A l’heure de la dématérialisation, du tout internet, Facebook, Instagram et autres réseaux sociaux, une petite gazette francophone, publiée à Pondichéry, perdure depuis 1944 : le Trait-d’Union. Le Petit Journal de Chennai a rencontré son directeur et rédacteur en chef Albert Rollin, tel Astérix, dernier des irréductibles Gaulois, résistant à l’envahisseur.
La petite histoire d’un journal, pont entre deux rives pondichériennes
Créée en 1944, la gazette s’appelait à l’époque la Jeunesse de l’Empire Français. Suite à l’indépendance de l’Inde, le 15 août 1947, la connotation « coloniale » du titre étant mal vue, le journal fut rebaptisé le « Trait-d’Union ».
Albert Rollin nous fait remarquer une faute d’orthographe dans ce titre : un trait d’union, au sens « signe de ponctuation », s’est glissé entre les mots. Les pères fondateurs se sont-ils trompés ou ont-ils fait exprès, comme pour insister sur le terme ? Un « double trait d’union » en sorte. La question perdure… Si le Petit Larousse définit ce nom comme « Ce qui a un rôle de conciliation, d'intermédiaire ou de liaison entre des personnes ou des choses. », voilà ce que veut être ce journal : un pont entre ce qui se passe ici à Pondichéry, l’Inde et les Franco-Pondichériens ayant quitté le pays. Suite au rattachement de l’Inde française à l’Union Indienne en 1954, Jawaharlal Nehru, Premier ministre, souhaitait faire de Pondichéry une « fenêtre ouverte sur la France, un vivant foyer de culture française". Le Trait-d’Union en serait un bel exemple.
Une gazette qui tente de s’adapter et d’exister dans le temps
Aux heures glorieuses, la gazette comptait plus de 5000 abonnés, pour la plupart vivant en France. Le mensuel leur permettait de garder un pied avec la terre qui les a vu naître. On y trouvait des informations sur les nombreuses associations franco-pondichériennes, des actualités locales fraîches, des brèves historiques et surtout une éphéméride de plusieurs pages qui informait de toutes les naissances, mariages, ou décès… une manière de rester relié à ses lointains voisins, même à 8000 kms.
Malheureusement aujourd’hui les associations communiquent sur Facebook ou en ligne et il y a bien longtemps que le journal ne reçoit plus de faire-part de mariage ou de naissance. Les premiers Franco-Pondichériens débarqués en métropole sont aujourd’hui pour la plupart retraités. Certains sont décédés, d’autres retournés vivre à Pondichéry. Les 3e et 4e générations, arrivéesen bas-âge ou nées en France, n’ont malheureusement pas perpétué cette tradition. La plupart vivent encore en France et ne reviennent ici que pour les vacances. Bien que sentimentalement attachés à ce pays, beaucoup aspirent à une vie occidentale. Le Trait-d'Union a dû apprendre à se réinventer.
Une volonté d’éclairer ses lecteurs sur le monde Indien
Après une carrière dans l’éducation en France et à l’étranger, Albert Rollin a pris sa retraite à Pondichéry en 2005. D’abord contributeur régulier, il a, au fur et à mesure, pris la casquette de directeur et rédacteur en chef.
Depuis quelques temps il a fallu s’adapter : réduire le format du journal pour minimiser les frais d’impression et d’envoi, et changer d’orientation. Le choix a été fait de faire découvrir un peu plus la civilisation tamoule, mettre en lumière des auteurs méconnus, éclairersur le monde Indien. On y trouve des traductions de poèmes tamouls, des articles sur des écrivains indiens, comme Subramanya Bharathi (1882-1921), poète révolutionnaire amoureux de la langue et culture française, ayant vécu 10 ans à Pondichéry pour échapper aux geôles de l’Inde anglaise, Barathidasan (1891-1964) poète pondichérien, disciple de Bharathi, mais aussi des écrivains franco-pondichériens contemporains installés en France écrivant en tamoul ou en français comme Ari Gautier, ou Krisna Nagarattinam.
