Depuis trois ans, Christophe Parisot est l'ambassadeur de France au Danemark et incarne avec force la voix et le visage de la France dans un contexte européen en pleine mutation. À partir du 1er juillet 2025, le Danemark prend la présidence du Conseil de l’UE, succédant à la Pologne, renforçant son rôle stratégique. De la géopolitique du Groenland à la coopération économique franco-danoise, en passant par les défis du service public consulaire et la lutte contre les violences faites aux femmes, il mène une diplomatie visant à renforcer les liens avec les Français et à promouvoir les valeurs françaises bien au-delà de l’ambassade. Entretien.
Avec près de 6.780 ressortissants français (inscrits au registre consulaire, 2024), le Danemark accueille une communauté en croissance, attirée par un modèle de société équilibré, stable et ouvert. Les relations franco-danoises, ancrées dans une coopération discrète mais solide, connaissent un nouvel élan grâce à des enjeux communs : transition énergétique, défense européenne, diplomatie climatique et attractivité économique. Dans ce contexte, le rôle de l’ambassadeur est stratégique. Christophe Parisot, ambassadeur de France au Danemark, expert de la société danoise et garant de l’accompagnement des Français à l’étranger, œuvre à renforcer les liens bilatéraux tout en assurant une présence française sur l’ensemble du territoire danois.
Vous représentez la France au Danemark depuis trois années. Pouvez-vous nous expliquer concrètement ce que signifie cette mission et quel est votre rôle au quotidien auprès des Français de l’étranger ?
Être ambassadeur est bien plus qu’un rôle de représentation : c’est une mission d’action, d’influence et de service. Mon premier devoir, c’est de connaître parfaitement le Danemark. Je dois être le meilleur spécialiste de ce pays pour la France, en observant, en comprenant et en analysant tous les aspects de la société danoise : politique, économique, culturelle et sociale. Mais cette connaissance n’a de sens que si elle s’inscrit dans une dynamique : promouvoir les intérêts français, favoriser nos exportations, attirer des investissements danois. Mon travail repose sur le soft power, chaque lien créé est une passerelle entre nos deux pays. Ensuite, j’aide nos autorités à prendre les bonnes décisions en fonction de la réalité danoise : qu’il s’agisse de la guerre en Ukraine ou des négociations européennes, mon rôle est de leur dire : “si vous voulez obtenir cela, voici comment agir ici”. Et puis, il y a ce qui me tient particulièrement à cœur : la communauté française. Je suis là pour garantir un service public de qualité, partout au Danemark. Nous allons sur le terrain, même dans les zones les plus éloignées, pour permettre le renouvellement de papiers avec prise d’empreintes sur place. C’est un service de proximité indispensable. J’ai aussi à cœur d’animer cette communauté : entrepreneurs, artistes, associations. Mon rôle, c’est de faire vivre la France ici, de créer du lien et de répondre aux attentes.
“Je dois être le meilleur spécialiste de ce pays pour la France, en observant, en comprenant et en analysant tous les aspects de la société danoise”
Comment la communauté française a-t-elle évolué ces dernières années? Et quelles sont ses spécificités et ses besoins?
La communauté française au Danemark est en forte augmentation ces dernières années, et ce n’est pas un hasard. Le modèle danois attire : équilibre entre vie professionnelle et vie privée, égalité homme-femme, société stable, dynamique, bienveillante. Beaucoup viennent pour ce qu’on appelle le “rêve danois”, un mode de vie simple mais de grande qualité, très attractif pour des Français en quête de sens et d’équilibre. La communauté est à la fois familiale et professionnelle. Aux expatriés de longue date s’ajoutent de plus en plus de Français attirés par des opportunités dans de grandes entreprises françaises comme Total Energies, Thales ou Vinci, ou dans des groupes danois, souvent à des postes à haute responsabilité. C’est une évolution marquante. On estime entre 10.000 et 11.000 Français présents au Danemark, dont 6.500 inscrits au registre consulaire.
