Le Français de l’étranger et la fiscalité vivent une relation parfois complexe. Aujourd’hui, ce sont finalement les préjugés, les prises de position mais surtout… la méconnaissance du sujet qui peuvent faire le plus mal.
Il y a des débats qui reviennent régulièrement sur la table, comme la fiscalité des Français de l’étranger. La semaine dernière, de nouvelles propositions de lois ont été discutées à l’Assemblée nationale à ce propos. Comme si l’image de l’exil fiscal prenait systématiquement le dessus sur le travail -acharné- d’influence et de promotion de la France à l’étranger… Il nous a semblé alors important de faire le point et casser - enfin ? - la caricature de l’exil fiscal des expatriés français.
La raison fiscale n’est PAS la principale raison de s’expatrier
En 2019, un rapport d’information relatif à l’impôt universel a été remis à l’Assemblée nationale. Moins d’un expatrié français sur 10 avouait quitter la France pour des raisons fiscales (7%). D’ailleurs, attardons-nous sur la photographie plus générale des raisons d’expatriation des citoyens français. En 2020, l’Observatoire de l’expatriation par la Banque Transatlantique et Opinionway conclut que le travail constitue le premier motif d’expatriation. L’opportunité professionnelle est la raison du départ pour 39% des répondants, suivi d’un choix par amour (25%), puis d’une envie de découvrir une nouvelle culture (23%), de progresser professionnellement (20%) et, enfin, de bénéficier d’une rémunération plus élevée (13%). Le moteur n’est donc - à priori – pas la fuite de l’impôt.
Soyons transparents. Selon cette même étude, les répondants qui ont passé 20 ans en moyenne dans le pays d’accueil, déclarent que leur pays d’expatriation est plus adapté que la France pour exercer une activité professionnelle (68%), chercher du travail (64%) ou encore créer une entreprise (64%). Il doit y avoir la recherche de douceur fiscale sous le chapeau de ces réponses, sans pour autant le vérifier. Si c’est le cas, l’attrait fiscal de la France est peut-être à repenser pour ceux qui hésitent à rentrer…
Les influenceurs ne sont pas le reflet des Français de l’étranger
En novembre 2021, l’influenceuse Nabilla l’avouait à demi-mot sur le plateau de l’émission Quotidien : elle s’est installée avec sa famille à Dubaï pour les avantages fiscaux "c'est quelque chose de pas négligeable », ajoutant ensuite : " ce n'était pas vraiment le but premier, on voulait un endroit pas trop loin de la France, pas trop de décalage et surtout la sécurité". Elle n’est pas la seule. Depuis plusieurs années, des stars de télé-réalité s’installent à Dubaï. Ils y cherchent la chaleur du climat…mais aussi de la fiscalité. Concrètement, l’entreprise paie peu de charges sur les salaires. Malte est un autre exemple où l’impôt sur la fortune n’existe pas. Quant à l'Andorre, le pays possède l’un des taux d’imposition les plus bas d’Europe.
Sauf que… le Français établi hors de France n’est pas l’influenceur des réseaux sociaux. Il est ingénieur au sein d’une entreprise française, chef cuisinier, musicien, journaliste, chargé de famille, enseignant, engagé en contrat local ou au sein d’une ONG, bénévole dans l’humanitaire, professeur à domicile, artisan, commerçant, détaché d’ambassade, binational… la liste est évidemment non exhaustive. Ce qui est visible sur les réseaux sociaux n'est pas la réalité de tous. Le choix d’une meilleure fiscalité par une poignée de citoyens français ne doit pas devenir une généralité dans la tête des compatriotes de l’Hexagone encore moins des parlementaires…
Des parlementaires stigmatisent encore les Français de l’étranger
A ce propos, l’exonération d’impôt des Français de moins de 30 ans, proposée par les députés du Rassemblement National, a été rejetée la semaine dernière. Selon eux, la « fuite » des jeunes Français se résumerait par la lourdeur fiscale : "Les talents fuient le pays (…). C'est le capital humain, c'est l'argent public investi dans les talents humains qui sont en train d'enrichir les puissances étrangères", a-t-on entendu dans l’Hémicycle.
