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Régis Meyran : « Les politiques ne comprennent pas les questions identitaires »

Montage avec une photo de Régis Meyran et la couverture de son livre Obsessions IdentitairesMontage avec une photo de Régis Meyran et la couverture de son livre Obsessions Identitaires
Écrit par Capucine Taconet
Publié le 30 janvier 2022, mis à jour le 31 janvier 2022

Avec la montée des extrêmes et la « Zemmourisation des esprits », le thème de l’identité nationale est largement présent dans les débats et les médias depuis le début de la campagne présidentielle 2022. Une question clivante qui ne cesse de susciter polémiques et confusion. Le livre de l'anthropologue Régis Meyran, Obsessions identitaires, décrypte le phénomène.

 

Pourquoi parle-t-on autant d’identité nationale ces dernières années ? L'anthropologue Régis Meyran, auteur du livre Obsessions identitaires chez les éditions Textuel, revient sur les fondements de cette notion en France. Il explique comment les inégalités socio-économiques ont permis une fracture de la société, rendue visible par les incessantes polémiques relevées par les médias.

 

Les mouvements antiracistes et féministes sont très souvent mis dans dans un même sac, alors qu’ils ne sont pas équivalents ni tous menaçants pour la République

Quels sont les deux types d’identité qui coexistent en France que vous définissez dans cet ouvrage ?

Je considère qu’il existe deux types d’identité : l’identité ouverte et l’identité fermée. Cette dernière est omniprésente dans les médias, tandis que l’identité ouverte en est absente ou y est diabolisée.

 

L’identité ouverte est représentée par des mouvements qui militent pour une vision plus inclusive de la société pour les minorités. C’est le cas notamment des mouvements antiracistes et féministes. Il est néanmoins important de souligner les grandes différences et oppositions qui cohabitent au sein de ces mouvements. Ils sont très souvent mis dans dans un même sac, alors qu’ils ne sont pas équivalents ni tous menaçants pour la République. Seule une minorité de ces groupes peut être considérée comme extrémiste. Les partisans de l’identité ouverte défendent davantage de droits et de démocratie pour les minorités qui ont du mal à être intégrées.

 

En ce qui concerne les militants de l’identité fermée, la majorité est d’extrême droite, mais un certain nombre est aussi à gauche. Ils s’appuient sur le mythe d’une identité nationale inchangée depuis la nuit des temps, évoquent la menace d’un grand remplacement et font la chasse aux woke et à l’islamo-gauchisme.

 

Quelle est la représentation médiatique de ces deux types d’identité ?

Nous voyons se propager des phénomènes de panique identitaire basés sur des fake news ou des emballements médiatiques. Cela s’est produit il y a quelques années avec l’affaire du Burkini, suite à une photo de trois femmes portant un vêtement religieux sur une plage. Les partisans de l’identité fermée deviennent des « entrepreneurs identitaires » en propageant des rumeurs qui débouchent sur des phénomènes d’hystérie.

 

Nous l’avons constaté il y a quelques semaines lorsque le changement du drapeau français par le drapeau européen sur l’Arc de Triomphe a été monté en épingle par plusieurs candidats à la présidentielle. Le retour en force de l’identité fermée est notable, y compris chez les jeunes. Les mouvements d’extrême droite ainsi que la candidature d’Éric Zemmour ont des groupes de jeunes militants très actifs. Il y a même de jeunes influenceurs « identitaires » d’extrême droite très suivis sur les réseaux, comme Estelle Redpill.

 

L’identité ouverte a connu des moments de visibilité accrue également, après la médiatisation d’événements et de mouvements tels que le #Me Too et les manifestations Black Lives Matter après le meurtre de George Floyd. Néanmoins, en règle générale, l’identité fermée prime aussi dans les institutions ces derniers temps avec les critiques des antiracistes pour « wokisme ».

 

Nous sommes entourés de récits négatifs, marqués par une défiance de la science et des vaccins, ainsi qu’une peur des catastrophes, avec le survivalisme et la collapsologie

Pourquoi y a-t-il en ce moment des « obsessions identitaires » en France ?

