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Une rencontre avec Kamala Marius, chercheuse associée à l’Institut français de Pondi

Kamala Marius est chercheuse en géographie et étude de genre, Maîtresse de conférences à l’université de Bordeaux Montaigne et chercheuse associée à l’Institut Français de Pondichéry. Elle a récemment donné une conférence à l’université ayant pour thème : « Les diasporas indiennes en France : le cas des Pondichériens, une diaspora ancienne et singulière. » Nous l'avons rencontré à Pondichéry en cette fin de mois d’octobre.

Kamala mariusKamala marius
Écrit par Anaïs Pourtau
Publié le 18 novembre 2024, mis à jour le 19 novembre 2024

 

La maison de famille de Madame Marius se situe au sud de la ville blanche, dans une de ces ruelles arborées qui portent les noms évocateurs d’une autre époque : rue Laporte, rue Petit canal, rue Montorcier, rue Sainte Thérèse.

rue pondi

Dans le salon, à l’abri de la chaleur, nous conversons à propos de l’histoire de la diaspora des Français de Pondichéry qui est aussi l’histoire de la famille de Kamala. Voici la première partie de notre entretien :

Pondichéry, une particularité indienne

Pondichéry compte quatre enclaves non contiguës, situées dans trois États du sud de l’Inde : Karikal, ville côtière au sud de la ville de Pondichéry, dans l’Etat du Tamil Nadu, Yanaon à 840 km au Nord, dans l’Etat de l’Andhra Pradesh et Mahé sur la côte ouest, dans le Kerala.

 

comptoirs francais en Inde

 

La superficie totale de ces différentes enclaves est de 492 km2 et la ville de Pondichéry, elle-même « embrassée » par le Tamil Nadu et bordée par le Golfe du Bengale, est un territoire de l’Union indienne qui s’étend sur 294km2.

Voilà une des particularités qui fait faire de longs déplacements au Consul de France installé à Pondichéry. À cette complexité, s’ajoute une mosaïque de communautés humaines qui se côtoient sereinement.

L’une d’entre elles est la communauté des Français de Pondichéry dont fait partie Kamala.

Rappelons que Pondichéry fut un comptoir français de 1816 à 1954.

Comment des Indiens sont devenus citoyens français. 

« … La France a dû faire appel à des colonisés pour administrer l’Indochine dès1860-1862, les métropolitains rechignant à s’expatrier aussi loin. Les gouverneurs de l’Indochine ont pu recruter des diplômés issus du Collège colonial de Pondichéry, créé en 1826 (aujourd’hui lycée français international, toujours en activité) et de l’Ecole de droit, fondée en 1838.

Pour que les Indiens deviennent des fonctionnaires coloniaux, il faut d’abord en faire des citoyens Français. Le décret de renonciation de septembre 1885 est conçu pour cela. Peu connu et unique dans l’histoire de France, ce décret autorise les natifs des Établissements français (Pondichéry, Karikal, Chandernagor, Mahé et Yanaon), majeurs, quels que soient leur sexe, leur religion et leur caste “à renoncer à leur statut personnel” et à se placer sous l’autorité du Code civil. Les renonçants passent alors du statut de « sujet » à celui de citoyen français, engageant avec eux toute leur descendance de manière “définitive et irrévocable…”

“En 1956, [encore] est signé le traité de cession des derniers comptoirs (transfert de facto), qui accorde aux habitants nés sur le territoire des Établissements la possibilité d’opter dans un délai de six mois pour la nationalité française, laquelle sera effective à compter du 16 août 1962 (transfert de jure). Mon père opte définitivement pour la nationalité française à ce moment-là… La majorité des renonçants ont opté pour la nationalité française.” (Kamala Marius, On ne naît pas femme de couleur, on le devient : Parcours d’une féministe indofrançaise, Esquisses. Les Afriques dans le monde, 2022, p. 1 et 2.)

Les ancêtres de Kamala sont français depuis 135 ans, ce qui est le cas d’une majorité de Franco-Indiens.

Nous savons que l’Inde est le pays qui possède la plus importante diaspora du monde, environ 28 millions d’individus. Peut-on dire que les Français de Pondichéry font partie de la diaspora indienne ? 

Kamala : Diaspora est un terme qui date de l’exil forcé des Juifs et qui remonte presque à l’Antiquité, son sens s’est modifié avec le temps. Diaspora veut dire retour au pays d’origine, mais aussi regroupement d’une communauté dans « l’autre pays » pour pratiquer les fêtes et les rituels.

