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Les fausses nouvelles, danger ultime pour nos démocraties

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Jean-Yves le Drian, le 4 avril au Centre de conférences ministériel
Écrit par Adrien Filoche
Publié le 8 avril 2018, mis à jour le 10 avril 2018

Elles ont toujours existé. Les fausses nouvelles ou ‘’fake news’’. Mais avec la poussée du numérique, leur caractère viral s’est très largement amplifié, venant ébranler les piliers, parfois fragiles, de nos démocraties. La question, urgente, persiste : comment gagner la guerre contre la désinformation ?

Six Français sur 10 déclarent s’informer sur Internet, première source pour les moins de 35 ans selon une étude menée par le think tank La Villa Numéris. Depuis la dernière décennie, la toile est devenue le terrain stratégique de l’information. Une grande problématique découle de cette mutation. Avec Internet et les réseaux sociaux, tous deux intrinsèquement liés, les informations erronées circulent désormais bien plus rapidement que les informations correctes. On parle alors de ‘’fake news’’ ou fausses nouvelles, un phénomène à l’augure funeste. ‘’Nos démocraties ont tardé à prendre conscience de la gravité des fausses informations’’, a souligné Jean-Yves le Drian, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, mercredi dernier, dans un discours prononcé lors d’une conférence intitulée ‘’Les démocraties face aux manipulations de l’information’’ au Centre de conférences ministériel. 

Durant ce colloque, la ministre de la Culture Françoise Nyssen et Bruno Studer, rapporteur sur la proposition de loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information, sont revenus sur quelques axes du projet, dont les modalités font l'objet de discussions au Sénat depuis le 3 avril. Parmi les mesures évoquées, le texte propose de pouvoir, durant les périodes électorales, saisir un juge dans les 48 heures afin de supprimer une désinformation à caractère politique. Une autre ouverture sera discutée sur la consolidation du rôle du CSA (Conseil supérieur de l’Audiovisuel). Le gouvernement souhaite permettre à l’instance de régulation de suspendre la diffusion de chaînes étrangères suspectées de déstabiliser un scrutin. Un renforcement en période électorale, donc, qui fait écho aux ingérences russes perpétrées durant les dernières élections présidentielles française et américaine. 

En temps général, Françoise Nyssen a suggéré trois critères, cumulatifs, nécessaires avant toute suspension d’une fausse nouvelle. Celle-ci devra être ‘’artificielle, c’est-à-dire que les auteurs agissent pour acheter de l’audience, être diffusée massivement, et manifestement fausse’’.  

Protéger la démocratie de l’ingénierie de la désinformation

‘’La meilleure protection de la démocratie, c’est la démocratie elle-même’’, souligne la ministre de la Culture, une démocratie devant notamment s’appuyer sur la force des journalistes, ‘’sa plus grande arme.’’ Un avis partagé par le ministre des Affaires étrangères, qui poursuit : ‘’il ne peut y avoir de vie démocratique sans un espace public nourri par le travail des journalistes’’. 

Concernant la pratique, la déontologie et le savoir-faire, les journalistes savent dans quels domaines ils doivent progresser. Depuis plusieurs années, ils sont nombreux à avoir développé des outils capables d’enrayer l’effusion des ‘’fake news’’. Il existe aujourd’hui trois fois plus d’outils de vérification qu’il y a quatre ans, à l’instar du Reality Check de la BBC ou encore du CheckNews de Libération. (Voir notre interview de Samuel Laurent des Décodeurs du Monde). Récemment, Reporters Sans Frontière a proposé la mise en place d’un dispositif innovant contre la désinformation appelé JTI (Journalism Trust Initiative). Ses grands axes sont les suivants : soutenir les médias proposant des contenus informatifs positifs avec une liste blanche ou un label, faire en sorte que les annonceurs favorisent les informations qualitatives et que les plateformes, type Facebook et Google, coopèrent plus dans la lutte contre la désinformation, dans l’optique finale d’instaurer un cercle vertueux où la déontologie et les contenus travaillés jouissent d’une meilleure visibilité. Le problème est qu’aujourd’hui, une information de qualité a un coût, de plus en plus difficilement rentabilisé du fait qu’elle est quasiment toujours moins diffusée qu’une ‘’fake news’’ .

