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Amélia Lakrafi : « Je veux créer un lieu d’échange »

Amelia LakrafiAmelia Lakrafi
Écrit par Sandra Camey
Publié le 15 juillet 2020, mis à jour le 16 juillet 2020

Amélia Lakrafi, députée de la 10e circonscription des Français de l’étranger, a lancé la Fédération Internationale des Bienfaisances et Entraides des Français résidant à l’étranger (FIBRE), un réseau pour soutenir ceux qui aident les expatriés à l’étranger. La députée nous évoque également son combat pour plus de justice et de soutien dans sa circonscription.
 



Pouvez-vous nous expliquer ce qu'est la Fédération Internationale des Bienfaisances et Entraides des Français résidant à l’étranger (FIBRE) ?

Cette fédération a été créée dans le but de fédérer les Organismes Locaux d’Entraide et Solidarité (OLES). Présents dans 119 pays, ce sont des associations de droits locaux gérées par des expatriés français, souvent des retraités, qui aident d’autres Français de l’étranger démunis. Les consulats leur réservent une ligne budgétaire mais cette aide n’est pas suffisante. Certains OLES ne savent pas remplir la demande pour l’obtenir.

Durant mes trois années sur le terrain, j’ai rencontré beaucoup d’entre eux. Certains sont spécialisés dans la visite des prisonniers français pour leur ramener des médicaments ou des livres. D’autres font également des colis alimentaires pour les familles les plus démunies, les préparent pour la rentrée scolaire ou bien aident les Français dans leurs démarches administratives. Tout ceci est fait dans l’anonymat. Ces organismes sont isolés les uns des autres, ne se connaissent pas et communiquent très peu. Malheureusement nous n’avons pas d’assistance sociale dans tous les pays et les OLES ont beaucoup de mal à trouver des personnes qui restent dans le pays et qui s'intéressent aux plus démunis tout en connaissant l’administration locale et le domaine social.


Avec la Fédération Internationale des Bienfaisances et Entraides des Français résidant à l’étranger (FIBRE), je veux créer un lieu d’échange. Nous avons commencé par une page Facebook ainsi que la création d’un forum fermé, pour que les organismes puissent se rencontrer et rompre l’isolement pour créer du lien entre elles et s’échanger des bonnes pratiques. Nous souhaitons développer la FIBRE à l’image de la FIAFE, le réseau des Accueils d'expatriés francophones à l'étranger qui, une fois par an, réunit tous les organismes d’accueil à l’étranger à Paris et propose des ateliers d’accompagnement.


La crise a fait apparaître de nouvelles personnes dans le besoin

Quelles sont les difficultés rencontrées par les OLES particulièrement pendant la crise sanitaire ?

Les situations sont désastreuses. Certains organismes avaient des garants mais aujourd’hui n’ont plus de fonds car plus aucune d’entreprise ne donne d’argent. Ceux qui arrivaient à avoir des dons de particuliers ont subi le même sort, les personnes ne pouvant plus aider. Beaucoup d’entre eux m’ont crié leur détresse à maintes reprises. En plus des personnes qui sollicitaient déjà de l’aide comme des colis alimentaires, la crise a fait apparaître de nouvelles personnes dans le besoin. La plupart des organismes ne peuvent pas satisfaire tout le monde. Les problèmes sont encore plus graves au sein de l’OLES de Beyrouth qui subit de plein fouet la crise libanaise. Je me suis alors rapprochée de la secrétaire générale du Secours populaire, Henriette Steinberg, pour nous aider avec le Liban et faire un appel aux dons. 



 
 


Nous sommes bien loin du cliché des Français de l’étranger riches à l’abri de tous les problèmes


Quelle est la situation des Français dans votre circonscription depuis la pandémie ?

Très peu sont rentrés en France. Les résidents français restent dans leur pays d’accueil. Au Gabon, il y a eu majoritairement des retours de Français de passage, à Madagascar ce sont 150 expatriés à être rentrés en France sur les 17000 résidents. Les expatriés se sont aussi rendus compte que l’épidémie était beaucoup plus forte en France que dans leur pays d’accueil. A contrario, ceux qui ont des enfants ou ceux qui sont plus fragiles avec des pathologies pouvant avoir des facteurs aggravants, sont rentrés en France. Mais ces chiffres là restent tout de même faibles.