Depuis plusieurs décennies, notre pays traverse des crises économiques et sociales qui ont entraîné une érosion des acquis sociaux. Beaucoup de personnes qui s’en sortaient il y a trente ans avec leur travail, se sont retrouvées sans emploi ou en difficulté ces dernières années. Le mouvement des gilets jaunes a manifesté cette rupture. Ajouté à cela, on note un désengagement de l’État avec la suppression des aides sociales et une présence qui s’étiole dans les zones rurales.

 

D’autre part, nous faisons face à une crise des grands récits d’émancipation. Pendant les Trente Glorieuses (jusqu’aux années 1970), la population était portée par l’espoir d’un avenir meilleur fondé sur la science et le progrès. Or, nous n’y croyons plus aujourd’hui. Nous sommes entourés de récits négatifs, marqués par une défiance de la science et des vaccins, ainsi qu’une peur des catastrophes, avec le survivalisme et la collapsologie. Toutes ces peurs conduisent à un repli sur soi et sur ses frontières. Le retour du nationalisme n’est pas propre à la France, mais il s’observe partout dans le monde : aux États-Unis, au Brésil, en Hongrie… Le récit identitaire est alors censé rassurer, mais il est surtout de l’ordre guerrier. Il convoque une forme de pureté qui serait propre au Français gaulois, blanc et chrétien.

 

Un universalisme ne peut pas être réaliste s’il est aveugle aux différences

Le thème de l’identité fermée est-il devenu commun à tous les groupes politiques ?

L’identité fermée traverse tout l’échiquier politique, à droite comme à gauche. Tous les politiques utilisent une rhétorique identitaire qui s’appuie sur l’identité nationale d’une France mythique et évoquent l’universalisme face aux séparatistes qui luttent contre la République. Or, un universalisme ne peut pas être réaliste s’il est aveugle aux différences. L’identité fermée débouche sur une vision simpliste de la Nation, dans laquelle être une femme ou faire partie d’une minorité n’implique pas de différence avec le fait d’être un homme, blanc.

 

Les questions autour de l’identité sont à la frontière de la politique et des sciences sociales. Elles relèvent de courants intellectuels complexes avec des concepts et théories pointus

Qui sont les tenants politiques de l’identité ouverte en France ?

Peu de politiques ont parlé en faveur d’une identité ouverte. Christiane Taubira est l’une des rares personnalités à l’avoir fait, mais sa prise de parole lui a valu des insultes. De même pour Danielle Obono, lorsque l’on a découvert ses sympathies avec les Indigènes de la République.

 

Les questions identitaires sont compliquées et en réalité, les politiques ne les comprennent pas. Ils ne sont pas spécialistes. Les questions autour de l’identité sont à la frontière de la politique et des sciences sociales. Elles relèvent de courants intellectuels complexes avec des concepts et théories pointus. Un politicien ne peut pas en avoir de théorie précise.

 

Le mouvement centriste de l’UDI ou les débuts d’En Marche ont permis à des personnes issues des minorités de prendre place dans de nouveaux mouvements politiques. En revanche, les fondateurs du Printemps Républicain (créé en mars 2016, suite aux attentats de 2015, NDLR) qui venaient du PS ont balayé toute référence aux questions identitaires.

 

Les militants féministes et antiracistes, eux, ne sont pas très éloignés des sciences sociales. Ils jonglent avec de nombreux concepts venant de ces courants d’idées, mais ils ne les maîtrisent pas toujours bien. Dans les sciences sociales, que ce soit en sociologie, en anthropologie, dans les études de genre, etc., on ne peut pas être complètement neutres, mais on ne doit pas non plus être complètement militants.

 

Il y a beaucoup d’ignorance sur le sujet, menant à de nombreux clichés et idées reçues

Lorsque l’on parle d’identité, personne ne semble vraiment savoir de quoi il parle, il y a souvent des débats autour de termes vagues ou nouveaux. Pourquoi y a-t-il toujours une confusion autour de l’identité ?