Il faut donc frapper au portefeuille les sites relayant des désinformations. ‘’Les plateformes ne peuvent pas faire du profit sur le dos des démocraties’’, martèle David Lacombled, président de La Villa Numéris. C’est aussi à nous tous qu’il convient de modifier nos comportements, Jean-Yves le Drian en est convaincu. ‘’Chacun doit faire preuve au quotidien d’une forme d’hygiène informatique’’, c’est-à-dire s’adapter face à cette ‘’ingénierie de la désinformation’’. 

Collaborer avec les plateformes, c’est possible ? 

Comme chaque bataille, il ne peut pas y avoir de victoire sans collaboration. 

Jusqu’à présent, les grandes plateformes numériques ont refusé de prendre au sérieux le phénomène, a critiqué Jean-Yves Le Drian

Dans le projet de loi contre la manipulation de l’information, on retrouve l’idée d’instaurer un devoir de coopération de la part des plateformes pour endiguer la propagation des ‘’fake news’’. Un dispositif qui existe déjà pour les contenus à caractère terroriste. Harlem Désir, ancien secrétaire général des Affaires étrangères, a avancé le chiffre de 50 millions d’euros d’amende ‘’pour les plateformes qui ne respectent pas les règles de retrait des contenus’’. D’autre part, le Premier ministre, Edouard Philippe, a rappelé lors de son discours de présentation du plan national de prévention de la radicalisation que si les plateformes ne coopèrent pas dans les trois mois qui viennent s’agissant du retrait des contenus illicites, la France soutiendra à Bruxelles une initiative législative européenne pour les contraindre à le faire. Plus de coopération donc, mais aussi plus de transparence de la part des entreprises, notamment sur le grand flou des algorithmes. 

D’une pierre deux coups, l’objectif est autant d’enrayer la diffusion des ‘’fake news’’ que d’offrir une véritable égide aux données des internautes. Souvent mises à mal, comme l’a révélé le scandale Cambridge Analytica, où les renseignements personnels de 87 millions d’utilisateurs Facebook ont été siphonnés, nos données méritent une protection toute particulière. 

En plus de la collaboration indispensable des GAFA, les pays doivent s’accorder dans une lutte globale contre la manipulation de l’information. Au niveau national ‘’les acteurs publics ne sauraient fournir à eux seuls une solution définitive. C’est aussi aux sociétés civiles de développer des anticorps afin d’assurer notre résilience collective’’, explique le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères. 

L’éducation, l’arme spéciale pour contrer les fausses nouvelles ?

‘’Le projet de loi contre les fausses nouvelles est nécessaire, mais ne suffira pas’’, estime Françoise Nyssen. C’est bien par l’éducation que nos démocraties parviendront à stopper, ou du moins limiter la propagation des ‘’fake news’’. La ministre de la culture a annoncé pour cette année une hausse de son budget, passant de 3 à 6 millions d’euros, afin de stimuler l’éducation des jeunes au numérique. Encore trop peu développées, ces formations peinent à trouver des financements, même si certaines ont déjà vu le jour. 

Depuis quatre ans, Rose-Marie Farinella expérimente un programme d’éducation aux médias pour permettre à ses élèves -la plupart en fin de cycle primaire- de devenir de véritables détectives du web, des ‘’hoax buster’’ comme elle aime à les appeler. Débusquer les ‘’fake news’’, les montages photographiques, analyser des informations et insister sur l’importance de croiser l’information et la vérification source, voilà le fonctionnement des cours de Rose-Marie Farinella. Pour son travail remarquable, l’enseignante a notamment reçu le prix UNESCO Media and Information Literacy. 

Une éducation numérique dès le plus jeune âge apparaît comme indispensable, et doit se poursuivre au sein des cursus universitaires et des institutions chargées de former les cadres des administrations publiques. ‘’Les projets d’éducation aux médias sont décisifs’’, confirme Jean-Yves le Drian. Il semble juste d’affirmer que sans éducation, n’importe quel projet de loi contre les fausses informations aura simplement l’effet d’un pansement appliqué sur une jambe de bois. 

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Publié le 8 avril 2018, mis à jour le 10 avril 2018