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B. Commelin : « Il faut donner de l’oxygène au réseau des Alliances »

Bertrand Commelin Fondation Alliance FrançaiseBertrand Commelin Fondation Alliance Française
Écrit par Justine Hugues
Publié le 17 février 2019, mis à jour le 3 décembre 2020

La langue française est-elle toujours aussi tendance ? Oui, si l’on en croit Bertrand Commelin. Mais l’Etat doit se donner les moyens de continuer à soutenir ses réseaux. Rencontre avec le secrétaire général de la Fondation Alliance Française, dans un contexte où notre diplomatie culturelle connaît des changements structurels. 

 

Lepetitjournal.com : Parlez nous du réseau des alliances et de sa dynamique actuelle…

 

Bertrand Commelin : On compte aujourd’hui 835 alliances dans 134 pays, ce qui représente à peu près 480.000 apprenants, pour un corps enseignant de 9.300 collaborateurs. La tendance est haussière : d’une année à l’autre, nous avons quelques pourcents d’élèves en plus et un solde de labellisation positif. En 2018 par exemple, nous avons octroyé 9 labels emblématiques, dont trois en Tunisie (Kairouan, Bizerte et Gafsa) et un à Siem Reap. Le président Macron appelait de ses vœux, dans son discours sur la francophonie l’an dernier, à l’ouverture de 10 alliances par an. Nous n’en sommes pas loin. 

 

Comment évoluent les crédits alloués aux établissements et à la Fondation, dans un contexte où les ambitions sont grandes en matière de francophonie et diplomatie culturelle ? 

 

Le taux d’autofinancement, qui est une marque de fabrique des alliances, est supérieur à 93%, provenant essentiellement des frais d’inscription ainsi que du mécénat local. Le nombre de directeurs expatriés a tendance à baisser : aujourd’hui, un directeur d’alliance sur 4 est rémunéré par l’Etat français. La capacité des alliances à se développer dans l’autonomie reste très forte et correspond à l’esprit des origines. On a un peu tendance à voir Paris comme le lieu où tout est né, mais il faut plutôt regarder là où tout s’est joué, à l’étranger. Sur le terrain, les alliances ne se considèrent pas comme redevables de la France mais comme lui apportant une vraie valeur ajoutée. C’est très vrai quand on y réfléchit. C’est un peu un miracle que des Français à la fin du XIXème siècle aient décidé de confier à des étrangers la mission de rayonnement culturel, linguistique de la France ; mission qu’ils accomplissent bénévolement, par amour pour notre langue, notre pays, la francophonie. 

 

Le budget de la Fondation est modeste, aux alentours de 3 millions d’euros, alimenté essentiellement par des revenus locatifs, financiers et une subvention de fonctionnement du ministère des Affaires étrangères. On reste une petite équipe avec de grandes missions : animer le réseau, lui donner les moyens d’exister, de mutualiser et travailler ensemble. 

 

L’animation du réseau continue donc d’être au cœur de votre mandat…

 

Oui, nous devons faire en sorte que les alliances ne se vivent pas solitaires ; ce qui n’est pas toujours facile. Il y a des pays où les réseaux sont denses, comme aux Pays-Bas, où, avec une alliance tous les 20 km, la notion de réseau tombe sous le sens. En Argentine, à l’inverse, il y a beau y avoir 53 établissements, le pays est tellement grand que les échanges ne se font pas spontanément. Par la régulation, en posant des cadres de fonctionnement notamment, nous développons cet esprit collectif, afin que les membres du réseau prennent conscience de la force qu’il représente et des moyens que donne finalement une forme d’union. Les chartes, de fonctionnement ou graphique, les statuts type, sont une manière d’adhérer à certaines valeurs. Au-delà des activités « régaliennes » de labellisation, nous offrons des conseils en gouvernance associative, qui est le terreau commun à toutes les alliances. Nous nous assurons par exemple que les élus renouvellent leur mandat, nous sensibilisons les établissements aux conflits d’intérêt… Nous organisons également des réunions régionales, et un colloque mondial, qui devrait avoir lieu à Paris, d’ici le début de l’an prochain. 

 

Le rapprochement de la fondation avec l’Institut français, en discussion depuis des années, a été récemment officialisé. Pouvez-vous nous rappeler pourquoi il est nécessaire et à quelle répartition des missions celui-ci devrait conduire ?

