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Loi Police, Crime, Sentencing and Courts : ce qui inquiète

Un manifestant qui proteste contre la Loi Police, Crime, Sentencing and CourtsUn manifestant qui proteste contre la Loi Police, Crime, Sentencing and Courts
Écrit par Lili Auriat
Publié le 15 septembre 2021, mis à jour le 16 septembre 2021

Alors que la seconde lecture de la loi Police, Crime, Sentencing and Courts Bill a été complétée mardi à la Chambre des Lords, celle-ci reste toujours autant controversée.

En discussion depuis le 9 mars au Parlement britannique, cette loi inquiète plusieurs associations féministes, antiracistes ou de travailleurs sociaux. Elles redoutent de nombreuses dérives que pourrait entrainer la loi : entache au secret professionnel, restriction des libertés fondamentales, augmentation des discriminations…

La loi avait déjà provoqué un tollé au Royaume-Uni puisque sa première lecture avait eu lieu peu après l’arrestation brutale de femmes venues rendre hommage à Sarah Everard, tuée par un policier britannique. Au motif que cette veillée avait eu lieu alors que les restrictions sanitaires étaient encore en vigueur, certaines avaient été violemment arrêtées par les forces de l’ordre. Des images qui avaient provoqué la colère d’une partie du pays, ravivant la question des violences policières en plus de celle des violences faites aux femmes.

 

L’opposition des travailleurs socio-médicaux

Près de 670 médecins, infirmières, enseignants et travailleurs sociaux ont écrit à la Secrétaire d’État à l'Intérieur, Priti Patel, pour faire entendre leurs inquiétudes au sujet de cette loi. La Police, Crime, Sentencing and Courts Bill prévoit d’introduire une nouvelle obligation exigeant que les services publics locaux collaborent avec la police pour lutter contre la violence grave. Bien que cela paraisse louable sur le papier, les travailleurs sociaux craignent que cette disposition ne les oblige à trahir le secret professionnel et, ainsi, la confiance des personnes, déjà vulnérables, avec qui ils travaillent. Une dégradation de leurs relations avec des personnes dans le besoin pourrait conduire celles-ci à ne plus avoir recours à une aide et à un soutien pourtant essentiel.

 

Une loi trop vague qui pourrait entraver les libertés

Proposée après les oppositions entre les forces de l’ordre et le groupe de désobéissance civile Extinction Rebellion en 2019, ce sont les dispositions concernant l’encadrement des manifestations qui font le plus polémique parmi cette loi. Les forces de l’ordre pourraient, par exemple, non seulement réprimer une manifestation causant une « gêne grave » mais ils pourraient également y imposer des heures de début, de fin et un niveau sonore maximum.

Le problème majeur posé par ces mesures est celui de la place laissée à l’interprétation. Aucune définition claire n’est donnée de la « gêne grave » ou du niveau sonore considéré comme « suffisamment bruyant pour provoquer de l'intimidation, du harcèlement, un grave malaise, une alarme ou une détresse aux passants ». Ces termes, trop vagues, laissent planer un risque sur les libertés fondamentales de manifester et de s’exprimer. La répression, voire l’autorisation, d’une manifestation seraient donc soumises à l’appréciation des forces de l’ordre, même si la manifestation n’est composée que d’une seule personne.

La loi prévoit également d’étendre la « zone contrôlée » autour du Parlement, zone où certaines activités de protestation sont interdites. "C'est encore une autre tentative d’éloigner les protestations des oreilles des personnes qui pourraient avoir le plus besoin de l'entendre", a déclaré l’avocat Chris Daw QC à The Big Issue.

Mais le durcissement de l’encadrement des protestations pourrait également se retourner contre les forces de police. La Police, Crime, Sentencing and Courts Bill prévoit également l’augmentation des poursuites à l’encontre des investigateurs d’une manifestation considérée comme une « nuisance publique intentionnellement ou par imprudence ». Cependant, en criminalisant les organisateurs, ceux-ci risquent de se montrer moins transparents envers les forces de l’ordre et donc de mettre en jeu leur sécurité et celle de la police, déclare Anneka Sutcliffe, membre d’Extinction Rébellion.

 

Les opposants redoutent une hausse des discriminations sociales

Les manifestants ne sont pas les seuls à risquer d’être concernés par une plus forte répression. Le projet de loi élargit également les pouvoirs d'interpellation et de fouille de la police en introduisant les « ordonnances de réduction de la violence grave ». Ces ordonnances donnent à la police le droit de fouiller une personne ayant fait l’objet d’une enquête pour violences graves, sans motif raisonnable. Bien que l’objectif soit de sécuriser les rues, ces arrestations pourraient entrainer de la discrimination, de l’abus de pouvoir, des violences policières sur certaines minorités. Des perspectives inquiétantes alors que The Guardian assure qu’un jeune homme noir est déjà 19 fois plus susceptible d'être arrêté et fouillé que la population générale du Royaume-Uni.

Enfin, les personnes sans domicile fixe sont également visées par cette loi qui prévoit de créer une nouvelle infraction de « résidence sur un terrain sans consentement dans ou avec un véhicule » et de permettre ainsi à la police de supprimer les campements non autorisés sur les autoroutes.

 

Une loi qui fait écho à la « loi pour une sécurité globale en préservant les libertés »

Ces polémiques rappellent beaucoup celles qui ont eu lieu de novembre à mai en France, concernant la « loi pour une sécurité globale en préservant les libertés ». Si les dispositions de la loi sont différentes, les mêmes craintes ressortent des deux côtés de la Manche. Cette loi française interdit « le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit (..) dans le but manifeste qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, l’image du visage ou tout autre élément d’identification » d’un membre des forces de l’ordre. Bien que l’article précise que la loi ne doit pas porter préjudice au droit d’informer, ce qui pose problème, c’est l’expression « le but manifeste ». Ici encore, ce vocabulaire très vague laisse une grande part d’interprétation aux policiers. Si c’est à un juge qu’il revient de décider a posteriori si oui ou non il y a eu volonté de nuire, le policier garde a priori la possibilité de saisir le matériel d’un journaliste ou de mettre une personne en garde de vue. C’est pourquoi cet article, l’article 24 de la loi, a provoqué une vive opposition de la part des journalistes mais aussi du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'Homme ou de la Commission Européenne.

D’autres libertés fondamentales comme celle de la vie privée sont aussi menacées par cette loi qui prévoit l’élargissement de l'accès aux images des caméras de vidéosurveillance et l’utilisation de drones lors de manifestations.

Si ces lois provoquent la révolte en France comme au Royaume-Uni, c’est que l’élargissement des pouvoirs des forces de l’ordre inquiète. "Ce n'est pas grave tant que la police se comporte de manière responsable et respecte notre tradition de manifestations pacifiques", déclare l’avocat Chris Daw à ce sujet. "Le problème arrive quand ils ne le font pas."