L’histoire de la diaspora des originaires du comptoir français de Pondichéry commence donc avec ceux qui l’ont quitté dans les années 1880 parce que l’administration coloniale en Indochine avait besoin de fonctionnaires et donc de personnel instruit.

Mes ancêtres ont profité du fameux acte de renonciation pour devenir des Français à part entière et pouvoir exercer comme fonctionnaires d’outre-mer (trois mille sept cents « renonçants » sont ainsi devenus fonctionnaires de l’administration des colonies en Indochine et en Afrique). Ils avaient l’interdiction d’exercer en métropole.

 

les indiens au sein des colonies  francaises

Mon ancêtre se nommait François Doraissamy. Il a renoncé en 1889 à son statut de sujet indien pour devenir citoyen français et a choisi le nom de Marius, peut être en consultant les noms des saints sur l’Almanach des Postes, comme certains ont choisi le nom de Leblanc, Lerouge, Richelieu, Robespierre, des noms étonnants pour les franco-français.

Mon arrière-grand-père est donc devenu magistrat à la cour suprême d’Hanoï, pour la France coloniale. Mon grand-père paternel a fait une carrière de commissaire de police en Indochine et mon grand-père maternel, lui aussi magistrat, est parti travailler en Afrique en 1930, au Gabon, au Niger, au Mali. Il avait travaillé auparavant à Hanoï et Phnom Penh.

Ceux qui ont eu des parents renonçants et qui considéraient qu’ils avaient lutté pour l’indépendance de l’Inde n’ont pas opté pour la nationalité française en 1962 et sont restés indiens, leur descendance aussi. Par exemple, c’est ce qu’il s’est passé pour certains du côté de la famille de ma mère : leurs enfants après les études, ont choisi de partir aux États-Unis dans les années 1970 et sont devenus américains. Ce sont des parcours particuliers.

La diaspora des Pondichériens qui vivent aujourd’hui en France se retrouve beaucoup entre familles et amis, surtout pour les grands événements de la vie, ils retrouvent alors les vêtements traditionnels, les usages et les recettes de cuisine. Ils sont franco-pondichériens avant d’être des Tamouls. Pour eux, les Tamouls sont des Sri-lankais et ils n’aiment pas être associés à cette appellation. 

Lors de la défaite de l’Indochine Française en 1954 à Diên Biên Phù, un certain nombre de fonctionnaires pondichériens ne reviennent pas en Inde. Certains partent directement pour la France, d’autres pour La Réunion et d’autres encore pour la Nouvelle Calédonie, où il existe une importante communauté.

Quel est cet OCI (Overseas Citizenship of India), dont bénéficient les Indiens de l’étranger ?

 

oci

 

L’OCI a été introduit en août 2005, il fait suite au PIO, qui donnait un visa de cinq ans renouvelable. La modification de la loi sur la citoyenneté en reconnaissance au principe d’une citoyenneté d’outre-mer, permet à toute personne dont un père ou un grand-père est né sur le sol indien de rester en Inde, indéfiniment.

Note du petit journal Inde : Cependant aucune personne ayant déjà servi dans une organisation militaire étrangère, même étant à la retraite, n’est éligible à une carte OCI. Cette clause est particulièrement problématique pour les Pondichériens dont nombre d’entre eux, par le jeu de l’histoire, ont servi dans l’armée française.

L’OCI est valable actuellement pour trois générations. 10 millions de personnes auraient l’OCI en 2015 peut être plus actuellement. Cette carte permet de vivre en Inde sans interruption et d’en sortir sans demander de visa de sortie, d’y travailler, par contre elle n’ouvre pas au droit de vote, ne permet pas d’être éligible ou d’acheter des terres agricoles. Je bénéficie de l’OCI depuis 2009, grâce à mon père qui est né à Pondichéry.

Il me semble que chaque langue porte en elle, des éléments d’une identité culturelle spécifique et donc une manière de penser le monde singulière. Charaudeau P. ( linguiste, professeur émérite, université Paris XIII), écrit que « les langues sont porteuses du culturel, les manières de parler de chaque communauté, les façons d’employer les mots, les manières de raisonner… ». Quelle fut votre première langue ?

