Édition internationale
Radio les français dans le monde
--:--
--:--
  • 0
  • 0

Climat géopolitique, harcèlement…Claudia Scherer-Effosse évoque les défis de l’AEFE

Claudia Scherer-Effosse connaissait bien l’AEFE avant de se porter candidate pour « ce très bel opérateur d’enseignement à l’étranger ». Diplomate en Chine, aux Pays-Bas, au Sri Lanka, aux Etats-Unis, en Estonie, mais aussi en Argentine, l’ancienne ambassadrice a pu connaître et fréquenter le réseau des établissements d’enseignement français à l’étranger aussi en tant que parent d’élèves. « Un outil extraordinaire et d’influence que la France met à la disposition de ses citoyens » souligne-t-elle. Succédant à Olivier Brochet, Claudia Scherer-Effosse a pris ses fonctions fin août 2023 en tant que Directrice générale de l’AEFE, dans un contexte géopolitique très sensible, avec des enjeux de bien-être, de lutte contre le harcèlement et de climat scolaire favorable. Entretien.

Claudia Scherer-Effosse au séminaire Maghreb EstClaudia Scherer-Effosse au séminaire Maghreb Est
Claudia Scherer-Effosse au séminaire Maghreb Est
Écrit par Capucine Canonne
Publié le 12 novembre 2023, mis à jour le 14 novembre 2023

 

La rentrée 2023 a eu lieu dans les 580 établissements de l’enseignement français à l’étranger. Pouvez-vous nous présenter un bilan chiffré de celle-ci ? 

Les résultats définitifs de la rentrée sont connus depuis le 22 octobre. 390.941 élèves ont fait leur rentrée, soit une augmentation de 0,86% par rapport à la rentrée 2022. Parmi ces jeunes, 120.613 sont Français. Je dois avouer que ce chiffre ne correspond pas à l’objectif très ambitieux de Cap 2030 mais il s’explique notamment par un contexte géopolitique défavorable depuis plusieurs mois. 

Deux autres chiffres me semblent importants : le nombre d’élèves nationaux – c’est-à-dire de la nationalité du pays d’implantation de l’établissement - augmente de 0,67% et celui des élèves de nationalité tierce (ni Français, ni national) croît de 2,94%. Ces indicateurs montrent, selon moi, des signes encourageants de l’attractivité de l’enseignement français de l’étranger, mais aussi du pouvoir du réseau de parents qui se déplacent et mettent leurs enfants dans un établissement français où qu’ils soient. 

 

Beaucoup d’élèves ne sont pas revenus au Niger pour la rentrée et nous avons constaté une baisse des deux tiers des effectifs de l’établissement.

 

Revenons sur le contexte géopolitique difficile que vous évoquez, pouvez-vous nous en dire plus ? 

La situation internationale est défavorable à plusieurs endroits du monde. Bien sûr, le conflit déclenché par la Russie a eu des conséquences dans nos établissements en Ukraine et en Russie depuis début 2022. Au début de l’année, notre établissement au Soudan a fermé en raison de conflits armés dans tout le pays. Je veux parler aussi des fortes tensions régionales dans la bande sahélienne. Nos écoles au Mali et au Burkina Faso sont en présentiel mais dans un contexte sécuritaire renforcé. Le ministère des Affaires étrangères a imposé le célibat géographique et nous avons donc moins de familles dans ces pays en ce moment. 

Cet été, au moment où j’ai pris mes fonctions, nous avons fait face à la crise des relations bilatérales avec le Niger, qui a conduit notre établissement de Niamey à travailler en distanciel. Beaucoup d’élèves ne sont pas revenus au Niger pour la rentrée et nous avons constaté une baisse des deux tiers des effectifs de l’établissement. Nous faisons face aussi à une situation compliquée à Téhéran où les autorités iraniennes ont décidé de faire respecter strictement la loi. Cela implique que les élèves iraniens, y compris franco-iraniens ne peuvent pas être scolarisés dans un système non iranien. Je tiens à dire que nous avons travaillé à accompagner toutes les familles touchées pour que les élèves puissent notamment  continuer leur scolarité en France ou dans un autre établissement français dans la région, ou par le CNED.  

 

Pour le moment, l’établissement de Tel Aviv est en présentiel mais cela dépend parfois des niveaux

 

Selon votre site, dès le 7 octobre 2023, l’AEFE a activé une cellule de crise auprès des établissements et du personnel en Israël, dans les Territoires palestiniens. Comment les accompagnez-vous au quotidien et à distance ?