Par contre, je pense que nous allons faire face à une vague de retours due aux conséquences économiques. En ce moment, il y a surtout une demande des Emirats où beaucoup ont perdu leur emploi. Aux Emirats, les salaires ont été divisés par deux. Nous sommes bien loin du cliché des Français de l’étranger riches à l’abri de tous les problèmes. Beaucoup de personnes ont décidé de s’expatrier car elles ne trouvaient pas de travail en France. Avec un Bac+5 aux Emirats, ils ont décroché un travail en une semaine. Certes le salaire peut paraitre très élevé mais lorsque le loyer et la vie y sont chers, le privilège n’existe plus. De plus, si une personne perd son emploi, elle perd son autorisation de rester sur le territoire et dans les 15 jours vous devez déménager. Si vous n’avez pas de biens en France ou de la famille, qui vous accueille ? Où allez vous ? Aux Emirats comme dans tout le Golfe, les situations sont parfois précaires et cela va s’aggraver avec la crise sanitaire.

 

Nous ne laisserons pas tomber notre réseau culturel

Les réseaux culturels français à l’étranger ont particulièrement souffert de la crise. Que proposez-vous ? 


Nous en avons parlé avec le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean- Yves Le Drian, nous ne laisserons pas tomber notre réseau culturel et ils seront accompagnés. Nous ne savons pas encore comment cela va se passer mais avec nos collègues nous travaillons sur ce sujet. Il est hors de question d’abandonner nos Instituts et leurs valeurs. 


Pour les Alliances, nous avons constaté qu’un tiers d’entre elles sont dans de très grandes difficultés, un tiers souffrent mais elles sont aidées sur place et le dernier tiers s’en sort très bien. Le succès de ce dernier tiers s’est fait grâce au développement d’activités en ligne et par leurs recherches de nouveaux clients et visiteurs. Dans ma circonscription, l’Alliance française au Kurdistan irakien a de nouveaux clients d’Irak qu’elle n’avait jamais eu auparavant. Elle a notamment développé les visioconférences, les programmes vidéos et les collectes. Cela ne veut pas dire que les réseaux culturels qui ont su appréhender la crise s’en sortent pour autant. Pour cela, des projets d’aides financières sont en préparation.


Suite au Sommet des Etats du G5 Sahel de Nouakchott, que pensez-vous de l’engagement de la France au Sahel ?

Lors du G5, j’ai trouvé qu’il y avait des injustices. Un pays comme la Mauritanie qui consacre un budget militaire conséquent à la surveillance de ses frontières et qui ne connaît aucun attentat depuis 10 ans n’a pas particulièrement été mis en avant. Le président de la République islamique de Mauritanie, Mohamed Ould El- Ghazaouani, a fait un programme de développement pour la santé et l’éducation, dont la construction de nouvelles écoles. Les Emirats les ont aidés à financer car la Mauritanie avait déjà tout investi dans sa sécurité. Les Mauritaniens ont confiance en leur armée, contrairement aux pays voisins et ils se sentent par conséquent punis. Certains Etats ne semblent pas faire autant d’efforts mais touchent de nombreuses aides. Pourquoi nous n’accompagnons pas les pays du Sahel qui savent se protéger ?


Après le sommet du G5 Sahel, j’ai demandé si nous allions parler des massacres ethniques, notamment les Peuls au Mali et j’ai appris l’après-midi même que le Président Emmanuel Macron avait fait un communiqué de presse pour en parler. Cela m’a rassurée.


 

Nous nous sommes suffisamment enrichis et développés sur le dos de l’Afrique

Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous plaidez pour l'annulation de la dette extérieure de ces pays ?


A l’époque de la France-Afrique, la France et les Occidentaux ont beaucoup plus gagné que l’Afrique. Nous nous sommes suffisamment enrichis et développés sur le dos de l’Afrique alors que les Africains se sont battus pour nous pendant nos guerres. Je pense donc que nous leur devons bien cela et qu’ils le valent bien. L’Afrique ne s’est pas encore rendue compte de sa valeur et il faut qu’elle arrête de vouloir plaire à l’Occident. Par exemple, si nous équipions la République Démocratique du Congo correctement, avec l’eau qu’elle possède, elle pourrait fournir de l'électricité à toute l’Afrique.


Nous entendons souvent dire « attention, à la surpopulation de l’Afrique » mais depuis l’esclavage c’est le seul continent qui ne s’est pas développé et qui n’a pas développé sa population. Il est celui le moins peuplé au mètre carré.


J’ai été séduite par le discours d’Emmanuel Macron qui a décidé de vouloir couper avec la France-Afrique. Pour vous donner un exemple concret, beaucoup de pays ont demandé aux présidents précédents de rendre les héritages africains au continent mais tous ont refusé, sauf Emmanuel Macron. Nous ne nous rendons pas compte de l’importance de ce symbole. La France a ainsi rendu à l’Algérie les crânes des premiers combattants anti-coloniaux, dont les dépouilles étaient conservées au Musée d'histoire naturelle à Paris. C’est inédit dans notre histoire, pourtant la presse en a peu parlé, ce qui est dommage. 


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