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MadaTrek : 4 ans à pied et en famille sur les chemins de Madagascar

La famille Poussin lors de son voyage MadatrekLa famille Poussin lors de son voyage Madatrek
© Poussin
Écrit par Adèle Hourdin
Publié le 9 septembre 2021, mis à jour le 28 septembre 2023

Deux enfants, une charrette, des zébus et l'immensité de l'île de Madagascar devant eux. Pendant 4 ans, ce fut le quotidien d’Alexandre et Sonia Poussin, lancés dans une aventure folle : faire le tour de l’île à pied.

 

C’est en famille qu’Alexandre et Sonia Poussin ont entrepris l’aventure « Madatrek ». A l’origine, un pari fou : celui de faire le tour de Madagascar à pied, avec une charrette tirée par des zébus. Des expats pas comme les autres...

« Impossible n’est pas Poussin »

La route que souhaite emprunter la famille Poussin n’existe pas et leur chemin est semé d’embûches. Ils doivent traverser des fleuves en faisant flotter la charrette d’une demi-tonne ou traverser des territoires remplis de « dalaho », des bandits voleurs de zébus. Lancés dans cette aventure rocambolesque, la famille Poussin a parfois dû créer sa route à la force des machettes et a vécu au jour le jour le dur quotidien des habitants de l'île rouge.

Sonia et Alexandre Poussin n’en sont pas à leur coup d’essai. Leur précédente aventure, Africa Trek, les avait menés de l’Afrique du Sud en Israël, sur la trace des premiers hommes. Plus de trois ans de voyage et 14000 kilomètres réalisés à pied, un rythme que les deux aventuriers apprécient et qu’Alexandre Poussin a longtemps pratiqué. Ami de Sylvain Tesson, il a achevé avec lui un tour du monde à vélo ainsi qu’une traversée de l’Himalaya à pied.

 

La famille Poussin lors de son voyage Madatrek
© Poussin

 

Madatrek : un voyage en « observ-acteurs »

Aujourd’hui c’est avec leurs deux enfants, Philaé et Ulysse, qu’Alexandre et Sonia ont entrepris l’aventure Madatrek. Ils sont reporters et filment sur leur chemin la vie du pays et leurs rencontres. Pour ce voyage, ils ont décidé d’apporter leur aide à des associations sur place, notamment en distribuant les 330.000 euros récupérés grâce à leur cagnotte et plus de 100.000 depuis leur retour.

Leur aventure est visionnable en docu-série sur la plateforme Disney+ ou en DVD. Le premier tome de leur voyage, publié aux éditions Robert Laffont, est disponible en librairie ou sur leur site internet (les livres et DVD sont envoyés partout dans le monde, avec une dédicace personnalisée).

 

 


lepetitjournal.com s’est entretenu avec Alexandre Poussin, rentré depuis deux ans en France qui s’attèle aujourd’hui à la rédaction du deuxième tome de leurs aventures.


 

Comment vous est venue l’idée de faire ce voyage ?

Lorsque nous avions remonté intégralement l’Afrique à pied, nous avions fait le choix de ne pas passer par Madagascar, ce qui a été l’un de nos grands regrets. Ce voyage en famille, s’est présenté comme un approfondissement de ce que nous avions pu voir en Afrique. Nous ne voulions pas faire un voyage transcontinental ou transversal mais avoir une unité de lieu et pouvoir rester suffisamment longtemps pour étudier tous les tenants et les aboutissants de ce pays. C’est pourquoi nous avons consacré 4 ans à ce voyage, à la façon d’un chercheur ou d’un anthropologue. Nous voulions répondre à cette énigme : pourquoi un pays si riche est-il si pauvre ? Et nous souhaitions aussi partir dans un pays francophone afin que les enfants ne soient pas trop isolés culturellement.

 

La famille Poussin lors de son voyage Madatrek
© Poussin

 

Vous voyagez lentement, voire très lentement. Qu’aimez-vous dans cette façon de voyager ?

Nous appelons cette façon de voyager de l’observation participante, nous sommes des « observ-acteurs ». En voyageant de cette façon, on se libère de tout prisme idéologique. Nous sommes sur le terrain, au plus proche des habitants. Nous pouvons brasser tous les métiers, toutes les strates de la société et recueillir les témoignages de toute la population. Nous apprenons le pays de la bouche des Malgaches eux-mêmes et à la fin se détache le visage d’un pays.

Mon envie de voyage vient de ma curiosité et ma passion pour la vérité. Lors de mes études à Science Po, j’ai été frustré car je sentais que tout ce que l’on me racontait sonnait faux. J’avais besoin d’aller sur le terrain pour voir les choses de mes propres yeux. C’est la raison de mon orientation vers mon métier de reporter au long cours. Certains chercheurs passent 3 mois sur le terrain et rendent un mémoire. De mon point de vue c’est à la fois trop court et trop myope. Ce qui m’intéressait c’était la vision d’ensemble, la monographie, mais constituée de milliers d’histoires… Nous avons consacré 4 ans à l’étude de Madagascar et nous avons encore tant à apprendre.

