Le projet de loi sur l’immigration de Priti Patel fait débat au Royaume-Uni. Une de ses dispositions pourrait permettre aux garde-frontières de bénéficier d’une immunité en cas de mort de migrants.
Le gouvernement britannique fait face, depuis plusieurs années, à une importante crise migratoire. Cette dernière, inquiétante et croissante, nécessite des mesures franco-britanniques urgentes ; telle est la conclusion à laquelle Priti Patel et Gérald Darmanin sont parvenus lors de leur rencontre en juillet. Le ministère de l’Intérieur britannique est également à l’origine d’un projet de loi concernant l’immigration, les frontières et la nationalité (Nationality and Borders Bill) dont le contenu divise pour de multiples raisons.
Le projet de loi polémique du ministère de l’Intérieur
« Nous allons réparer le système d’asile défaillant grâce à notre nouveau plan pour l’immigration, briser le modèle économique des passeurs qui mettent des vies en danger et accueillir les gens par des voies sûres et légales » détaille le porte-parole du ministère de l’Intérieur. Concrètement, le Nationality and Borders Bill porté par Priti Patel consiste à décourager l’entrée illégale de personnes sur le territoire britannique, et renvoyer les personnes qui n’ont pas le droit d’y rentrer. Il vise également à rendre le système d’asile plus équitable.
Tout migrant arrivant en Grande-Bretagne de façon illégale pourra voir sa demande d’asile rejetée et être condamné jusqu’à quatre ans de prison. De plus, cette personne pourra ne pas avoir accès aux fonds publics et avoir l’interdiction de rejoindre les membres de sa famille. Voilà deux ans que les garde-frontières britanniques sont entraînés à employer la tactique du ‘demi-tour’ pour contraindre les embarcations de migrants à retourner dans les eaux françaises. Priti Patel est la première ministre de l’Intérieur à « établir une base juridique pour la tactique des mers », selon Michael Ellis (procureur général par intérim).
Partisans et détracteurs
L’initiative de ce projet de loi est induite par une forte pression de la part du gouvernement de Boris Johnson sur la question migratoire. Le nombre de migrants arrivant sur le territoire britannique est en constante augmentation, atteignant des chiffres jamais vus : entre 2020 et 2021, l’immigration illégale a augmenté de 202%. Ainsi, ce projet de loi est appuyé globalement par le gouvernement et par les Tories, bien que le débat existe également au sein du parti conservateur. Plusieurs députés Tories sont en faveur du droit de travailler en Grande-Bretagne pour les demandeurs d’asile, à l’image de Dominic Raab ou Kwasi Kwarteng. Mais ils ne sont pas les seuls à être en désaccord avec le Nationality and Borders Bill.
La France s’est positionnée à plusieurs reprises en désaccord avec le projet de loi de Priti Patel : « ne pas donner une chance aux enfants d’être protégés est quelque chose qui ne devrait pas être toléré dans une société moderne. Nous parlons de droits de l’homme et de dignité. Cette suggestion met en pièces les conventions de Genève de l’ONU qui donnent à chacun le droit de demander l’asile dans n’importe quel pays. Le Royaume-Uni a quitté l’Union Européenne, mais il n’a pas quitté la communauté internationale et les Nations Unies » estime le député de Calais Pierre-Henri Dumont. Le ministre de l’Intérieur français, Gérald Darmanin, considère quant à lui que l’utilisation de telles pratiques pourrait avoir un impact sur la coopération entre les deux pays.
De nombreuses organisations de sauvegarde des droits humains se sont également dressées contre le projet de loi britannique, qui serait « la plus grande attaque juridique contre le droit international des réfugiés jamais vue au Royaume-Uni » selon une commission d’opinion légale réalisée par le groupe Freedom for Torture. Le Nationality and Borders Bill enfreindrait ainsi au moins 10 lois domestiques ou internationales, à l’instar des articles 31 et 33 de la Convention sur les Réfugiés de l’ONU.
Nouvelle problématique autour de l’immunité des garde-frontières
Pour mener à bien la mise en œuvre de ce projet de loi, Priti Patel est à la recherche de protections légales pour les garde-frontières qui repoussent quotidiennement des embarcations illégales de migrants. L’une des annexes du projet de loi entend, par exemple, procurer aux gardes-frontières une immunité juridique dans le cadre de la mise en danger voire de la mort d’un migrant, si jamais ce dernier a été rejeté à l’entrée du territoire britannique. L’annexe prévoit de légiférer cette immunité de la manière suivante : un policier aux frontières pourra en bénéficier à la condition qu’il puisse prouver que son acte a été “accompli de bonne foi”, et “qu’il y avait des motifs raisonnables pour l’accomplir”.
Selon l’avocat et auteur spécialiste de l’immigration, Colin Yeo, cette disposition n’est pas assurée de garantir l’immunité au personnel travaillant aux frontières. La nécessité d’avoir un ‘motif raisonnable’ mentionnée dans le paragraphe semble difficile et incongrue à atteindre, lorsqu’un garde-frontière laisse quelqu'un se noyer en mer ou dans une petite embarcation n’ayant pas assez de carburant pour atteindre la côte française. Ce projet pourrait également poser problème du point de vue des normes internationales : la convention des Nations Unies sur la loi maritime précise que tous les États doivent porter assistance à une personne trouvée en mer en danger.