Dans cette interview exclusive, Amélia Lakrafi revient sur l’importance de la libération de la parole pour les victimes de violence conjugale à l’étranger. La députée des Français d’Afrique, du Moyen-Orient et de l’océan Indien évoque les difficultés mais aussi les forces des communautés françaises dans sa circonscription, et notamment au Liban.
Comment s’organise votre travail parlementaire pendant cette période si complexe ?
Le contact avec les Français de ma circonscription me manque car il y a beaucoup d’idées qui remontent lors de discussions plus informelles. Comme je le dis souvent : « Nous sommes plus intelligents à plusieurs ». J’ai donc relancé des réunions en visioconférence avec les Français de l’étranger par pays. Je regroupe aussi par pays pour les permanences parlementaires.
Pour ce qui est de mon travail à Paris, dans le cadre du Projet de loi de Finances, mes collègues et moi-même travaillons en amont avec le gouvernement et les cabinets pour qu’ils prennent en compte les besoins des Français de l’étranger.
Je suis également très prise par mon rapport pour avis budgétaire sur le commerce extérieur. J’ai déjà réalisé une vingtaine d’auditions dans ce cadre. Je veux donner un prisme numérique à ce rapport. Le Covid-19 nous a montré que sans numérique le confinement aurait été un black-out total. Je veux donner une place plus importante au numérique.
Il faut davantage valoriser la French Tech
Quels sont justement les enjeux du numérique pour nos entreprises françaises et comment les Français de l’étranger y contribuent ?
Les entreprises françaises qui ont des liens avec des partenaires à l’étranger sont celles qui s’en sortent le mieux dans leur commerce extérieur. J’aimerais créer plus de ponts, plus de liens, et utiliser notre vivier incroyable de Français à l’étranger. Les conjoints suiveurs qui n’ont souvent pas de travail sur place, sont une mine de ressources à exploiter pour aider nos exportations. J’essaie de voir comment nous pouvons mettre cela en place pour aider nos entreprises à s’implanter à l’étranger.
Dans le secteur du numérique, nous avons beaucoup de chance car il y a une véritable marque France. J’ai pu me déplacer dans 40 des 49 pays de ma circonscription, et partout la French Tech résonne et est toujours synonyme de qualité. Notre communauté French Tech est très dynamique et permet de mettre en lien les entreprises françaises à l’étranger. Il faut davantage la valoriser.
Il faut donner un coup de pouce à ces entrepreneurs qui font rayonner la France
Les entrepreneurs français à l’étranger se sentent oubliés des mesures d’urgence. Comment peut-on répondre à leur détresse ?
Il faut donner un coup de pouce à ces entrepreneurs qui font rayonner la France et qui aident les populations locales en les employant. J’ai bataillé et harcelé les ministères et l’Agence Française de Développement pour aider ces entrepreneurs français à l’étranger. Nous avons réussi à obtenir, malheureusement uniquement pour l’Afrique, un dispositif de prêt garanti pour les TPE et PME dirigées par des Français. 160 millions d’euros ont été débloqués. Nous demandons maintenant que ce dispositif soit étendu à d’autres régions du monde, en particulier l’Asie.
Je milite aussi pour que les 50 millions d’aides sociales, très peu utilisés pour le moment, soient accessibles aux dirigeants français de petites structures.
On a longtemps évoqué un retour massif des Français expatriés. Ces craintes sont-elles fondées dans votre circonscription ?
Malgré ce que l’on aurait pu craindre, ce n’est pas le cas dans ma circonscription. Il y a beaucoup moins de cas de Covid-19 qu’en France et ils s’y sentent bien plus à l’abri. Les expatriés ont leur vie sur place et la grande majorité n’a pas de bien immobilier en France. Revenir de l’étranger serait très compliqué pour eux.
La situation au Liban inquiète cependant. Peut-on espérer une sortie de crise rapide ?
Les mots « rapide » et « sortie de crise » ne vont pas ensemble au Liban. La classe politique n’est pas d’accord entre elle. Pour le coup, les résidents au Liban quittent le pays, non pas à cause du Covid-19, mais à cause de la situation économique. Les avions sont pleins au départ de Beyrouth. Je suis inquiète. Je me demande si les Libanais vont de nouveau sortir dans la rue. Ils sont résignés. On voit que plus de 50% de la population est passée sous le seuil de pauvreté, dont près de 25% en extrême pauvreté. C’est atroce.
