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SAMUEL LAURENT – "Le fond du Décodex c’est vraiment de respecter les faits"

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Écrit par Noémie Choimet
Publié le 9 janvier 2018, mis à jour le 10 janvier 2018

Le complotisme et les fake news ont un impact considérable sur l'opinion française. C'est ce que vient de révéler une étude de l'Ifop pour la Fondation Jean Jaurès et l'observatoire Conspiracy Watch. "La plupart des théories du complot soumises à l’échantillon recueillent des niveaux d’approbation préoccupants" peut-on lire dans les conclusions de l'enquête. Par ailleurs, "les jeunes sont particulièrement perméables au conspirationnisme". 

Complotisme
Source: fondation Jean Jaurès

79 % des personnes interrogées croient à au moins une théorie du complot. Ainsi, "l’énoncé selon lequel le ministère de la Santé serait de mèche avec l’industrie pharmaceutique pour cacher au grand public la réalité sur la nocivité des vaccins recueille 55 % d’adhésion. La théorie du complot sur l’apparition du virus du sida est partagée par un sondé sur trois. Enfin, près d’un sondé sur dix est d’accord avec l’affirmation qu’« il est possible que la Terre soit plate et non pas ronde comme on nous le dit depuis l’école »".

Face à ce phénomène, nous reproduisons ci-dessous l'entretien que nous avait accordé Samuel Laurent, journaliste au Monde et initiateur du Décodex en mars 2017.
Conçu comme un guide de lecture, l'instrument veut aider les internautes à démêler le vrai du faux en évaluant la fiabilité des informations diffusées sur les sites internet. Le Décodex lui même a fait débat.

Lepetitjournal.com : Comment l'idée de cet outil a-t-elle germé ?

Laurent Samuel : À la base nous faisions de la vérification du propos politique. Du « fact checking » classique. Et puis de plus en plus, nous nous sommes mis à vérifier des rumeurs. Je pense qu'il y en a toujours eu autant, mais elles étaient sans doute moins crues avant.

En faisant cela, on s'aperçoit vite qu'on ne peut pas en faire 150 par jour, alors qu'il y en a 150 par jour.

Les « fake news » profitent du fait que sur Internet, les usages changent. Sur une timeline Facebook, vous n'avez pas le même effet de hiérarchie de l'information que sur un site d'information classique. Et c'est difficile finalement de savoir si vous êtes en train de lire quelque chose de fiable ou non. Surtout quand vous n'êtes pas habitué à ces codes Internet.

L'idée, c'était de se dire : comment peut-on faire en sorte que les gens arrêtent de tomber dans des panneaux ? Que ce soit à propos de sites politiques ou bien de sites parodiques, comme Le Gorafi par exemple, que certains ne connaissent pas. L'idée c'était de faire un guide de lecture.

Il y a eu sur Internet une véritable levée de bouclier quand le Décodex a été lancé. Comment avez-vous réagi et que répondez-vous aux critiques qui dénoncent le fait que vous puissiez être, à travers ce nouvel outil, à la fois juge et parti ?

Il y a plusieurs choses dans ces critiques. Il y a d'une part une critique liée à Internet. Internet a toujours été un espace de liberté absolue de l'information. Tout ce qu'on peut faire en matière de régulation est toujours très mal accueilli. Il y a donc une critique un peu générique qu'on attendait.

Il y a ensuite une critique qui était elle aussi assez attendue, qui est celle des sites qu'on a « flaggé » comme diffuseurs de fausses nouvelles. Il était assez logique qu'ils ne soient pas très contents.

Et enfin il y a une critique effectivement plus fondée. Mais notre démarche est une démarche ouverte, nous n'avons pas écrit les ?'Tables de la Loi''. On a essayé de penser un outil pour le plus grand nombre, et nous n'avons pas réfléchi l'outil pour complaire à la critique des médias ou d'un universitaire Bac+8.

Notre souci n'est pas de juger les autres médias, de mettre une mauvaise note au Point ou à l'Express par exemple. C'est de donner des informations complémentaires. Si vous installez Décodex et que vous allez sur le Point vous allez avoir « journal fondé en 1972 » vous avez des informations sur qui sont les gens, et d'où ils parlent.

On vous dit que le Figaro, ça appartient à Serge Dassault, on vous dit que Médiapart est indépendant. Ce sont des informations qui nous semblent être du domaine de l'information donc je ne vois pas bien en quoi on juge.

Tant qu'un site respecte les faits, il n'y a pas de problème. Le fond du Décodex c'est vraiment ça, respecter les faits.
Le but n'est pas d'offrir un outil qui vous dirait ce qu'il faut penser et ce qu'il faut dire. On ne vous bloque pas l'accès à un site et on ne dit pas « attention ne lisez pas ça ».