 

Quelle a été votre impression de Madagascar ?

Il règne dans ce pays une illusion parfaite. C’est troublant car tout laisse penser que le pays fonctionne bien mais c’est une façade et ce sont les élites qui sont responsables de ce décalage.

En 4 ans d’études notre impression est que Madagascar est un pays largement désadministré avec des régions entières abandonnées par le pouvoir. Il y a une vraie civilisation, une vraie histoire, le pays est unifié par sa langue malgré une ethnicité plurielle. Il possède une philosophie, une culture très riche, complexe, une eschatologie propre. Mais le constat est le même in fine : c’est un pays riche dont les ressources ne profitent qu’à une minorité. C’est un problème de management des ressources et de partage. De redistribution en somme ! Pourtant la ressource humaine est exceptionnelle ! Tous les atouts sont là ! Mais la nature se dégrade très très vite…

La vie est dure à Madagascar. Seule 5% de la population perçoit un salaire, ce qui signifie la stabilité de l’emploi, une retraite et de l’épargne. Ce chiffre veut dire que les 95% autres pour-cents vivent d’activités informelles et sont donc en mode survie au jour le jour en prélevant sur la nature.

En brousse il y a très peu de choses pour les aider. Quand un courageux essaie de créer de la richesse via une entreprise ou de relancer une production, on lui met des bâtons dans les roues en le rackettant, ou en le bloquant. C’est un véritable parcours du combattant. Certains y parviennent quand même mais difficilement. Dans l’hôtellerie par exemple, ceux qui ont réussi à monter des structures sont à 15% de remplissage parce que les touristes n’arrivent pas. Parce que les avions ne sont pas fiables, ou trop chers, parce que les routes sont défoncées… Et pourtant, tout serait possible ! Il y a tant de potentiel de développement !

 

La famille Poussin lors de son voyage Madatrek
© Poussin

 

Quelles sont les solutions possibles que vous avez pu entrevoir ?

Je pense qu’il faudrait soutenir les corps intermédiaires. Le vrai journalisme d’investigation est presque impossible à Madagascar, la plupart sont aux ordres des puissants ou achetés par le pouvoir. La majorité est condamnée à être consensuelle. A Mada on n’aime pas le scandale. Il faut aussi améliorer la justice, les avocats, les corporations et les syndicats, la transparence, les contre-pouvoirs. Mais il est très compliqué d’envisager ces changements parce qu’un petit nombre de familles contrôle tout. Il y a beaucoup de muselage et d’auto-censure qui font que les Malgaches n’osent pas réformer le système.

Pour moi il y aurait deux priorités : faire des milliers de kilomètres de routes et mettre en place un planning familial très incitatif. Les échanges reprendraient, et la courbe de croissance pourrait rattraper la courbe démographique. Là on est dans le rouge…La charrette devant les zébus !

 

Vous avez rencontré et aidé de nombreuses associations sur votre chemin, qu’en avez-vous retenu ?

Il y a un nombre phénoménal d’associations à Madagascar. Rien que dans la capitale, Tananarive, il y a 1000 associations qui essaient de lutter contre l’abandon général. Ce sont des personnages remarquables, des personnes qui ont voué leur vie à une cause, à une école ou à un quartier.

Les associations qui m’ont le plus marqué sont les congrégations catholiques. Tout ce qui porte un voile de bonne soeur à Madagascar est efficace. C’est tout un réseau d’écoles et de dispensaires qui luttent contre le cauchemar de la misère, de la famine, du sous-développement… Sans eux, le pays serait une catastrophe humanitaire permanente. Nous avons aussi rencontré des laïcs formidables, étrangers, comme malgaches. Mais sur le terrain très peu vu l’impact des ONG internationales. A mada, Small is beautiful !

 

La famille Poussin lors de son voyage Madatrek
© Poussin

 

Vous allez repartir ? 

Pour l’instant, je me consacre à l’écriture du deuxième tome qui concernera les 2000 kilomètres suivants. Nous avions prévu de retourner déjà deux fois à Madagascar mais le coronavirus nous en a empêché. Nous oeuvrons encore pour le pays à distance. Nous faisons actuellement une collecte pour la famine dans le grand Sud qui a pour l’instant réuni 23000 euros sur les 80000 nécessaires. Cet argent est redistribué pour des programmes de renutrition.

Nous n’avons pour l’instant pas tourné la page de Madagascar, nous sommes toujours très liés à ce pays. Nous y avons beaucoup d’amis. Nous n’avons donc pour l’instant pas de projet ailleurs. Ce serait une infidélité !

 

La famille Poussin lors de son voyage Madatrek
© Poussin