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L’enseignement français à l’étranger à la croisée des chemins

Mission Laïque Française Jean-Christophe Deberre enseignement français à l'étrangerMission Laïque Française Jean-Christophe Deberre enseignement français à l'étranger
Jean-Christophe Deberre, directeur général de la Mission Laïque Française ©MLF
Écrit par Justine Hugues
Publié le 21 février 2019, mis à jour le 3 décembre 2020

Le gouvernement explore actuellement les pistes de réforme de l’enseignement français à l’étranger. Comment la Mission Laïque Française, opérateur historique qui gère 109 établissements du réseau, envisage-t-elle son avenir, dans un contexte budgétaire tendu et un environnement toujours plus concurrentiel ? Jean-Christophe Deberre, son directeur général, nous répond. 

 

Lepetitjournal.com : En mars dernier, le président Macron appelait au doublement du nombre d’élèves dans les lycées français à l’étranger d’ici 2030. Cet objectif est-il réalisable ? Qu’implique-t-il pour la Mission Laïque Française ?

 

Jean-Christophe Deberre : C’est la première fois qu’au plus haut niveau de l’Etat, un défi semblable est lancé à l’enseignement français à l’étranger (EFE) qui, jusqu’ici, a été considéré comme un accompagnement de l’expatriation française, en même temps qu’un outil d’influence de la France à l’étranger. L’ambition est désormais de faire de l’EFE un élément déterminant de la politique francophone de la France dans le monde. Le contexte et l’évolution du monde actuel ne rendent pas impossible l’atteinte d’un objectif aussi ambitieux, mais le compliquent. D’abord parce que dans un certain nombre de pays, il est très difficile de recruter des élèves nationaux.  Des pays comme la Chine ou l’Algérie, par exemple, sont plutôt restrictifs sur la possibilité offerte à leurs ressortissants d’accéder à un enseignement international. Or, le doublement du nombre d’élèves passera avant tout par ces enfants nationaux. Par ailleurs, la concurrence est de plus en plus vive, soit d’autres systèmes nationaux qui ont aussi un objectif international (européens, nord-américains), soit de dispositifs privés, ou d’établissements publics dont la qualité monte en gamme.

Cette configuration complexe est une chance : elle nous contraint à réfléchir à la qualité et la compétitivité de notre offre éducative.

Pour rester le fer de lance de la politique francophone de la France, on peut toujours spéculer sur la réorganisation du dispositif en termes financier ou de gouvernance. Bien sûr il y a l’Etat, mais il ne fera rien sans les partenaires ni la diversité des acteurs qui composent notre enseignement. Nous devons donc, avant toute chose, être capables de nous adapter et de rendre encore plus performante l'offre de nos établissements. 

 

De quels leviers d’action disposez-vous pour atteindre cette performance ?

 

La France, pays monolingue, doit prouver qu’elle est capable de faire apprendre en trois langues. S’il n’y pas de négociation possible sur la langue nationale, l’apprentissage de l’anglais à un très haut niveau est aussi impératif. La sensibilisation à l’anglais dès la première année de maternelle sera généralisée. En portant le programme, une histoire, et d’une certaine façon le sens de l’éducation que l’on délivre, la langue française doit aussi être irréprochable. Notre deuxième défi, d’ordre institutionnel et pédagogique, est d’intégrer les prescriptions académiques de nos pays d’accueil : faire passer également les diplômes nationaux, inclure des contenus nationaux en matière de civilisation, d’histoire-géo ou encore des enseignements du fait religieux… Cela nous oblige à opérer des réadaptations et des intégrations de plus en plus fortes au milieu local.

L’EFE est nécessairement un outil de coopération avec la culture locale et c’est là le mandat historique de la MLF.

Notre pédagogie aboutit à créer des êtres libres, respectés dans leur langue, leur croyance, leur vision du monde mais aussi ouverts à l’extérieur. 

 

Le rapport, très attendu, de Samantha Cazebonne sur l’EFE vient d’être remis au premier ministre. Que doit-on en retenir et peut-on en attendre ? 

 

C’est un rapport de bon sens en bien des points. Pour la première fois, et nous saluons cette démarche inaugurale, il est apparu essentiel d’interroger les parents d’élèves quand l’Etat a toujours jugé par lui même un objet de plus en plus financé par les usagers. Le rapport délivre un message d’alerte sur les changements du monde actuel et nous invite à penser au pluriel l’EFE. Il y a une diversité de situations correspondantes aux pays, aux cultures, aux langues, aux droits, qui exclue qu’on gère cela comme un objet commun qui pourrait se ranger derrière une unité de pensée. Comment fait-on vivre l’éducation nationale pour qu’elle devienne un objet international ? Quels professeurs ? Quelle qualité d’encadrement ? Est-ce que les métiers de l’EFE ne doivent pas faire l’objet d’une formation spécifique ? Ce sont autant de questions que la MLF a abordées depuis longtemps avec une série de dispositions, en collaboration avec des instituts de formation ou des académies en France. Nous verrons quelles réponses en tirent les pouvoirs publics. 

 

De nombreux parents d’élèves, via des collectifs et fédérations, demandent à être davantage représentés dans les comités de gestion des établissements et exigent des coûts contenus et prévisibles. Que leur répondez-vous ? 