 

Depuis la création de la fondation en 2007, et l’Institut Français de Paris en 2010, lequel devait s’adresser à la fois aux alliances et aux instituts, les deux établissements n’ont jamais réellement travaillé ensemble et les réseaux se sont développés sur le terrain dans une logique propre, qui a parfois été vue comme peu lisible, voire contradictoire. C’est un argument discutable, car fondamentalement, les réseaux n’ont pas vocation à être unifiés. L’Institut français est un réseau qui promeut la langue et la culture française mais qui est porté par l’Etat, tandis que les Alliances Françaises le font dans un cadre délié des intérêts officiels de la France, même si leurs activités peuvent servir notre diplomatie culturelle et d’influence. De mon point de vue, la complémentarité existait et les situations de doublons quai inexistantes. 

 

Aujourd’hui, la logique de l’Etat est de clarifier les missions et de rationaliser l’allocation des moyens et donc, de donner à une entité plutôt qu’à deux. L’Institut français conserve ainsi toutes les activités liées à la prestation de services dans les domaines de la pédagogie, l’action culturelle, le débat d’idées, la professionnalisation des agents locaux, au service des instituts et des alliances. La fondation garde les activités liées à la labélisation et l’animation du réseau des alliances. In fine, il s’agit davantage d’une clarification et séparation des tâches que d’un rapprochement en tant que tel.

 

Comment ce rapprochement est-il perçu par les alliances sur le terrain ? Ne craignent-elles pas un recul de leur autonomie ou une complexité liée à la multiplication de leurs interlocuteurs ? 

 

Certaines choses restant encore à formaliser, la vague n’a pas encore traversé l’Atlantique ! Ceci étant dit, les Alliances restent complètement libres de recourir aux services que proposera l’institut. Notre souhait est évidemment que ce qui est proposé corresponde aux attentes. Au nom d’une plus grande lisibilité, nous devons éviter que  la quantité et la qualité des services rendus, qu’ils soient pédagogiques ou culturels, n’en pâtissent. Les alliances, en dépit de leur autonomie, dépendent des services qui leur sont apportés, surtout pour les plus petites et excentrées. Elles auront en effet différents interlocuteurs en fonction des registres. Nous évaluerons dans les prochains mois comment cela est vécu sur le terrain.  

 

Les ambassades devraient-elles avoir un rôle de coordination plus important ?

 

Le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères a souhaité, toujours dans cette optique de clarification, que la fondation mette fin à son système de délégués généraux des Alliances, qui étaient des coordinateurs des établissements dans un pays. Localement, les ambassades auront donc un lien direct avec les alliances, quitte à mettre en place des postes dédiés pour ce faire. 

 

Certains parlent, à terme, de fusion des deux réseaux. Est-ce envisageable ?

 

C’est impossible. La fondation est un organe de droit privé qui gère un réseau privé, et l’Institut français, un opérateur public de l’Etat. Je vois mal comment des associations de droit privé pourraient être mises sous la tutelle de l’Etat. Nous sommes arrivés au bout de ce que nous pouvions imaginer en terme de rapprochement. 

 

Pensez-vous, comme les discours officiels le suggèrent, que cette nouvelle architecture contribuera à renforcer l’influence de la culture et de la langue française dans le monde ?

 

Très honnêtement, le sujet aujourd’hui, c’est d’offrir des services d’au moins aussi bonne qualité au plus grand nombre d’alliances du réseau. Ce dernier repose sur des valeurs qu’il est actuellement compliqué de défendre. Le bénévolat par exemple, la vie associative, le mécénat et la capacité à collecter des ressources sont plus difficiles. Quand on y pense, c’était un peu héroïque qu’il y a 130 ans, des personnes donnaient de l’argent, de leur temps, pour créer des comités et envoyer des livres dans des pays où ils n’étaient jamais allés. Il fallait avoir une certaine image du rôle que la France pouvait jouer dans le monde. Nous sommes héritiers d’un incroyable dispositif qu’il faut continuer à soutenir. Pour la France, c’est essentiel de pouvoir compter sur deux réseaux qui coexistent, se rejoignent parfois dans des buts communs. C’est une manière de s’adresser au monde originale, enviée, et qui nous permet de toucher une population qu’on ne touche pas classiquement avec les moyens de l’Etat traditionnels. Le terreau francophile est encore là : des porteurs de projets émergent un peu partout dans des villes de 150.000 habitants. C’est fantastique ! Il faut donc préserver cela, non pas en subordonnant le réseau mais en lui donnant de l’oxygène. De notre côté, nous nous engagerons sans faille pour continuer à soutenir les établissements, sinon, la Fondation aura été sauvée pour rien. 

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