Édition internationale
Radio les français dans le monde
--:--
--:--
  • 0
  • 0

Que prévoit la réforme du Human Rights Act et pourquoi fait-elle polémique ?

Marche féministeMarche féministe
Wikimedia Commons
Écrit par Lili Auriat
Publié le 15 décembre 2021, mis à jour le 15 décembre 2021

Depuis mardi 14 décembre, le gouvernement a présenté au Parlement son projet de réforme de la loi sur les Droits de l’Homme. Ces propositions, qui vont être débattues au cours des trois prochains mois, soulèvent déjà de nombreuses polémiques au sein de l’opposition et de l’opinion publique.

 

Dans le Human Rights Act de 1998 sont réunies l’ensemble des libertés fondamentales qui s’appliquent au Royaume-Uni - notamment le droit à la justice pour tous - le tout prenant en compte les directives de la Cour Européenne des Droits de l’Homme de Strasbourg (CEDH), une entité supranationale distincte de l’Union Européenne.

Mais cette réforme, en théorie voulue dans le but de renforcer la souveraineté nationale britannique et l’efficacité du système juridique, remettrait en fait en cause les droits fondamentaux listés dans ce texte. Si elle venait à être appliquée, elle impliquerait de pouvoir contourner les décisions de la CEDH au profit de décisions prises directement par le Royaume-Uni. Sans barrières internationales, l’opposition craint une dérive autoritariste du pays, qui pourrait ainsi bafouer les droits de l’Homme.

 

La Cour Suprême, au-dessus de la Cour Européenne des Droits de l’Homme

Ce nouveau texte donnerait au Parlement le dernier mot quant à la mise en place de lois, en créant un organe supérieur à la CEDH. Dominic Raab a assuré que le Royaume-Uni ne comptait pas ignorer la CEDH mais insiste sur le fait que le Parlement britannique ne « suivra plus aveuglément » ses décisions. Bien que celui-ci n’ait déjà aucune obligation de respecter ses recommandations, il est coutume de se fier à sa jurisprudence pour prendre des décisions qui touchent aux Droits de l’Homme.

Cette mesure permettra notamment au Parlement d’expulser plus facilement les criminels étrangers en réduisant leurs droits et leurs recours possibles. Selon le Secrétaire d’État à la Justice, 70% des étrangers qui échappent à une mesure d’expulsion le font en vertu du « droit à la vie de famille », un principe reconnu par la CEDH qui ne primera donc plus sur une décision parlementaire nationale. Ce projet de loi va de pair avec le projet de loi sur l’immigration de la ministre de l’Intérieur Priti Patel qui prévoit, entre autres, d’augmenter les peines de prison pour les criminels immigrés et de complexifier l’accès au statut de réfugié. Le but est ainsi de rendre le Royaume-Uni « moins attractif » afin de dissuader les exilés de traverser la Manche de venir s’y réfugier.

 

Des réformes pour préserver la liberté d’expression au Royaume-Uni

Dominic Raad a déclaré que « dans la continuité de la longue histoire du Royaume-Uni comme défenseur des Droits de l’Homme », certaines de ces réformes auraient pour objectif de renforcer la liberté d’expression et le droit à un procès devant des jurés, des droits « typiquement britanniques ». Ces mesures font suite à un rapport du comité d'examen indépendant de la loi sur les droits de l'homme qui a étudié le fonctionnement de cette loi après 21 ans d'application. Le gouvernement souhaite donc « limiter les abus » et ajouter dans le Human Rights Act « une bonne dose de bon sens ».

 

La réforme du système juridique britannique

Ce projet de loi conférerait davantage de pouvoir à la Cour Suprême britannique dans son interprétation des Droits de l’Homme, limitant ainsi les interventions de Strasbourg. La part d’interprétation irait jusqu'à la possibilité pour la Cour Suprême de juger si une affaire « mérite » ou non de faire l’objet d’un procès. Une « étape d’autorisation » serait donc inclue dans le système juridique afin de filtrer les « demandes futiles » qui « sapent l’énergie et les ressources des tribunaux ».

