humains… ne peuvent rentrer que dans deux cases étroites, si précisément définies ? ».
Si cette distinction dyadique ne semble pas trouver de socle logique ou scientifique, pourquoi donc de tels obstacles à cette reconnaissance ?
Des problématiques nommées tardivement
À l’origine, on parlera de genderqueer , à savoir « minorité de genre ». L’expression sera donc englobée dans le sigle LGBTQIA + plus tardivement , car elle n’apparaît qu’à la fin des années 80, période dépourvue du vocabulaire que l’on connaît mieux désormais.
Aujourd’hui, le monde s’ouvre peu à peu à ces questions : récemment, Instagram a ajouté une fonction à son application, permettant d’inclure les pronoms souhaités dans le profil. Ainsi, en anglais, « they » est communément admis dans la langue comme étant un pronom neutre, et si une personne souhaite qu’on se réfère à elle ainsi, elle peut désormais le mentionner dans sa description sur le réseau social, pour ne pas être mégenrée lors d’échange de messages privés par exemple.
C’est un peu plus délicat en français puisque le pronom le plus neutre que l’on aperçoit souvent est « iel ». Or il est encore un peu binarisé et pose plus de problèmes d’une part en termes d’accord dans les phrases, puisque nous parlons une langue encore très genrée comparément à l’anglais, et d’autre part à cause des débats endiablés sur les écritures inclusives qui sont à l’œuvre dans l’Hexagone.
Il existe quand même des formes d’écriture dite non-binaire , qui ne suscitent pas beaucoup d’attention. Le paragraphe qui suit m’oblige toutefois à y avoir recours par respect de l’identité de la personne qui y sera mentionnée, mais aussi pour vous donner un exemple de réflexion orthographique inclusive.
Récemment, « RuPaul’sl Drag Race », une compétition télévisée de Drag Queens à succès international, a accueilli an compétitaire non-binaire, Bimini Bon Boulash. Quoique arrivant dauphan sur le podium, al fut tout du long lo favoris unanime du public, participant à ce que les non-binaires du Royaume puissent trouver davantage chaussure à leur pied en termes de représentation positive dans les médias.
Comme vous le constatez, on reconnaît les mots, on comprend le sens, mais il est difficile d’en retenir toutes les formes, et ce, principalement puisqu’il n’y en a pas qui fasse consensus. « Dauphan » plutôt que dauphin.e, « compétitaire » au lieu de compétiteur.rice, « lo » à la place de « le.la »… Tant de modifications certes complexes, auxquelles certains préfèreront d’autres propositions, mais qui ont le mérite de tenir compte des ressentis de l’humain.
Pour revenir à notre compétition : Bimini a donc suscité une grande admiration pour ses tenues renouvelées, son sens de la mode affuté et ses prestations dignes de grandes stars. La drag-queen a même conversé très récemment avec Sadiq Khan en plein cœur de Camden, pour faire la promotion des restaurants, dans le cadre du plan « Let’s Do London » du maire de la capitale. Peut-être s’agit-il d’une preuve d’ouverture et de reconnaissance politique progressive.
Il y a peu, Demi Lovato, idole de la génération Y, a également indiqué être non-binaire et que ses pronoms sont désormais « they/them » en anglais.
Auparavant, on ne parlait pas vraiment de personnes non-binaires, tout juste de « non conformes aux genres ». Mais c’est surtout des objets artistiques qui se voyaient conférer de tels qualificatifs, beaucoup de médias titraient par exemple que David Bowie « défiait les normes de genre », offrait des « prestations fluides en genre »… mais personne ne s’enquérait véritablement de savoir si les standards manichéens de nos sociétés correspondaient à la profondeur et la diversité des personnes.