Il y a beaucoup d’ignorance sur le sujet, menant à de nombreux clichés et idées reçues. Dès lors, l’idéologie s’infiltre facilement dans l’esprit des gens et les séduit.

 

On observe une sacralisation de la république et de la laïcité chez les nationaux républicains, qui les mène à critiquer le néo-féminisme et les antiracistes. Il s’agit généralement de personnes cultivées, issues des classes supérieures et qui ne sont pas touchées par la crise économique. Elles sont adoubées par les institutions et ont du pouvoir. Je pense qu’elles refusent de reconnaître les problèmes sociaux par peur de perdre leurs privilèges.

 

À l’extrême droite, il s’agit davantage de classes moyennes paupérisées qui tiennent des discours d’identité fermée. Le Rassemblement National joue sur leur ressentiment de déclassés, et certains gilets jaunes sont ainsi tentés par l’enfermement identitaire.

 

Le thème de l’identité est relativement nouveau en France car il est longtemps resté tabou

Beaucoup d’idées et théories autour des questions d’identité viennent des États-Unis. Dans quelle mesure celles-ci s’appliquent à la France également ou se distinguent de la situation de notre pays ?

Le thème de l’identité est relativement nouveau en France car il est longtemps resté tabou. Il y a des circulations d’idées entre les deux pays, mais notre situation n’est malgré tout pas comparable aux États-Unis. Si le comité de soutien Adama Traoré se réclame de Black Lives Matter, il dénonce spécifiquement la violence policière française. Les théories sur l’identité se sont développées relativement tôt aux États-Unis, dès le début du XXème siècle. Chez nous en revanche, la question remonte à la guerre d’Algérie, avec le massacre du 17 octobre 1961 et celui de la station de Charonne en février 1962.

 

L’identité est longtemps restée secondaire par rapport aux revendications sociales. De nouveaux mouvements basés sur l’identité sont apparus dans les années 2000 : les Indigènes de la République, le comité Adama Traoré, le Comité contre l’Islamophobie en France (CCIF), ainsi que des nouvelles formes de féminisme basées sur l’identité. Tout au long du XXème, le débat politique tournait surtout autour de l’opposition entre communisme et capitalisme. Il s’est progressivement déplacé sur la question de la République opposant d’une part, une idéalisation de celle-ci, sans race ni identité, et d’autre part, l’affirmation d’identités.

 

La problématique de la mémoire est essentielle pour réconcilier la société

Comment peut-on sortir de l’affrontement identitaire stérile menant à une société « guerrière » ?

Le rôle de l’État et des associations est d’éviter de plonger dans une société guerrière. Le tissu administratif et institutionnel doit se reconstruire pour prévenir une polarisation croissante. L’État n’est pas assez présent dans de nombreuses régions de France qui n’ont par ailleurs plus de postes, de chemins de fer, et de quantités de services qui permettent de se sentir bien dans le pays. Il faut également rétablir plus de justice sociale économique en apportant une aide sociale fondamentale. L’exil fiscal crée à l’inverse du ressentiment.

 

La problématique de la mémoire est également essentielle pour réconcilier la société. L’État doit reconnaître sa responsabilité dans les crimes coloniaux et faire face à son histoire coloniale, de façon juste et sans militantisme. Il faut  reconnaître que notre histoire est complexe, et qu’elle est faite y compris de dérives et de violence. Aujourd’hui une partie de la population se sent discriminée car le déni est trop important.

 

Il s’agirait de ne pas faire de l'identité un problème

Pouvons-nous parvenir à la construction d’identité française commune ou plusieurs histoires vont-elles continuer à être concurrentes ?

Dès lors que l’on fait partie d’un pays, on est traversé par son identité. L’identité ne devrait pas avoir besoin de se définir davantage. L’appartenance française s’inscrit dans une histoire spécifique, une langue, une culture propre. Il s’agirait de ne pas en faire un problème.