Frédéric Petit, Député des Français établis en Allemagne et Europe centrale, a accepté de rencontrer Lepetitjournal.com afin de discuter du développement de la diplomatie culturelle française, de l'élargissement de l'Union européenne ainsi que de la fiscalité des non-résidents.
lepetitjournal.com : Vous êtes rapporteur pour avis de la Commission des affaires étrangères. Quelles sont les nouvelles concernant les crédits alloués à la diplomatie culturelle et d'influence ?
Frédéric Petit : Le budget alloué à la diplomatie culturelle, en hausse de 17,9 % par rapport à l’année dernière, doit permettre la mise en œuvre de plusieurs priorités : un changement de dimension pour l’enseignement français à l’étranger, un renforcement de notre attractivité, tant dans l’enseignement supérieur que dans le domaine économique, ou culturel.
Les nouvelles sont bonnes. La subvention à l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE) est augmentée de 25 millions d’euros. Mais ce qui est différent aujourd'hui, c'est que l'action extérieure de la France se fait de manière plus partenariale et moins administrée de façon centrale. C’est dans cet esprit que la réforme de nos réseaux culturels ou économiques doit être prolongée.
La commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale s’intéresse d’ailleurs particulièrement à la réforme à venir de l’audiovisuel public car il s’agit de développer et renforcer son rôle déterminant d’influence dans le monde. Nous avons un audiovisuel dit ‘extérieur’, de très grande qualité, qui a la capacité d'émettre en quatre langues ; or, il est introuvable sur le réseau hertzien français. En Australie, pays d'immigration également, il est tout à fait possible d'avoir accès à des chaines publiques en de multiples langues. Je pense que ce serait assez utile d'avoir un journal public en anglais, en arabe, en espagnol, sur le sol français. France 24, par exemple, devrait pouvoir émettre en France, ça ne coûte rien, et ça renforcerait la qualité de notre audiovisuel public. Il en va de même pour les chaines françaises, inaccessibles depuis l’étranger : dès que j’ai passé le Rhin, je n'ai plus le droit de regarder la télévision publique française, de quelque manière que ce soit !
Quid des récentes réformes de l'AEFE ?
La réforme est engagée et elle va dans la bonne direction. L’AEFE se réorganise pour accueillir davantage d’élèves, accompagner la croissance des établissements existants et la création de nouvelles écoles, mieux associer les familles. Elle a déjà créé un service d’appui au développement du réseau, pour accompagner et suivre les initiateurs de projets et les investisseurs souhaitant développer une offre d’enseignement ; enfin, dans toutes les ambassades, la mise en place de plans locaux d’enseignement se développe. En 2019, on compte déjà une trentaine d’établissements supplémentaires et environ 15000 élèves de plus !
Certains voient cette réforme comme la privatisation d’un service public, ce qui est une vision profondément erronée de la réalité. Tout d’abord, il n'est pas exact de dire que l'ensemble des écoles du réseau AEFE est constitué d’écoles publiques. Sur environ 500 établissements, seuls un peu plus de 70 sont des lycées français gérés à 100 % par l’Etat. Les autres sont des structures privées et associatives où l’État français n'a pas forcément son mot à dire. Certains gouvernements locaux contribuent par ailleurs aux frais de fonctionnement des lycées français à l'instar de la Hongrie, ou du sénat de Berlin (où le lycée français est, de ce fait, gratuit). Objectivement, l'enseignement français à l’étranger est d’ores et déjà majoritairement privatisé, ou plutôt n’est pas « public », c'est un état de fait et ça fonctionne très bien ainsi. La réforme et la nouvelle organisation ne font que constater et encadrer cet engouement et cette dynamique partagée par de nombreux partenaires, pour développer notre réseau d’enseignement. Jusque-là, on ‘tolérait’ ces établissements dans une gestion de court terme qui n’était pas optimale.
Je précise également de façon très claire que les frais d’écolage pour les familles ne sont pas plus élevés dans les établissements ‘privés’ ou associatifs (non publics) comme on peut le sous-entendre ici ou là. C’est même souvent le contraire.
L'Assemblée nationale a adopté le 16 octobre un moratoire d'une année concernant la fiscalité des non-résidents ainsi que le principe d'une étude d'impact. Une décision que vous avez saluée comme les autres députés de la majorité. Qu'en attendez-vous ?
La réforme est positive. Elle est compliquée mais elle est positive. Je regrette la forte capacité de désinformation sur ce sujet. De nombreux expatriés en Allemagne m'ont ainsi demandé pourquoi ils seraient imposés deux fois ! Je le redis, l’application des conventions fiscales, les principes de résidence et de non-double imposition ne sont pas concernés, et continueront naturellement à être appliqués.
