À travers ses ambassades, consulats, résidences d’État et logements de fonction, la France projette son image, son influence et son rang. Mais un rapport sans appel de la Cour des comptes, publié en mai 2025, révèle les fissures d’une gestion. La diplomatie française cumule des lacunes stratégiques d’un bâtiment à un autre. Lepetitjournal.com vous décrypte la situation immobilière hors des frontières.


En 2025, le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE) gère un parc immobilier de 1.247 bâtiments dans 162 pays, soit près de 1.2 million de m². C’est peu en proportion (moins de 1% de l’immobilier de l’État), mais crucial symboliquement. Chaque bâtiment incarne la présence de la France à l’étranger. Pourtant la gestion de ce patrimoine révèle de sérieuses lacunes.
Selon le rapport de la Cour des comptes, couvrant la période 2013-2023, mêlant visites de terrain, entretiens avec des ambassades et étude des directions réparties à l’étranger, met en lumière de profondes failles dans la gestion de ce parc immobilier. Le rapport, centré exclusivement sur les biens affectés aux missions diplomatiques et consulaires (hors instituts culturels et établissements scolaires), dresse un constat préoccupant.
Un réseau diplomatique fragilisé par une gestion immobilière incertaine
Ces bâtiments symbolisent la présence diplomatique de la France. Une gestion défaillante menace donc directement son influence à l’étranger. Lancé en 2021, le Schéma directeur immobilier pluriannuel pour l’étranger (SDIPE) était censé anticiper les besoins à moyen terme. En réalité, il s’apparente davantage à un état des lieux des projets déjà lancés qu’à un document véritablement prospectif (selon le rapport. Sur les 23 pays jugés prioritaires, seuls 11 disposaient d’un schéma local (SDIE) validé fin 2023, la plupart étant déjà obsolètes, toujours selon le rapport. La gouvernance n’est pas plus structurée. La Commission interministérielle (CIME), chargée d’éclairer les décisions, s’est le plus souvent contentée d’un rôle consultatif. La Cour des comptes recommande d’établir des critères clairs et opposables pour l’instruction des dossiers, et d’assurer un suivi réel des recommandations émises.
« Le ministère des Affaires étrangères n'est plus en mesure d'entretenir de manière satisfaisante son parc immobilier à l'étranger. » Jacques Chaumont, sénateur

À Istanbul et Londres, patrimoines oubliés et défis majeurs à l’étranger
Les biens, principalement situés en Afrique du Nord, au Moyen-Orient, dans l’océan Indien et en Europe, des régions historiquement liées à la France, sont essentiels au rayonnement diplomatique du pays. Pourtant, la maîtrise de ces actifs reste fragile, exposée aux aléas des relations internationales et aux spécificités locales. Par exemple, en Algérie, la France ne possède qu’un droit d’usage contesté. À Jérusalem, le Tombeau des Rois fait l’objet de tensions liées à son statut et à son accès. Au-delà de ces situations sensibles, des failles administratives persistent. En 2023, 24 biens domaniaux, sous la responsabilité de l’Etat, n’étaient toujours pas régularisés, et plus de 2 % des biens contrôlés présentaient des irrégularités d’occupation.
Un exemple significatif est celui du site de Saint-Eugène à Istanbul. Ce terrain est offert à la France en 1867 par le sultan ottoman, mais il n’a jamais été correctement enregistré. En 2021, un juge turc nomme le maire de Beyoglu comme nouveau responsable du terrain. Ce site disparaît alors de l’inventaire du patrimoine, sans qu’aucune action solide ait été prise.
À Londres, la résidence de l’ambassadeur est occupée grâce à un bail signé avec la Couronne britannique en 1990, qui se termine en 2052. En 2022, sa valeur était estimée à 110 millions de livres (130 millions d’euros), mais racheter ce bail pourrait coûter jusqu’à 148 millions de livres. La Cour conseille de décider avant 2032, sinon le prix continuera à augmenter.

Une diplomatie freinée par un manque de moyens et de coordination
Sur le terrain, les ambassadeurs doivent souvent improviser avec des moyens limités : pas de personnel dédié, budget limité, soutien technique rare assuré par seulement 15 antennes techniques régionales qui couvrent tout le réseau mondial. À Paris, la gestion est dispersée entre plusieurs services, notamment la direction de l’immobilier (DIL) et la direction de la sécurité diplomatique (DSD), ce qui rend la coordination difficile.
Pour y remédier, la Cour des comptes recommande de fiabiliser les données patrimoniales, de renforcer les compétences juridiques et techniques, de mettre en place des outils communs de suivi budgétaire et opérationnel, ainsi que de clarifier les modalités de rationalisation des espaces de représentation. Derrière chaque bâtiment mal géré, c’est une part de la présence française qui peut s’effriter… L’avertissement du rapport est clair : « Les résultats sont encore loin des objectifs de la politique immobilière de l’État ».
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