“Le modèle danois attire : équilibre entre vie professionnelle et vie privée, égalité homme-femme, société stable, dynamique, bienveillante.”
Comment décririez-vous la relation actuelle entre la France et le Danemark sur les plans politique, économique et culturel? Y a-t-il des secteurs où la coopération est particulièrement active?
La relation entre la France et le Danemark est ancienne, profonde et en pleine redécouverte. La relation franco-danoise, longtemps forte mais discrète, connaît aujourd’hui un nouvel élan. Une coopération plus stratégique émerge, grâce à une prise de conscience partagée de notre proximité et de nos intérêts communs. La visite d’État du roi Frédéric X et de la reine Mary en France, le 31 mars 2025, a marqué un tournant. Elle a permis d’officialiser un partenariat stratégique et de renforcer notre coopération dans tous les domaines : politique, économique, culturel. Face aux bouleversements récents : le Brexit, les mandats de Trump, les crises migratoires, sanitaires ou budgétaires, et la guerre en Ukraine, le Danemark devient plus proactif et européen. C’est dans ce contexte que notre coopération se renforce. L’Europe, dans les crises, montre qu’elle peut réagir avec force. Elle n’anticipe pas toujours, mais elle avance, et aujourd’hui, elle avance avec le Danemark à nos côtés.
Le 15 juin 2025, le président Emmanuel Macron a effectué une visite officielle au Groenland. Dans ce contexte géopolitique actuel, marqué notamment par les positions de Donald Trump, comment voyez-vous le rôle stratégique de la France vis-à-vis du Groenland ?
Le moment de la visite présidentielle au Groenland est idéal. Ce territoire autonome du Danemark suscite un intérêt stratégique croissant, dans une zone arctique désormais marquée par la compétition pour les ressources, les routes maritimes et l’influence géopolitique. Il y a une longue tradition française d’exploration et de fascination pour le Groenland, portée par des figures comme Paul-Émile Victor, Jean Malaurie ou Charcot, qui ont tissé un lien entre nos deux pays. La visite affirme une solidarité européenne face aux intentions de contrôle, comme celle des États-Unis sous Trump. La France défend une approche fondée sur la coopération. Le Groenland, riche en terres rares essentielles à notre autonomie industrielle, joue un rôle clé. C’est aussi l’un des territoires les plus touchés par le réchauffement climatique, soulignant l’urgence d’une mobilisation environnementale globale. Enfin, cette coopération peut également se concrétiser à travers des projets concrets, tels que le soutien à la scène culturelle groenlandaise, où le cinéma joue un rôle symbolique en illustrant les liens entre les peuples et en sensibilisant à la protection de l’environnement.

Vous avez accueilli le 6 juin 2025 six nouveaux Français lors d'une cérémonie au Palais de Thott. Quel message souhaitez-vous adresser à ces nouveaux compatriotes, et plus largement aux Français de l'étranger, en matière d'intégration et d'attachement à la communauté française ?
Ce genre d’événement est essentiel. J’ai souhaité réinstaurer ces cérémonies de naturalisation car devenir français ne devrait jamais être perçu comme une simple formalité administrative. Ce n’est pas juste signer un papier ou recevoir un document ; c’est un acte fort, un choix volontaire d’adhérer à une communauté, à une histoire, à des valeurs comme la liberté, l’égalité, la fraternité, ou encore la laïcité. Il faut marquer le coup. L’ambassade joue un rôle symbolique dans cette intégration : c’est un lieu d’État, mais aussi un lieu de vie et d’accueil pour les Français de l’étranger. Ces cérémonies sont souvent très émouvantes, pour beaucoup, c’est la première fois qu’ils mettent les pieds à l’ambassade et elles renforcent ce lien affectif et civique avec la France. Je pense qu’en célébrant ces naturalisations de manière solennelle, on rappelle à chacun que ce n’est pas anodin de devenir français. Et cela peut aussi encourager d’autres à entreprendre cette démarche. Tant que ce sera possible, je continuerai à organiser ces moments. En général, on en fait deux ou trois par an, avec de petits groupes, ce qui permet de garder une atmosphère intime et chaleureuse.