Le mot « désespoir » est souvent revenu
Vous avez fait partie des deux voyages du président Macron au Liban. Quelle est la situation des Français sur place ?
Sur les 24000 Français enregistrés au Consulat, 80% des expatriés sont franco-libanais. Ils sont donc autant français que libanais et subissent cette crise de la même façon. Lors de ces déplacements, le mot « désespoir » est souvent revenu. Ils ont tous vu en Emmanuel Macron un sauveur, ce qui peut engendrer quelques déceptions mais ils sont plutôt heureux que le président s’intéresse autant à leur sort. Ils en attendent beaucoup mais au Liban, les différents partis politiques qui représentent les différentes confessions religieuses doivent se mettre d’accord, le Président est très actif, et prend le problème au sérieux mais il s’agit d’un pays souverain et il agit et accompagne dans le respect de la souveraineté.
Les couples dans cette situation ne doivent pas hésiter à me contacter.
Les couples binationaux ont passé des mois sans pouvoir se voir et ont manifesté leur mécontentement notamment au travers du mouvement #Loveisnottourism. La France commence à délivrer des laissez-passer. Que pouvez vous répondre à ceux qui regrettent la lenteur de la mise en place de cette procédure ?
Nous bataillons chaque jour sur ce sujet. J’en discutais encore hier avec Jean-Baptiste Lemoyne. Les ministres veulent nous aider mais souvent des blocages apparaissent au sein de l’administration. Je regrette qu’on ait mis une équipe à Paris pour centraliser les demandes alors que les Consulats sont les plus à même de les traiter. J’espère que nous pourrons avancer dans la bonne direction et que l’administration pourra écouter davantage les ministres. Ce n’est pas gagné. Les couples dans cette situation ne doivent pas hésiter à me contacter. Cela ne me pose aucun problème d’intervenir en leur faveur.
Nous avons demandé à ce que les Consulats soient plus actifs sur ce sujet
Les violences conjugales et en particulier les violences faites aux femmes sont un sujet majeur de la présidence d’Emmanuel Macron. On parle cependant beaucoup moins du cas des femmes françaises à l’étranger. Quels sont leurs recours ?
C’est un sujet qui me tient particulièrement à coeur et sur lequel je me suis positionnée dès le Grenelle des violences conjugales lancé par Marlène Schiappa. J’ai travaillé avec ma collègue Samantha Cazebonne sur les situations à l’étranger. J’ai reçu des centaines de témoignages atroces. On se rend compte que c’est tout le temps le même schéma. Neuf fois sur dix la femme suit son conjoint et ne travaille pas. Elle passe sa journée toute seule. Les tensions au sein du couple montent. En Asie et en Afrique, les hommes français se trouvent soudain très beaux et deviennent très difficiles avec leur compagne. Les premiers coups arrivent vite. Les maris coupent les vivres à leur épouse et elles se retrouvent isolées et démunies. Les communautés françaises à l’étranger sont comme des villages et les femmes ont honte d’en parler. La honte doit changer de camp.
Nous avons demandé à ce que les Consulats soient plus actifs sur ce sujet et qu’il y ait un affichage partout. Il y a déjà un numéro de téléphone accessible partout dans le monde (+ 33 1 8 052 33 76). Un agent par poste devra aussi être formé à la première écoute. Les Consulats de Tunisie, de Singapour, aux Emirats et à New York font déjà un travail remarquable. Il est essentiel de trouver un référent dans chacun des consulats pour conseiller, mettre à disposition des coordonnées d’avocat et expliquer les procédures locales. Il est important que les entreprises françaises protègent aussi les conjoints de leurs salariés. Je dois être mise en relation avec le CINDEX, club inter-entreprises sur les stratégies et politiques de mobilité internationale, pour évoquer ces problématiques. Un rapport annuel sera également réalisé pour évoquer cette situation, dont on ne parle malheureusement pas assez.