Albert se remémore avec plaisir l’époque où une famille de touristes français, surprise de découvrir ce petit journal francophone dans une supérette de la ville, avait décidé d’écrire plusieurs chansons sur la ville, fièrement publiées dans le journal.
Aujourd’hui le comité de rédaction est composé de contributeurs bénévoles. Certains sont Franco-Pondichériens vivant en France où à Pondichéry. D'autres sont des Tamouls francophones ou des Français métropolitains installés à Pondy. Tous partagent le même amour de la ville et l’envie de faire perdurer la langue française dans cet ancien comptoir des Indes, où malheureusement la langue se meurt petit à petit. En effet de plus en plus de Franco-Pondichériens, Français par l’histoire, indiens par la culture, ne pratiquent plus la langue de Molière.
La « fenêtre ouverte sur la France » de Nehru, se referme-t-elle progressivement ?
En 1956, le traité de cession des comptoirs français exauçait le souhait exprimé par Nehru en 1947 : « Pondichéry est une fenêtre par où la France et l'Inde pourraient communiquer [...]. Nous apprécierons une telle fenêtre sur la France comme un moyen de développer nos relations culturelles avec ce pays [...]. Nous désirons que notre jeunesse acquière une formation intellectuelle plus universelle que seule la culture française est à même de nous donner. »
En octobre 1962, lors de sa visite officielle au Général de Gaulle, Nehru assurait encore sa « volonté à faire régner l’entente mutuelle entre la France et l’Inde. » Il écrivait « nous sommes sentimentalement attachés à ce grand pays à cause du rôle qu’il a joué pour répandre la liberté et développer la culture. Maintenant que la question de Pondichéry est enfin résolue, il n’y a pas de problèmes directs entre la France et l’Inde, et j’espère que Pondichéry continuera d’être un lien entre nos deux pays et un centre de la langue et de la culture françaises. "
Mais la population franco-pondichérienne a quitté massivement l’ancien comptoir dans les années 60. A ce jour on compte plus de 50000 Franco-Pondichériens vivant en France, contre environ 4000 restés sur le territoire indien. Puisque la communauté tend à diminuer, avec elle c’est tout un héritage culturel Français qui s’efface progressivement.
L’attrait du français pour les Indiens
Sur les 4000 Franco-Pondichériens, combien parlent encore le français ? Difficile à dire, mais fort est de constater que dans de nombreuses familles, il a bel et bien disparu. Néanmoins, l’attrait du Français pour les Indiens et les perspectives qu’il offre sont bien réels. La France est le 5e partenaire européen dans les échanges commerciaux avec l’Inde, et la maîtrise du français reste un atout.
Au niveau des langues étrangères, le français devance donc toutes les autres langues : en Inde, il est la 1ère langue étrangère dans l’enseignement (l’anglais étant considéré comme une langue officielle). Certaines institutions indiennes, comme le Pensionnat de Jeunes filles, propose encore aujourd’hui l’enseignement du Français, même s’il est souvent enseigné comme une langue morte, tel le latin. A l’école de l’Ashram, dès l’âge de 3 ans, les enfants sont initiés au Français et à l’Anglais, puis au secondaire l’enseignement des mathématiques et des sciences se fait exclusivement en Français. L’Alliance Française permet également à de nombreux Indiens d’apprendre le Français, Nombreux sont les Indiens des autres Etats qui viennent apprendre le français à l’Alliance française de Pondichéry plutôt qu’à celle de Bombay pour pouvoir bénéficier de l’environnement francophone de la ville.
Albert Rollin et son journal, les institutions françaises, ou encore l’école de l’Ashram… tous à leur manière, font perdurer la culture et la langue françaises dans ce minuscule territoire perdu dans l’immensité indienne. En 2014, la gazette a reçu le Mot d’Or de la Francophonie, pour sa réussite dans sa volonté permanente de garder la fenêtre toujours ouverte sur la France et sur les francophones.
Si vous souhaitez participer à l’aventure du Trait-d’Union, n’hésitez pas à contacter Albert Rollin. ((letraitdunion@gmail.com)