Il y a une nécessité cependant à rapprocher le système entre résidents et non-résidents sur les revenus de sources françaises. Des injustices perdurent, notamment du côté des gros revenus qui, pour échapper à l'impôt, se déclarent non-résidents. Ou encore du côté des petits revenus : par exemple sur un revenu de 900 euros qui sera imposé à 20 % même s’il constitue le seul revenu du foyer. Et on ne peut pas d’un côté considérer que le statut de non-résident doit exonérer de la CSG (ce qui est effectivement normal lorsqu’une personne est couverte localement par ailleurs), et s’opposer à la transparence et à l’harmonisation des revenus sur le sol français entre résidents et non-résidents.
Il est possible, à l’issue de la réforme, que certains revenus français finissent par être davantage imposés qu’ils ne le sont aujourd’hui, mais cela ne concernera que des bénéficiaires qui se trouvaient largement favorisés par rapport aux résidents, dans le système actuel. C’est précisément l’objet de l’étude d’impact détaillée et circonstanciée que nous allons mettre en œuvre durant cette année.
Là où l’État a tort, c’est de refuser aux non-résidents, dans certains cas, le bénéfice d'avantages fiscaux. Si je suis propriétaire d’une maison en France, que je vis à l'étranger et que je paie les travaux d'isolation de cette maison, pourquoi me refuserait-on l’abattement que l’on accorde aux résidents ? Les avantages et les dégrèvements liés notamment aux frais d’EHPAD, les dons aux associations de France, aux Restos du cœur par exemple, pourraient être réévalués et étendus aux non-résidents : in fine, cela est utile au pays.
Au début de son mandat Emmanuel Macron avait promis l'interdiction du glyphosate. Depuis, nous assistons à un rétropédalage. Pourquoi ?
Le glyphosate est bel et bien interdit, la décision est applicable dans un délai de deux ans. Ce qui est prévu dans la loi, c'est de laisser du temps aux organisations agricoles de s'organiser afin de cesser l'usage du glyphosate à terme, mais surtout de trouver de vraies solutions de remplacement. C'est une application décalée de la loi, votée au moment de son adoption.
Cette loi a apporté d’autres innovations, difficiles, mais peu médiatisées : ainsi le vendeur de produits ne pourra plus être en même temps le conseiller environnemental de l’agriculteur. Ces décisions, délicates à prendre compte tenu du poids des lobbies, permettront à terme de transformer le monde agricole et d’améliorer son rapport à la transition environnementale.
La France a refusé d'ouvrir les négociations pour l'adhésion de l'Albanie et de la Macédoine du nord. Il s'agit d'un report auquel l'Allemagne n'est pas forcément favorable. Y a-t-il de l'eau dans le gaz au sein du couple franco-allemand ?
Tout d’abord, il n'y a jamais eu de refus. L'adhésion de ces deux pays est évidente, et se fera. Je partage néanmoins l'agacement du Président à l’égard de l'attitude de certains pays de l’Union européenne. Tout à coup la France serait devenue moins porteuse de l’idée européenne parce qu'elle exprime des réserves, connues et annoncées de longue date ? Le message adressé par l’exécutif en l’occurrence était moins dirigé vers les pays concernés que vers certains membres de l’Union européenne, prompts à défendre les grands symboles, mais qui trainent les pieds dès qu’il s’agit de rénover et réformer le fonctionnement de l’Union pour le renforcer. Que signifie d’accepter symboliquement l’ouverture de négociations, qui prendront du temps avant l’intégration définitive, tout en refusant l’augmentation du budget européen, de créer des recettes propres, d’alléger les modes de décision à l’intérieur de l’UE, etc.
Quant à la France et l'Allemagne, rarement deux pays n'auront été aussi proches du point de vue des politiques d'intégration, de la coopération de la société civile.
En ce qui concerne l'ouverture des négociations avec l'Albanie et la Macédoine du Nord, la position allemande est peut-être teintée d'affect, mais elle ne règle rien des grandes questions d’équilibre et de solidarité financières et économiques. La mobilité européenne, par exemple, est souvent citée comme un exemple de réussite en Europe. Or, je suis bien placé pour savoir qu’il y a un risque aujourd’hui de mobilité déséquilibrée. Certaines régions d’Europe se vide de leur jeunesse alors que dans les dix ans qui viennent, elles en auront un besoin vital. On risque de reproduire la même erreur avec les Balkans qu'avec la désertification des zones rurales en France.
Ces questions font partie de l’équation en ce qui concerne l’élargissement. Je comprends donc la position du président de la République : il est préférable de dire les choses aujourd’hui et en profiter pour faire réellement bouger les lignes auprès de nos partenaires européens.