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M’jid El Guerrab: « Il est difficile et anxiogène de venir en France »

M’jid El Guerrab visasM’jid El Guerrab visas
Écrit par Damien Bouhours
Publié le 1 février 2021, mis à jour le 2 février 2021

M’jid El Guerrab a publié un rapport relatif à la politique française des visas. Le député de la 9ème circonscription des Français de l’étranger nous explique dans cette interview exclusive les solutions évoquées pour faciliter les demandes de visas en provenance notamment d’Afrique.

 

Pourquoi avez-vous décidé de centrer votre mission sur le continent africain ?

Je suis régulièrement sollicité par des personnes désirant se rendre en France qui rencontrent des difficultés dans la procédure de délivrance de visas. Ce ressenti est la conséquence d’une importante demande, liée aux relations historiques entre la France et le continent africain, qui se matérialise par une surcharge de travail sur nos consulats. Je profite d’ailleurs de cette interview pour leur rendre un hommage appuyé car malgré l’accroissement des demandes auxquelles ils font face, malgré le peu de moyens dont ils disposent, ce qu’ils accomplissent relève parfois de l’inhumain ! Dans certains pays, la demande de visa en Afrique a doublé alors que les moyens humains ont été réduit à peau de chagrin.

Aussi, il convient de préciser que la France considère la mobilité entre le Nord et le Sud comme un élément essentiel de sa politique de rayonnement. Le Président a parlé de mobilité circulaire, de partenariat reconstruit.

Le visa est encore trop souvent considéré comme un irritant dans la relation qu’entretient la France avec le continent africain. Nous souhaitons, avec ma collègue Sira Sylla, simplifier la procédure de demande et ainsi nous joindre à l’ambition du Président de la République.

Prenons l’exemple de la Suisse, d’où je rentre justement d’une rencontre avec les membres du Parti radical genevois. Seulement 500 visas sont délivrés chaque année. À titre de comparaison l’Algérie représente 279.000 visas délivrés en 2019, le Maroc plus de 346.000.

Vous l’aurez compris le cas africain est par son ampleur crucial quand il s’agit d’évoquer la politique française des visas.

 

Quelles sont les difficultés rencontrées dans votre circonscription quant à la délivrance des visas ?

Les cas de figure sont multiples : étudiants, Français en couple avec un étranger, entreprises souhaitant faire venir des salariés pour une mission ponctuelle etc… Cependant, ce sont généralement les mêmes problèmes qui nous sont signalés : des délais trop longs, des tarifs élevés et surtout un taux de refus bien trop haut.

Ainsi, si le taux moyen de refus de visas est de 16,3 % au niveau mondial, il atteint 45 % pour les demandeurs en Algérie. Toute ces difficultés vont à l’encontre des engagements pris par le Président de la République lors du discours de Ouagadougou. Nous voulons y remédier.

 

Tant que nous n’aurons pas vaincu cette pandémie, il faut s’attendre à des restrictions très sévères

Comment la crise sanitaire a-t-elle impacté la mobilité légale ?

Évidemment le monde s’est bloqué. Les aller-retours sont devenus exceptionnels. Et l’espace Schengen s’est depuis plusieurs mois fermé. Ça ne concerne pas uniquement les Africains mais le monde entier.

Pour l’instant, il ne s’agit pas de mettre en place un passeport sanitaire mais simplement de s’assurer que les personnes qui viennent en France n’apportent pas de virus ou de nouvelles souches de virus avec elle. Tant que nous n’aurons pas vaincu cette pandémie, il faut s’attendre à des restrictions très sévères.

Or la question des visas est encore plus cruciale à l’heure de la pandémie. Si les visas ne sont plus octroyés, si le regroupement familial est suspendu, ce sont des vies qui sont mises entre parenthèse. Et cela n’est pas acceptable.

 

Nous défendons le principe de mobilité entre la France et le continent africain

Pensez-vous que l’État français est beaucoup trop restrictif quant à sa politique de délivrance des visas ?

Insister sur l’expérience vécue par les demandeurs de visa plutôt que de se focaliser sur le volet sécuritaire nous parait être une bonne base de réflexion. Nous nous sommes mis dans la peau des demandeurs pour mener notre mission d’information. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il est difficile et anxiogène de venir en France.

Les visas dépendent ainsi de deux ministères : l’Intérieur et les Affaires étrangères. On constate que depuis plus d’une décennie, ce sont les préoccupations sécuritaires qui prennent le pas sur l’attractivité.

Nous pensons que c’est une erreur et que cela nuit à l’image de la France notamment en Afrique. Nous défendons le principe de mobilité entre la France et le continent africain. Parler d’immigration est déjà un terme qui est en soi polémique et passionnel. Non, il vaut mieux parler de circulation, de mobilité et de confiance.

 

Nous proposons d’augmenter la part des « passeports talents »

Quelles sont vos propositions pour améliorer l’organisation de la délivrance des visas ?

Pour limiter le poids sécuritaire sur la délivrance de visa, nous proposons par exemple d’instaurer un système de garant, nous proposons de délivrer plus de passeports talents, plus de visa multi-entrées etc. Bref, il faut fluidifier et faciliter la circulation notamment pour les personnes qui ne présentent aucun risque migratoire. Aussi, nous proposons d’augmenter la part des « passeports talents » délivrés aux ressortissants des pays d’Afrique subsaharienne.

Afin de remédier aux difficultés , nous proposons aussi qu’il soit possible d’obtenir un visa en 48h pour certains pays africains comme c’est le cas en Chine. Et pourquoi pas demain au Maroc ? En Algérie ? En Tunisie ? Ou encore dans des pays amis où les chefs d’entreprises, les enseignants, les fonctionnaires ne viennent en France que pour quelques jours. Je parle du Sénégal, de la Côte d’Ivoire etc.

Nous œuvrons également pour plus de fluidité administrative pour les multi-demandeurs. Une per- sonne qui a déjà respecté plusieurs fois ses visas précédents ne doit plus être traitée comme un primo- demandeur.

 

 

Le Conseil d’État a décidé de casser, le 20 janvier 2021, la décision du Gouvernement d’inter- rompre la délivrance de visas de regroupement familial aux conjoints et enfants d’étrangers non-européens résidant en France. Quelle est votre réaction ?

Par cet arbitrage, le juge estime que cette décision porte une atteinte disproportionnée au droit à la vie familiale normale et à l’intérêt supérieur de l’enfant.

Nous nous réjouissons de cette mesure qui met fin à une situation inique et qui intervient après la saisie du ministère de l’Intérieur sur le sujet par ma collègue Sira Sylla et moi même. En effet, voilà deux mois, nous avions écrit à Monsieur Darmanin pour lui demander de lever cette restriction inutile. Le Conseil d’Etat nous a suivi de près !

De plus, la décision du gouvernement constituait une injustice à l’échelle européenne dans la mesure ou plusieurs pays de la zone Schengen, à l’instar de l’Allemagne, la Belgique ou l’Italie, avaient autorisé la délivrance de ce type de visa.