Les jeunes les plus concernés par ces questions, mais pas moins crédibles
Une étude réalisée par le gouvernement en 2018 avait démontré que 57% des transgenres sondés du pays se définissent comme non-binaires. 58% de personnes ayant répondu à la consultation de la même année pour réformer le « Gender Recognition Act » estimaient qu’il est nécessaire d’inclure le spectre non-binaire dans cette reconnaissance formelle. Cette loi n’autorise jusqu’à présent que de changer de sexe sur le certificat de naissance. Cela permet de pallier partiellement la dysphorie de genre, presque toujours ressentie par les gens qui ne se reconnaissent pas dans l’identité attribuée à la naissance, en lien avec leurs parties génitales seules.
Une majorité des sondés ayant répondu ainsi étaient âgés de moins de 35 ans, élément important pour comprendre pourquoi ces considérations nous semblent si nouvelles, ce qui donne d’ailleurs du fil à retordre aux activistes pour légitimer leurs propos.
De la même manière que ce fut le cas pour les gays auparavant, ce facteur explique une certaine infantilisation des personnes concernées. Bimini s’est ainsi justifiæ auprès de the Evening Standard : « J’ai toujours su que je n’étais ni ici ou là – que j’étais entre les deux, en fait. Je me suis toujours sentix ainsi. Le terme de “non-binaire » n’est apparu qu’il y a quelques années. J’ai alors réalisé que ça faisait sens”. La star ajoute : « Regardez un peu tous ces stéréotypes et ces étiquettes que l’on s’impose à soi-même. Laissez juste les gens être des humains ! ».
La pétition et la réponse apportée par l’exécutif
En dépit de tous ces arguments, le gouvernement n’a pas souhaité statuer sur la question. Pour rappel lorsqu’une pétition britannique récolte 10 000 signatures, il doit y répondre obligatoirement.
Il note pourtant des conséquences pratiques complexes sur d’autres aires de la loi, comme pour les prestations de services et la vie publique, si des dispositions étaient créées pour reconnaître la non-binarité dans le Gender Recognition Act. ».
Mais cela ne sous-entend-il pas que l’inverse se produit aujourd’hui ? C’est-à-dire : les impacts pratiques et psychologiques de ce vide juridique ne sont-ils pas déjà très lourds et “complexes” sur la vie quotidienne des personnes non-binaires ? C’est en tout cas ce qu’ont souligné nombre de militants du Royaume, lesquels jugent très approximative cette réaction, et ne comprennent pas ce qui est si compliqué ici.
Le gouvernement ajoute qu’il « souhaite que chacun dans le Royaume-Uni puisse se sentir en sécurité, et avoir la confiance en soi nécessaire pour être soi-même ». La description de la pétition indiquait pourtant qu’une telle inscription dans la loi permettrait aux britanniques concernés d’être moins vulnérables face aux violences enbyphobes (de enby, phonétiquement NB pour non-binaires) et de ne plus vivre cette dysphorie de genre lors de situations lambda de la vie de tous les jours.
Toujours est-il que la pétition a depuis récolté pas loin de 138 000 signatures, dépassant donc le cap légal des 100 000 requises pour qu’un débat parlementaire ait lieu. Aucune date n’a été donnée pour le moment, alors que l’exécutif aurait déjà dû en annoncer une avant le 8 juin. Un mutisme aux allures révélatrices d’une situation qui ne présente que peu d’intérêt pour les conservateurs.
Mais une précédente pétition, militant pour que les personnes transgenres n’aient pas besoin d’un diagnostic médical pour s’identifier à tel ou tel genre, avait déjà inclus ce besoin de reconnaissance de la non-binarité en 2020. Le retour du gouvernement n’avait cette fois pas incorporé d’éléments quant à ce sujet.
Ailleurs en Europe, la Belgique rejoint déjà l’Allemagne et l’Islande en intronisant pareille juridiction.
La véritable question que soulève cette controverse, selon moi, est surtout la suivante : la non-binarité n’est elle qu’une identité queer comme une autre, à défendre absolument face aux violences réactionnaires ? Ou représente-elle aussi une volonté de s’affranchir de codifications strictes, de diktats has been de ce que sont et doivent être la virilité et la féminité… et en somme, une simple réflexion sociétale dans l’air du temps ?
J’aimerais en interroger nos très chers lecteurs, chères lectrices et chærs lectaires : qu’en pensez-vous ?