Ratification récente d’une convention internationale, propositions de lois, système de contrôle des greffes, coopérations médicales… Enquête sur la position de la France face à un trafic d’organes mondial et organisé, alors que l’agence de biomédecine vient d’annoncer près de 22.000 personnes inscrites sur la liste nationale d'attente pour une greffe en 2024.
La rareté pousse des chirurgiens, des réseaux criminels et même des gouvernements à penser à des stratégies lucratives
En 2024, selon les Nations Unies, le trafic d’organes représente aujourd’hui 1% de toutes les formes de trafic d’êtres humains, illustrant une pénurie mondiale d'organes. L'OMS estime que 5 à 10 % des greffes réalisées dans le monde résultent d’un trafic d'organes, générant près de 1,4 milliard de dollars de profits illicites selon le Conseil de l'Europe. Comment en est-on arrivé à un tel niveau mondial ? Depuis les années 60, la transplantation se démocratise dans le monde, sauvant des milliers de vies. Mais l’offre ne suit pas le rythme de la demande. La pénurie d’organes s’aggrave. Les barrières religieuses et culturelles accentuent un peu plus le phénomène. Face à la pénurie, des patients se lancent dans des quêtes désespérées de greffe, quitte à fermer les yeux sur l’origine ou l’obtention de l’organe. La rareté pousse des chirurgiens, des réseaux criminels et même des gouvernements à penser à des stratégies lucratives, particulièrement en Afrique, au Moyen-Orient et en République populaire de Chine (RPC). Comment réagit la communauté internationale et, plus précisément, la France ?
Une convention internationale ratifiée, sous réserves
En 2015, le Conseil de l’Europe élabore un instrument international contre le trafic d'organes humains : La Convention de Saint-Jacques-de-Compostelle. Le texte invite les gouvernements à ériger en infraction pénale le prélèvement illicite d’organes humains de donneurs vivants ou morts. La France la ratifie en janvier 2023 “une avancée majeure, qui réitère l’engagement de la France en matière de droits humains” lit-on sur le communiqué de presse suite à la signature par l’Ambassadrice Marie Fontanel, représentante de la France auprès du Conseil de l’Europe.
Mais, pour ratifier le texte, la France a émis des réserves, ce que dénoncent des ONG comme DAFOH (Doctors Against Forced Organ Harvesting) : “Il est aujourd’hui impossible de poursuivre un receleur de trafic d’organes. C’est un bout de papier qui montre juste que la France n’a pas refusé de signer”, explique un conseiller scientifique de l’organisation. L’une des réserves émise est notamment de poursuivre un receleur d’organes à la condition que la victime (ou sa famille) porte plainte dans son propre pays et que celui-ci accepte de recevoir la plainte. “Dans un pays comme la Chine, cela n’arrivera jamais, et rappelons aussi que très souvent la victime est décédée…” souligne l’ONG DAFOH.
Qu’en est-il du côté du cadre législatif français ?
Depuis une décennie, des membres du Parlement français présentent des propositions législatives dans le but d’analyser l’ampleur des transplantations illégales et d’éviter toute potentielle complicité avec des réseaux extérieurs. En novembre 2010, Valérie Boyer, sénatrice des Bouches-du-Rhône, dépose avec plusieurs collègues une proposition de loi “visant à lutter contre le tourisme de transplantation d'organes”. Déposé à nouveau en 2022, le texte est renvoyé à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus. En 2019, des membres de l’Assemblée nationale proposent des amendements à la législation de la loi bioéthique, laquelle établit un registre national des greffes à l’étranger et une obligation de déclaration à celui-ci. Mais les amendements sont rejetés.
Autre combat du côté de la coopération médicale et scientifique à l’international. Celle-ci constitue un outil de diffusion et de valorisation des talents français mais ses contours sont parfois considérés comme trop flous, à l’instar de Frédérique Dumas. En 2020, la députée française des Haut-de-Seine dépose une loi qui vise à “garantir le respect éthique du don d'organes par nos partenaires non européens”. Le texte est rejeté en février 2022 par l’Assemblée nationale.
Entre 2017 et 2019, environ 800 personnes sont sorties des listes d’attente en France sans être décédées...
Existe-t-il un trafic d’organes en France en 2024 ?
Selon les chiffres de l’Agence de la biomédecine (ABM) publiés mardi 13 février 2024, il y a actuellement 21.866 patients inscrits sur la liste nationale d'attente pour une greffe d'organes, dont 11.422 patients en liste d'attente active, c’est à dire immédiatement éligibles.
Mais il n’existe, à ce jour, aucun chiffre officiel sur les transplantations illégales. L’enquête réalisée tous les deux ans par l’Agence de biomédecine n’est pas exhaustive pour affirmer qu’aucun ressortissant français ne s’est fait transplanter illégalement. En se penchant sur les données entre 2017 et 2019, dans le seul domaine des transplantations de foie, environ 800 personnes sont sorties des listes d’attente en France sans être décédées, dont la moitié dans un état grave. Que sont-elles devenues ?
Il est clair que toute initiative mondiale est contrecarrée par des pouvoirs bien plus puissants selon David Matas
Comment la France peut-elle lutter efficacement contre le trafic d’organes ?
Pour David Matas, avocat international et auteur de grandes enquêtes sur le trafic d’organes, la France devrait retirer toutes les réserves à la Convention du Conseil de l’Europe et adopter les lois complémentaires proposées en 2010 et 2020. Par ailleurs, la coopération hospitalière avec certains pays devrait être revue et mieux contrôlée selon les ONG, voire totalement interrompue quand les doutes sont trop importants. Autre recommandation de David Matas, celle de refuser de publier toute recherche dans des revues médicales impliquant des transplantations sans preuve de consentement.
Sur la scène internationale, c’est une autre affaire “Si le problème pouvait être résolu par des protocoles et des déclarations internationaux, il n'y aurait plus de trafic aujourd’hui. Il est clair que toute initiative mondiale est contrecarrée par des pouvoirs bien plus puissants” mentionnant explicitement la République populaire de Chine.
Comment fonctionne le don d’organes en France ? Le don d’organes est gratuit et anonyme. La gratuité permet d’empêcher tout commerce illicite d’organes humains. L’anonymat est garanti c’est-à-dire que votre famille ne peut pas connaître l’identité du receveur, tout comme le receveur ne peut pas connaître votre identité. Il est toutefois possible de prendre connaissance à tout moment du résultat des greffes réalisées. Toute personne est présumée consentante au don d’organes à son décès, au nom de la solidarité nationale. Si vous ne souhaitez pas donner vos organes ou vos tissus, vous pouvez vous inscrire au registre national des refus. Vous pouvez également faire valoir votre refus par écrit, dater et signer un document remis à un proche.
Toutes les informations utiles et les réponses à vos questions sont à retrouver sur le site de l’Agence de Biomédecine : prise en charge des frais, restitution du corps, don de son vivant, limite d’âge, comment en parler à son entourage…