Près de 30% des ambassades françaises sont dirigées par des femmes en 2024. Si le feminisation de la diplomatie française fait partie de la grande cause de l’égalité homme-femme du gouvernement français, pourquoi sa progression est-elle si timide ? A l'occasion de la Journée internationale des femmes dans la diplomatie, le 24 juin, nous avons enquêté.
Début janvier 2024, le compte twitter du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, annonçait fièrement que 20 diplomates avaient été sélectionnées pour suivre le programme Tremplin, une formation vers des fonctions supérieures lancée en 2023.
La #diplomatieféministe, c'est aussi la féminisation de la diplomatie.
— France Diplomatie🇫🇷🇪🇺 (@francediplo) January 8, 2024
Le programme Tremplin a été créé pour favoriser l'accès des femmes aux fonctions supérieures dans @francediplo ➡️ 20 diplomates sont sélectionnées pour en bénéficier en 2024. pic.twitter.com/6xdIri49re
Une bonne nouvelle qui s’inscrit dans la continuité d’efforts pour féminiser les sphères de pouvoir et de représentation à l’international. Car, au 11 juin 2024, la France compte 52 ambassadrices ou chefs de bureaux de représentation dans le monde sur 173 postes actifs, une proportion de près de 30%, quand le plan 2021-2024 du gouvernement prévoyait une proportion de 40% de femmes pour les postes d'ambassadeur et de consul général. Le programme Tremplin fait partie des actions pour étoffer le nombre de candidates dans les prochaines années. Pourquoi la progression semble-t-elle si lente ?
En 1930, Suzanne Borel est la pionnière et devient attachée d’ambassade puis secrétaire d’ambassade : « Vous êtes reçue, maintenant il faut vous faire admettre... »
La carrière diplomatique ouverte tardivement aux femmes
L’une des réponses est historique. Pendant des siècles en France, les postes de gouvernance sont interdits aux femmes, celles-ci étant considérées comme inférieures intellectuellement et destinées à procréer. Profondément ancrée dans les mœurs, ce statut n’a jamais empêché des femmes à jouer des rôles très importants - plus ou moins officiellement - dans des négociations diplomatiques. Citons bien sûr les reines régentes de France, comme Catherine de Médicis, les favorites influentes comme Diane de Poitiers, mais aussi les mécènes comme Marguerite de Navarre. A l’international, les femmes ont également joué de leur influence auprès de leurs époux diplomates ou au sein de leurs cercles amicaux et sociaux, à l’image de Mélanie de Pourtalès qui s’efforça de réconcilier l’Europe en 1870 à coups de prestigieuses réceptions.
Il faut véritablement attendre le XXème siècle pour qu’une carrière diplomatique s’envisage pour les femmes. En France, le concours du Quai d’Orsay s’ouvre aux femmes grâce à l’initiative de Suzanne Grinberg et de Luce Camuzet en 1928. Mais, n’étant pas encore “citoyennes de plein droit”, un décret stipule que “les femmes seront affectées à des emplois de l’administration centrale ou des services annexes”. En 1930, Suzanne Borel est la pionnière et devient attachée d’ambassade puis secrétaire d’ambassade : « Vous êtes reçue, maintenant il faut vous faire admettre » lui confie l’un de ses professeurs André Siegfried. Elle n’accédera jamais à une carrière consulaire. En 1972, soit 42 ans plus tard, Marcelle Campana est nommée la première ambassadrice de France, au Panama. En 1986, Isabelle Renouard accède pour la première fois à un poste de direction d’administration centrale. Depuis, le nombre de postes diplomatiques confiés à des femmes progresse lentement.
Suzanne Borel : le visage d'une femme pionnière, première diplomate française
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Des freins structurels et géopolitiques à la haute diplomatie féminine
C’est en 1924 qu’une femme devient pour la première fois ambassadrice. Elle s’appelait Alexandra Kollontaï, était russe et nommée en Norvège. 100 ans plus tard, la présence des femmes dans la diplomatie et les relations internationales est encore très timide. Selon l’ONU, il n’y a eu que 13% de négociatrices et 6% de signataires dans les processus de paix entre 1992 et 2019. En France, si Catherine Colonna, alors ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, évoquait le 8 mars 2023 que la féminisation de la diplomatie évoluait dans le bon sens, l’égalité d’accès à d’importants postes n’est pas encore une réalité. A titre d’exemple, seulement trois Françaises sont ambassadrices dans les pays du G20 en 2023, contre sept ambassadrices britanniques.
Comment expliquer la timide féminisation de la diplomatie ? L’historien Guy Thuillier écrivait en 1988 que le Quai d’Orsay était “apparemment le plus misogyne des ministères avec l’Intérieur, (...) conformément à des traditions fort anciennes”. Autres explications évoquées, la lente adaptation des protocoles qui a pu freiner la nomination de femmes, la préférence masculine dans des postes économiques et militaires ou encore la plus faible proportion de femmes admises dans des études vers la diplomatie. A titre d’exemple, seules 36% de femmes ont été admises à l’ENA en 2019. Par ailleurs, l’image de la femme mère de famille, moins disponbile - et donc moins engagée dans sa haute mission - a certainement pu influencer des décisions de nominations dans le passé. Triste réalité géopolitique, les autorités ne peuvent parfois pas envisager une nomination féminine dans des pays où la culture, la religion ou les mœurs pourraient bloquer.
La diplomate sur Netflix : un thriller politique dans les rouages de la diplomatie
La France mène une stratégie de diplomatie féministe depuis 2019
Conscient du caractère prioritaire et global de l’égalité entre les hommes et les femmes, la France décide de mettre en place une diplomatie féministe en 2019. Son objectif principal est d’intégrer l’égalité des sexes à toutes les problématiques à l’international, à savoir la sécurité, la santé, les enjeux climatiques et économiques, la politique etc…
La féminisation de la diplomatie fait donc partie des axes de la diplomatie féministe, voulant donner le même accès aux sphères de représentation et d’influence qu’aux hommes. L’un des fers de lance pour le président de la République : "La diplomatie française doit aussi servir l’égalité entre les femmes et les hommes. (...) Il nous faut poursuivre une vraie diplomatie féministe." annonçait-il en 2019 lors de la conférence des ambassadeurs. En 2023, le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères a reçu le Label AFNOR « Égalité professionnelle entre les femmes et les hommes », reconnaissant l’implication du ministère dans une démarche égalitaire à long terme. Une nouvelle qui va donc dans le bon sens. Gageons que le nouveau ministre locataire du Quai d’Orsay depuis mi-janvier 2024, Stéphane Séjourné, continue dans cette voie d’égalité et de féminisation.
C’est quoi le programme Tremplin ? Le programme, lancé en mars 2023 par Catherine Colonna, lors Ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, vise à “ étoffer le vivier de femmes susceptibles d'occuper des fonctions supérieures au sein du ministère de l’Europe et des affaires étrangères en accompagnant chaque année 20 collègues” et “renforcer le vivier de talents féminins” s’exprimait l’ancienne ministre en août 2023. En 2024, Agnes Romatet-Espagne, Directrice des ressources humaines au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et Cédric Manuel, Délégué ministériel à l'encadrement supérieur, délégué à la mobilité pilotent ce programme.