Nos contacts sont quotidiens avec les établissements sur les aspects pédagogiques et sécuritaires. Nous avons avec des points réguliers, une à deux fois par semaine, en cellule de crise, qui regroupe l’ensemble des services concernés, dont le poste diplomatique. Nous tenons compte de la situation très évolutive. Nous accompagnons les établissements sur la pédagogie, surtout lors des pics de crise. A l’heure à laquelle nous nous parlons, l’établissement de Tel Aviv est en présentiel, celui de Ramallah en distanciel, c’est très évolutif et cela dépend des niveaux. En matière de sécurité, je sais que les établissements français font des points très précis de leurs besoins au poste diplomatique. De notre côté, nous avons relu et vérifié les plans de sécurité, en particulier les dispositifs d’abri en cas d’alerte, et attribué des aides aux établissements demandeurs. L’expérience en Ukraine nous a permis d’être réactifs sur ces questions sécuritaires. 

 

Confinement, cellule de crise… Que vivent les écoles françaises en Israël ?

 

Directrice générale de l'AEFE
Source AEFE 

 

"Nous mettons en place des protocoles pour faire face aux violences à caractère sexuel

 

L’homologation d’un établissement scolaire hors de France se base sur des principes et critères. L’un d’eux est le bien-être des élèves et des personnels. Comment le définir concrètement ? 

A la suite des consultations sur l’enseignement français à l’étranger au printemps 2023, le bien-être qui était déjà une préoccupation au sein du réseau a vu son importance gravée dans le marbre, en intégrant les critères d’homologation.  L’AEFE se dote dorénavant d’un plan climat scolaire. A partir de cette rentrée, nous déployons le programme PHARe - le programme de prévention et de lutte contre le harcèlement scolaire du ministère de l’Education nationale - qui est constitué de trois volets : la mesure du climat scolaire, la prévention et la prise en charge des situations de harcèlement. Pour mesurer le climat scolaire, nous proposons aux établissements de réaliser des enquêtes locales pour établir un diagnostic sur le bien-être et  les relations au sein de la communauté éducative. Il y a neuf questionnaires possibles, trois auprès des élèves , trois auprès des parents d’élèves et trois auprès des personnels éducatifs, chacune par niveau.

Autres outils mis en place, la fiche de remontée d'événements, équivalant au dispositif « fait établissement » de l'Education nationale, ainsi que des protocoles pour faire face aux violences à caractère sexuel. Nous sensibilisons sans cesse pour la prévention et la réaction à la dégradation du climat scolaire en local. Nous consolidons actuellement un réseau de 32 formateurs « climat scolaire » à l'étranger.

 

Harcèlement, bien-être…L’homologation des écoles françaises à l’étranger évolue

 

 

 

Jusqu’où va aller le rôle de suivi et de contrôle de l’AEFE concernant le harcèlement scolaire dans les établissements de l’enseignement français à l’étranger ? 

Le rôle de l’AEFE est de bien sensibiliser les chefs d’établissement et les personnels de direction sur l’importance d’être attentifs, d’écouter, de remonter les situations et de savoir comment les gérer. Mais chaque situation est différente. Il est possible, par exemple, que nous soyons amenés à nous rapprocher des familles. A ce propos, j’annonce d’ailleurs, que nous sommes en train de renforcer notre équipe à la direction générale en recrutant un conseiller technique vie scolaire, effectif début 2024. Sa mission sera notamment d’être là pour répondre à tous les signalements et intervenir si besoin. Cette personne sera un ou une spécialiste de la manière de traiter les problèmes de dégradation de climat scolaire et les situations de harcèlement avec ce qu’on appelle “la préoccupation partagée” c'est-à-dire une méthodologie de traitement de situations. 

 

Lutte contre le harcèlement scolaire, qu’en est-il à l’étranger ?


 

Quelles sont vos actions prioritaires dans les prochains mois ? 

A partir du 20 novembre 2023, nous réunissons l’ensemble des directions des 68 établissements en gestion directe (EGD). Nous travaillerons ensemble sur les priorités de l’AEFE, à savoir la qualité et le développement du réseau de l’enseignement français à l’étranger. Fin novembre, est organisé le conseil d’administration, un point d’étape très important pour l’agence. 

Depuis la rentrée, nous avons participé à des séminaires de zones. Je me suis rendue notamment aux Etats-Unis, au Maroc, en Tunisie et en Turquie. Je vais cette semaine à Varsovie. Ces séminaires me permettent de rencontrer les chefs d’établissements et les équipes de direction de la zone, de visiter les établissements en rencontrant les élèves, et les représentants des parents d’élèves et des enseignants, de faire passer des messages et faire le point sur les préoccupations et les problématiques locales.