Quelle est la contribution de l’ambassade dans la promotion de la plateforme numérique téléphonique SAVE YOU, lancée le 14 mars par une convention tripartite entre le ministère des Affaires étrangères et le ministère chargé de l’égalité, destinée à lutter contre l’isolement et protéger les femmes à l’étranger ?
L’ambassade joue un rôle actif dans ce service à la communauté française d’expatriés, en reconnaissant que les violences faites aux femmes restent un fléau, particulièrement accentué à l’étranger par l’isolement et l’absence de référents. Cette plateforme permet de signaler plus rapidement les violences et d’accéder à des systèmes de protection, un enjeu crucial dans une communauté française d’expatriés où le phénomène d’isolement peut être encore plus fort. Pour diffuser l’existence de cette plateforme, l’ambassade utilise ses réseaux, ses sites et collabore avec des associations locales. Le défi majeur reste d’atteindre les personnes qui en ont le plus besoin. Lorsqu’un cas survient, la collaboration avec les autorités locales est essentielle, bien que des obstacles comme la barrière linguistique compliquent encore la situation. Cette initiative constitue une avancée importante, même si elle ne pourra jamais atteindre 100 % des personnes concernées à cause de nombreux facteurs.
La fête nationale du 14 juillet est un moment fort pour la communauté française à l’étranger ? Comment l’ambassade célèbre-t-elle cet événement au Danemark et quel rôle joue-t-il dans le renforcement du lien entre la France et ses ressortissants expatriés ?
L’ambassade organise l’escale d’un navire français pour célébrer, en avance, le 14 juillet 2025, un moment clé pour la communauté française au Danemark et une vitrine pour renforcer nos liens avec les Danois et partenaires internationaux. À mon arrivée, j’ai repensé l’événement, auparavant limité à une seule réception trop institutionnelle. Désormais, deux temps forts sont proposés : un pour la communauté française, l’autre pour les autorités danoises et VIP. Malgré les places limitées, le principe “premier arrivé, premier servi” permet d’ouvrir l’accès à un public plus large. La célébration débutera exceptionnellement le 30 juin 2025 à bord du PHA Mistral, porte-hélicoptères amphibie de la Marine nationale en escale à Copenhague (28 juin 2025–2 juillet 2025). Cette plus grande escale française ici est une occasion symbolique, d’autant plus dans le contexte géopolitique actuel. Anticiper la fête permet aussi de toucher un public danois plus large, avant les départs en vacances. La réception traditionnelle du 14 juillet sera maintenue au Palais Thott. Le Palais Thott, l’ambassade de France au Danemark est un magnifique bâtiment du XVIIe siècle, n’est pas seulement un lieu de travail diplomatique, c’est la maison de la France, mais aussi celle des Français. C’est important pour moi que la communauté puisse s’y sentir chez elle.
“Le Palais Thott, un magnifique bâtiment du XVIIe siècle, n’est pas seulement un lieu de travail diplomatique, c’est la maison de la France, mais aussi celle des Français. C’est important pour moi que la communauté puisse s’y sentir chez elle.”

Est-ce que vous avez un message à passer à nos Français expatriés à Copenhague ou dans la région ?
Nous avons vraiment la chance d’avoir une communauté française à la fois dynamique, diversifiée et engagée. Beaucoup d’initiatives sont portées par les associations locales, pour la communauté mais aussi par la communauté elle-même, ce qui montre une vraie vitalité. Pour notre part, à l’ambassade, nous sommes pleinement à leur disposition. Être au service des Français de l’étranger fait partie du cœur de notre mission, et je crois qu’ils le savent.
“Je tiens à dire à nos compatriotes expatriés à Copenhague et dans les environs que c’est toujours un plaisir de les voir, de les rencontrer.”
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