 

Il est évident que nous devons faire un effort sur la transparence et la prévisibilité des frais de scolarité, qui devraient idéalement être établis de manière triennale. Toutes nos études de marché montrent que l’attractivité d’une école française est liée à la proximité vis à vis du foyer, la réputation et l’attractivité du système scolaire auquel elle appartient et enfin, son coût. Les lycées français à l’étranger doivent rester dans un registre médian acceptable par rapport aux écoles américaines et britanniques (en général plus chères), et au réseau privé local, moins cher. Il ne faut pas se couper de toutes les franges de population locales, qui ne comptent pas parmi les plus riches, mais qui sont, par leur histoire familiale ou la dynamique des migrations, culturellement proches de la francophonie et de l’enseignement français. 

 

Comment fait-on cela à budget constant et contraint ?

 

L’allocation des moyens publics doit être revue, c’est incontestable.

Le système scolaire français à l’étranger souffre de rigidités excessives. Jusqu’à présent, on a visé davantage la protection des personnels que l’intérêt des usagers.

Il faudra, à l’avenir, mieux répartir les moyens humains qui nous sont alloués. Si on raisonne à effectif constant, soit près de 10.000 titulaires de l’éducation nationale détachés (dont une grande majorité en Europe), il faut une présence renforcée dans les zones insuffisamment pourvues. Un premier signal vient d’être adressé en ce sens par le ministère de l’éducation nationale. A partir de 2019, les temps de séjour à l’étranger seront limités dans le temps. Cela devrait favoriser une plus grande mobilité et fluidité des affectations.  

 

Quels dispositifs de formation seront déployés à destination des agents locaux ?

 

A la MLF, il y a environ 40% de professeurs détachés français et 60% de droit local. Les métiers de l’EFE ne sont pas les mêmes que l’enseignement français en France. Les publics sont différents et on doit fournir à l’étranger un enseignement plurilingue ainsi qu’une pédagogie qui soit à la fois respectueuse du programme français mais capable d’accueillir des contenus extérieurs. L’exigence de formation s’adresse donc aussi aux professeurs français. Quant à nos collègues nationaux, nous avons la tâche immense et passionnante de les acculturer au programme français. Le succès de l’EFE ne peut pas s’accommoder d’un vernis de culture française. C’est pourquoi des processus de formation initiale certifiés doivent garantir la solidité des enseignants devant les élèves et que la formation continue fera l’objet d’une approche totalement renouvelée. La MLF développe ainsi le dialogue entre pairs, la problématisation des situations, l’interpellation du monde de la recherche pour qu’il puisse nourrir la culture scolaire à l’étranger de tout l’apport des sciences cognitives et comportementales sur les langues, la construction de l’enfant. L’évaluation est un autre aspect à renforcer. Les établissements sont aujourd’hui uniquement soumis à un regard français, qui commande la procédure d’homologation. Or, nous devons porter sur eux un regard régulier et global pour déterminer des modes d’accompagnement adaptés à leur propre contexte. De ce point de vue, tout est à faire. 

 

Le rapport de la députée Cazebonne appelle aussi à plus de coordination entre les différents acteurs de l’EFE. Quelles actions menez-vous en ce sens ? 

 

Nous développons déjà de nombreuses actions de coopération.  En Angola par exemple, nous avons créé des lycées nationaux, avec un programme local mais une gouvernance française. Après 10 ans d’expérience, ces établissements se situent en haut du tableau pour la qualité des élèves qu’ils forment. Au Maroc, nous participons au développement de lycées nationaux avec une ouverture internationale, afin qu’ils s’adressent à une population régionale, qui n’a pas nécessairement envie de fréquenter l’enseignement français mais qui souhaite une formation de très grande qualité, bilingue ou trilingue.

Si nous voulons continuer d’exister dans 20 ou 30 ans, nous devons apparaître à l’intérieur des dispositifs nationaux comme attractifs, intelligents, agiles, novateurs. 

 

Suite à l’annonce d’une hausse des frais d’inscription dans les universités françaises pour les étudiants étrangers, Samantha Cazebonne propose que les élèves ayant fait tout ou partie de leur scolarité dans un établissement français à l’étranger échappent à cette mesure. Quel regard portez-vous sur cette discrimination positive ? L’attractivité du supérieur français peut-elle passer par une hausse des frais de scolarité ? 

 

Soyons clairs. Les enfants qui fréquentent l’EFE sont de classe sociale plutôt aisée, donc poser une discrimination positive de ces jeunes là n’a guère de sens. Il faut faire confiance aux dispositifs de bourses afin que tous ceux qui en aient besoin puissent être accompagnés pour réaliser leurs études supérieures en France. La question ici est double. Un système gratuit est-il plus attractif ? La qualité de l’université française n’exige-t-elle pas plus de moyens ? C’est dans cet intervalle que se situe la décision prise par le gouvernement. Ce que nous observons dans nos établissements, c’est un engouement assez fort pour l’enseignement supérieur français. On peut estimer à la moitié ceux des bacheliers nationaux qui poursuivent leurs études en France. Nous devons continuer à être des agents de promotion de l’attractivité du supérieur français, tout en admettant que dans certains pays, les parcours de mobilité désirés ne se tournent pas nécessairement vers la France. Il faut savoir contextualiser les objectifs qu’on se donne en fonction de la culture dans laquelle on travaille. 

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