 

Des mesures qui risquent de faire passer la souveraineté nationale avant les Droits de l’Homme

Mais ce projet de loi qui ne compte que 24 heures d’ancienneté est déjà sous le feu des critiques. Des associations comme Amnesty International, fervente défenseuse des Droits de l’Homme, estime pour The Guardian que les Droits Humains ne sont pas « des bonbons parmi lesquels les ministres peuvent choisir » et qu’en assouplissant ainsi les règles qui encadrent les Droits Humains et en « passant outre les jugements de la CEDH avec lesquels ils ne sont pas d'accord, les ministres risquent de s'aligner sur un modèle de régime autoritaire ».

 

L’opposition voit dans cette réforme une simple diversion

Pour le parti travailliste, ce projet de loi n’est qu’un écran de fumée qui détourne l’attention des véritables problèmes qui gangrènent le système britannique, alors que le Parlement n’est déjà soumis à aucune obligation de suivre les avis de Strasbourg. Pour Stéphanie Boyce, présidente de la Law Society Anglaise et Galloise, ces réformes n’apportent aucun changement réel puisque la loi britannique est déjà maîtresse au Royaume-Uni.

Sur les bancs de l’opposition, le secrétaire à la justice fantôme, Steve Reed, considère que le gouvernement adopte la « tactique de distraction du chat mort ». Le gouvernement ne sait pas, selon lui, « comment réparer le système de justice pénale qu'il a brisé et cherche désespérément à détourner l'attention des scandales de corruption qu'il a déclenché ». Cette réforme serait donc une « tentative de mener une guerre culturelle parce qu'ils ont abandonné la guerre contre le crime et la corruption » ajoute-t-il. Pour beaucoup, cette refonte des Droits de l’Homme est une action à but purement politique et Brendan O'Hara, porte-parole du parti national écossais pour les droits humains, a demandé au gouvernement de « fournir des preuves » de la nécessité de cette réforme.

 

Une réforme qui va à l’encontre du droit à la justice pour tous

Mais l’aspect de la loi qui scandalise le plus l’opinion publique et de nombreuses associations, c’est ce « filtrage » de la justice. Cette sélection à l’entrée des procès remet en cause le principe fondamental du droit à la justice pour tous, permettant à un simple citoyen d’attaquer le gouvernement s’il considère que celui-ci est en tort. Cette mesure inquiète les associations féministes, les associations de journalistes et de militaires qui craignent que le gouvernement et la police ne deviennent ainsi intouchables, supérieurs à la loi.

S’ajoutent à la controverse autour de ce projet de loi d’autres propositions récentes comme la Policing Bill, qui prévoit d’alourdir les sanctions contre les manifestants et de retirer leur protection aux lanceurs d’alertes, ou encore la Borders Bill qui souhaiterait donner l’immunité juridique aux gardes-côtes face, notamment, aux accidents impliquants des migrants. Ces mesures augmenteraient donc largement les pouvoirs, les droits et même l’impunité des organisations étatiques, tandis que celles des citoyens ordinaires se réduisent comme peau de chagrin.

Martha Spurrier, avocate britannique, militante des droits humains, et directrice de l’association Liberty explique à The Guardian que l’obligation légale de bénéficier d’un procès permet aux familles de soldats, à des personnes victimes de viols commis par des policiers comme ce fut le cas pour Sarah Everard, mais aussi à ceux qui se sentent victimes d’une erreur judiciaire comme les survivants du violeur John Worboys, de réclamer réparation à l’État et de se faire entendre. En supprimant ce droit, on « autorise la police, l'armée et d'autres organes de l'État à négliger leurs devoirs, sans possibilité de justice. N'oublions pas que ce sont ces mêmes organes de l'État qui sont responsables de certaines des violations des droits de l'homme les plus graves qui se produisent au Royaume-Uni », ajoute-t-elle. Son association a d’ailleurs lancé une pétition contre cette réforme du Human Rights Act.

Pour le député travailliste de Norwich South, Clive Lewis, ce projet de réforme est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Selon lui, le gouvernement joue à un « bingo autoritaire » : « Non seulement vous êtes venus pour nos droits syndicaux, nos droits de vote, nos droits de manifester, et maintenant, même nos droits humains sont à gagner. La déclaration d'aujourd'hui ne fait rien pour renforcer les droits humains, elle fait tout pour les affaiblir », a-t-il affirmé.