Dans ma famille, personne n’a appris le tamoul, comme la plupart des enfants de cette génération et je ne l’ai pas non plus appris à mes filles. J’ai appris tardivement cette langue grâce à mon travail de recherche dans le sud de l’Inde. J’avais besoin pour cela d’interagir avec les gens. De plus mes ex beaux-parents parlaient tamoul.

La langue tamoule s’est perdue rapidement. La première vague des Pondichériens partis en Indochine en 1890-1900 ne venaient souvent que pour les vacances d’été et repartaient.

Les Pondichériens qui avaient pris l’habitude de revenir régulièrement, ont conservé la langue, les coutumes et les traditions, le mariage arrangé dans la caste, voire dans la famille.

Mes grands-parents vivaient en Indochine, ils ne venaient aussi à Pondichéry que pour les vacances, un peu par obligation, afin de retrouver les autres membres de la famille. Mais ils trouvaient que Pondichéry était sale, alors que l’Indochine était un paradis : « la vie de cocagne », disait ma grand-mère.

Donc la génération suivante, celle des enfants qui sont nés en Indochine dans les années 30, ne parlait plus tamoul mais seulement le vietnamien et le français. Il ne restait pas grand-chose de la culture tamoule à part la cuisine, les cérémonies de mariage et les rituels tamouls. Dans la vie courante, la plupart voulaient être encore plus Français que les Français.

Actuellement, les enfants nés ailleurs qu’en Inde n’ont plus envie d’y venir et pour ceux originaires de Pondichéry vivant en France, ils ne parlent plus tamoul. Ils ont une culture différente. Par contre, il existe à Pondichéry une communauté de Français, recensée par le Consulat, dont bon nombre ne parlent plus la langue française.

J’ai été surprise lors de mon colloque dans le département de français de l’université de Pondichéry, de voir la salle presque pleine. J’ai appris à cette occasion que le français est la première langue apprise en Inde, après l’anglais. Des étudiants des départements français de toute l’Inde étaient présents sans que nous n’ayons eu besoin de faire de la publicité. Peut-être que le français est plus facile à apprendre pour eux que le tamoul. Les professeurs sont très exigeants et le tamoul est aussi difficile à apprendre que le latin et le grec, particulièrement le tamoul littéraire.

 

conference

 

Comment la diaspora pondichérienne s’adapte-t-elle et fait-elle des passerelles entre la France et l’Inde ?

Tous les Pondichériens qui partaient avaient une maison dans Pondichéry, pas seulement dans la « ville blanche ». Ceux qui avaient travaillé en Indochine avaient gagné beaucoup d’argent et avaient fait construire ou acheter des maisons, tout comme les créoles d’ailleurs.

Beaucoup de Pondichériens sont aussi rentrés dans l’armée française après la seconde guerre mondiale. Ils avaient des contrats de quinze ans au bout desquels ils prenaient leur retraite et revenaient vivre à Pondichéry, avec leur épouse et leurs huit ou dix enfants.

 

carte de combattant
Exemple de carte de combattant de l'époque

Mon père est né au Vietnam. Il y a grandi et y a commencé sa scolarité, lorsque dans les années 50, mes grands-parents sont revenus vivre à Pondichéry. Mon père a continué sa scolarité au lycée français de Pondichéry, où il a passé le bac. Par la suite, il est parti en France faire ses études de géologie et il est devenu docteur en géologie et pédologie. Il a intégré un poste de chercheur à l’IRD (Institut de recherche et développement), ce qui a donné à la famille l’occasion de voyager et de vivre en Afrique francophone, au Tchad, au Gabon, au Sénégal. Nous rentrions régulièrement en Inde voir ma grand-mère et l’on y restait entre quatre et neuf mois. Ça a été pour nous une période merveilleuse, nous restions trois ou quatre ans dans un endroit et nous revenions à Pondichéry.

La France n’était alors pour nous qu’une étape. J’ai fait mes études secondaires et passé mon bac dans les établissements scolaires en Afrique.

C’est notre père qui nous a transmis à ma deuxième sœur et à moi cet attachement à Pondichéry, mais nous sommes minoritaires dans notre génération.

Mon père a pris sa retraite à 58 ans et il est resté à Pondichéry jusqu’à sa mort en 2019, il avait 85 ans. Il était rédacteur en chef du Trait-d’Union”, la gazette francophone de Pondichéry. Elle a été créée en 1944 et paraît toujours.

 

Suite de l'entretien demain...

 

 
 
 

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