Nous prenons en compte un certain nombre de critiques, nous les entendons, elles sont tout à fait légitimes pour certaines. Nous allons essayer d'améliorer et d'affiner l'outil, c'est une version d'essai pour le moment.

 

N'aurait-il pas été plus légitime que l'Etat garantisse la liberté d'expression sur le net tout en régulant l'information et en surveillant les dérives (cf. le CSA) ?

C'est possible. Est-ce que ça n'aurait pas été encore plus mal perçu si ça avait été l'État qui l'avait fait ? À un moment donné, il fallait être pragmatique. On peut attendre pendant des années qu'un acteur se lève. Nous nous sommes dit : ?'on le fait'' même si nous n'étions peut-être pas les plus légitimes.

Ensuite l'autre aspect c'est qu'on est ?'open-source''. On voulait  lancer l'initiative, lancer un peu le débat, poser les choses et dire qu'il était possible de lutter contre ces « fake news ». 

Le Monde n'est pas le seul à se demander comment lutter contre la propagation des fake news sur le net. Le réseau international de médias First Draft, soutenu par Google, vient de lancer, en collaboration avec 37 autres médias français : Cross Check. Une plateforme collaborative qui vise elle aussi à débusquer les fausses informations. 
 

Comment établissez-vous votre grille lorsque vous classez un média ?

Notre critère, c'est la fiabilité des informations. Ce qui est déjà plus mesurable que l'objectivité.  

Nos critères sont essentiellement de nous demander : est-ce que le site présente un risque de diffuser régulièrement des informations fausses ou trompeuses ?

Si vous publiez des choses basées sur des rumeurs, si vous publiez des choses qui sont de l'accumulation d'accumulation de points sans preuves pour nourrir une thèse, vous ne faites pas du journalisme. On ne vous interdit pas de le faire, mais cela ne fait pas de vous une source crédible. Nous nous appuyons sur des règles basiques de journalisme.

La logique, c'est l'honnêteté de rapporter des faits. C'est l'honnêteté de présenter tous les faits aussi. De ne pas occulter sciemment un aspect d'une affaire.

Le fait que des sites diffusant de fausses informations ou parfois des théories complotistes aient une si bonne audience et réussissent à propager si facilement leurs messages ne montre-t-il pas qu'il existe une fracture entre les médias et la population qui souhaite s'informer ?'autrement'' ?

La fracture n'est pas nouvelle. Si vous regardez la courbe de confiance dans les médias elle est à 30 depuis une vingtaine d'années et ça n'a pas bougé. Il y a aussi une fracture des élites françaises. C'est ce qu'on appelle la crise de la représentation. Les médias sont assimilés à l'élite et donc ils sont rejetés. Cette fracture se consomme d'autant plus qu'il y a une offre concurrente qui se développe sur Internet. Sur Internet vous avez le choix de lire ce qui ne va que dans votre sens. Ce phénomène est d'ailleurs bien aidé par les politiques qui passent leurs vies à taper sur la presse. 

Comment les médias pourraient-ils faire en sorte que cela change et se réapproprier l'espace public ?

Nous sommes à un âge de transition et on le voit dans les attentes du public. L'information est présente partout, tout le temps. Elle est gratuite et immédiate. Et en même temps les gens ne sont pas contents car ils veulent non seulement de l'info gratuite, mais ils veulent qu'elle soit fidèle. Ils veulent qu'elle soit exacte. Ils veulent l'avoir exactement au bon moment. Ils veulent qu'elle arrive directement dans leur téléphone de manière personnalisée. Ils veulent ne pouvoir lire qu'un titre et avoir toute l'information dedans? Ils veulent des médias indépendants mais ils veulent des médias gratuits. Ils ne veulent pas des médias de services publics mais en même temps ils assimilent ça à un service public. Tout ça est compliqué. Honnêtement je n'ai pas la réponse. Nous sommes dans un changement d'air et dans un changement de rôle des journalistes. Que sera le journalisme de demain ? 

Un outil comme Décodex n'est-il pas une ébauche et une première piste de ce que pourrait être le rôle des journalistes à l'avenir ? À savoir classifier l'information et la vérifier ?

Peut-être ! Le fait d'orienter les gens sur de bonnes sources fait de plus en plus partie de notre travail, qui est bien celui de la médiation. Le problème, c'est comment assurer cette médiation dans une époque qui n'en veut plus ? Dans médiation il y a média. Les médias ce sont ceux qui relaient, ceux qui transmettent, et cette question de la transmission est très importante.

Propos recueillis par Noémie Choimet (www.lepetitjournal.com) mercredi 15 mars 2017. 

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