Le temps des fêtes est une parenthèse sacrée, fantasmée, redoutée ou cultivée avec ardeur. Mais en vivant à l’international la période pourrait devenir très émotive. Il y a ceux qui rentrent en France avec le marathon, entre dindes et bûches, devoir tout le monde équitablement, une pression affective exigeante. Et pour ceux qui restent à l’étranger, c’est un pincement au cœur ou un soulagement. Pour la vaste communauté française dispersée aux quatre coins du globe, cette période est bien plus qu’une simple interruption du rythme…


La période des fêtes de fin d’année est un puissant révélateur interculturel et une véritable épreuve de résilience émotionnelle. Que l'on soit étudiant en stage à Londres, entrepreneur à Dubaï ou jeune professionnel à Montréal, les fêtes révèlent un peu de notre identité. Faut-il s’accrocher coûte que coûte aux rituels français ou s’immerger totalement dans les coutumes locales ? Cécile Lazartigues-Chartier, consultante en interculturel nous décrypte ce qui peut vraiment compter à cette période…
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Pendant les fêtes, l’émotion à son comble
Les réseaux sociaux débordent d'un fantasme de bonheur familial à tout prix et souvent très formaté, les vitrines scintillent d’une injonction à l'abondance. Loin de son pays d'origine, cette pression s’amplifie. L'éloignement physique du cercle familial et amical coïncide avec une période inévitable de bilan.
La fin de l’année force à l'introspection sur les succès, mais aussi sur les doutes de l’année écoulée : la progression de carrière pour laquelle nous sommes partis, la stabilité financière et surtout l'intégration sociale locale. Si l'année a été parsemée d'embûches, le manque de son système de soutien habituel peut transformer les fêtes en un moment de profonde vulnérabilité. On se sent alors doublement isolé, géographiquement et culturellement.
Le premier pas pour vivre cette période d’une manière plus apaisée serait de dédramatiser. Le premier acte d'auto-compassion est de reconnaître que le simple fait de s'adapter et de naviguer dans un environnement étranger est une réussite en soi. Il est fondamental de baisser le volume du "bonheur attendu" pour se donner la permission de ressentir l'émotion légitime de l'éloignement.
« À Singapour, l'été pendant les fêtes est magnifique, mais il enlève cette ambiance magique de la neige. Je me suis retrouvée à faire le bilan de mes finances, de mes amitiés et de ma solitude. C'était la première fois que je sentais vraiment le poids de la distance. J’ai dû apprendre à réinventer les fêtes. » Clara, entrepreneure française à Singapour

Choisir la magie et transmettre le sens
L'éloignement géographique ne doit pas entraîner la rupture culturelle. Maintenir les traditions françaises qui font sens, que nous ayons des enfants ou pas, est une stratégie de résilience culturelle essentielle. Ces rituels agissent comme des ancrages émotionnels. Ils sont des repères stables dans un environnement mouvant et créent un lien intangible avec famille et amis restés en France. Il est crucial de faire un tri conscient. Il ne s'agit pas forcément de reproduire à l'identique (gastronomie et rituels) mais de privilégier les traditions qui sont essentielles à votre équilibre. Oubliez celles qui étaient subies et concentrez-vous sur votre essentiel :
· Cultiver la magie, fuir le mercantile : Le danger est de compenser le manque par l'achat. Au lieu de cela, l'effort doit se concentrer sur la transmission du sens. Installer le calendrier de l'Avent, confectionner soi-même des biscuits traditionnels ou respecter le rituel très français du Réveillon du 24 décembre malgré le décalage horaire.
· Le lien intergénérationnel : Pour les parents expatriés, ces gestes sont des passerelles culturelles qui soulignent auprès des enfants que nous sommes riches des métissages et que notre identité est multiple.

Le meilleur trait d’union qui soit ? Le partage
L'éloignement ne doit pas être une barrière, mais une invitation. Si faire venir la famille de France pour Noël est l'idéal, ce n’est pas toujours possible. Mais les gestes symboliques sont tout aussi puissants. Pensez au concept du "partage inversé" : envoyer des cadeaux qui incarnent votre nouvelle vie (des épices du marché asiatique, des tissus d’Afrique, un vin chilien, un livre de la Librairie du Québec, faire une playlist de ce qui est en vogue dans notre nouveau pays) est une façon de faire voyager la France sans décalage horaire. Recettes locales, partage des films de Noël locaux ou traditions de fin d’année… Bref, il faut créer une interaction joyeuse qui fasse rayonner l’attachement familial et la découverte culturelle. Mais le partage peut également se faire localement. Une invitation à nos collègues, amis, voisins locaux leur faire découvrir notre art culinaire, rituels ou faire des cadeaux français est une belle opportunité d’enrichir les liens, proches ou lointains. Faire du bénévolat localement si on est seul pendant les fêtes…Tout est possible !
« Nous vivons en Australie, donc l'ambiance est très différente. Mon fils de 5 ans ne connaît pas les marchés de Noël français. Pour moi, le plus important est le dîner du 24 au soir, avec les plats traditionnels. Et même s'il fait 27 degrés dehors, il y a la nappe de Noël de ma grand-mère pour la table du BBQ !» Valentin, ingénieur expatrié à Sydney

Faire le lien, enrichir nos traditions avec la culture locale
L'intelligence culturelle n'est pas seulement la capacité à décoder les autres. C’est également notre aptitude à nous enrichir de culture de l'Autre. Si l'ancrage français est nécessaire, l'ouverture aux traditions du pays d'adoption est la clé d’une intégration complète et vibrante. C’est le moment d'embrasser l'atmosphère locale. En Amérique du Nord, cela signifie l’attrait pour les décorations exubérantes, l'esprit du Boxing Day ou l'adoption, kitch mais toujours humoristique, du fameux ugly Christmas sweater. Adopter ces rituels est un double signe de respect et un partage avec les locaux. Le véritable enrichissement réside dans l'hybridation. L'expatrié doit choisir ce qui lui convient du local pour le fusionner avec ce qui est gardé du pays d'origine. Cette alchimie donne naissance à de nouvelles traditions uniques et résolument personnelles. Ces traditions "hybrides" sont une démonstration vivante que notre parcours international est une phase d’enrichissement.
Au fil des années, ces nouvelles habitudes – la dinde canadienne servie après des huîtres françaises, la galette des Rois partagée en janvier avec les voisins hispaniques – deviendront le récit que les enfants transmettront. C’est la preuve qu’une identité complexe et multiple est une source de richesse inépuisable.
« Après sept ans à Montréal, nous avons créé un mélange qui marche. Le 24, c'est le réveillon à la française. Mais le 25, nous adoptons le brunch, le pyjama toute la journée et la sortie pour la patinoire l'après-midi. La dinde aux marrons mais aussi la tourte à la viande du Lac St Jean, la bûche et le gâteau aux fruits! C'est notre nouvelle tradition, elle sent bon le Québec et la France à la fois. » Sophie, enseignante à Montréal.
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Les traditions, un processus en constante évolution
Le temps des fêtes à l'international n'est pas une période ancrée dans le passé, mais une occasion magnifique de redéfinir qui nous sommes culturellement. C'est un choix: celui de l'ancrage, de l'ouverture et de la construction d'un héritage plus riche. En faisant cohabiter avec bienveillance nos racines françaises avec la richesse de notre pays d'adoption, nous bâtissons non seulement un patrimoine familial unique, mais nous contribuons surtout à un monde plus inclusif. N’est-ce pas l'esprit des fêtes que nous souhaitons voir rayonner dans le monde ?












