Autre discussion (décidément, les expatriés font parler), autour du principe général d’imposition différentiel, et en fonction de la nationalité. Si certains pays le pratiquent comme les Etats Unis, ce n’est pas le cas de la France. L’amendement proposé par La France Insoumise, soutenu par le Rassemblement national, a été de "soumettre un paiement différentiel dans un pays où l'impôt est inférieur de 50% au français". Le but est de "lutter contre l’exil fiscal" (et pas plutôt l'évasion ?). Le RN souligne la proposition avec la question de la nationalité : "la nationalité donne des droits mais aussi des devoirs envers la nation". L’amendement a été rejeté. Les propositions de lois de LFI et du RN ont fait vivement réagir Stéphane Vojetta, député des Français de l’étranger de la 5ème circonscription : "En tant que Français de l'étranger depuis plus de 25 ans, ce genre de discours est désespérant (…). Vous ne connaissez pas les Français de l'étranger, vous les méprisez en les caricaturant."
Au-delà des débats politiques et sans nier l'importance du phénomène de l’exil fiscal, il semble réducteur d’accoler « exil fiscal » et « expatriation », ne serait-ce qu’au regard des principales motivations de départ évoquées précédemment...et du fait qu'ils payent aussi des impôts.
L’expatrié français paye aussi des impôts
Pour certains, l’information est peut-être un scoop mais, oui, les Français établis hors de France payent aussi des impôts. D’abord, de par leur domicile fiscal, ils sont assujettis à l’impôt de leur pays de résidence. Et, parfois, la fiscalité y est moins avantageuse ou équivalente à celle de l’Hexagone. De plus, certains citoyens établis hors de France payent des impôts en France comme les impôts sur les revenus de source française, l’impôt sur les successions, sur la fortune ou encore sur les plus-values immobilières réalisées en France.
Leur situation fiscale peut même drastiquement se compliquer, si une convention fiscale entre le pays d’accueil et la France n’est pas clairement mise en place : l’expatrié pourrait être considéré comme étant résident fiscal de deux pays simultanément entraînant donc un risque de double imposition. C’est le cas de la Barbade, du Bélize, du Costa Rica, du Guatemala, de l’Honduras ou de l’Irak pour ne citer qu’eux. Du côté des parlementaires, le sujet de « révision des conventions fiscales signées par la France (128 en avril 2019) » a déjà été évoqué, mais jugé trop fastidieux.
Le défi du rayonnement de la France à l’étranger
François Barry Delongchamps, Président de l’UFE (Union des Français à l’étranger) déclarait en 2020 qu'il est “important que les pouvoirs publics, comme nos compatriotes dans l’Hexagone, ne laissent pas le lien précieux avec les Français de l’étranger se distendre." Car il existe une réalité encore bien méconnue : une partie de la force de l’économie française se situe aujourd’hui entre les mains des quelque 2,5 millions de Français hors de France. Il suffit de répondre à ces différentes questions pour s'en rendre compte :
Qui signe les contrats de partenariats entre la France et un pays étranger ?
Combien y a- t-il d’entreprises françaises à l’étranger aujourd’hui ?
A qui vendent-elles leurs produits et leurs services ?
Pourquoi les exportations françaises se maintiennent-elles ?
Comment les valeurs de France sont-elles aussi reconnues dans le monde ?
Comment est-ce possible que le réseau d’enseignement français soit l’un des plus puissants au monde ?
(…)
Ajoutons-y quelques chiffres très concrets : 46.000 filiales d’entreprises françaises existent à travers le monde. Celles-ci emploient 6,3 millions de personnes. En 2021, les revenus des actifs français à l'étranger ont fait rentrer dans les caisses 54 milliards d'euros selon la Banque de France. Enfin, à titre d’exemple, les vins français sont tant appréciés et renommés dans le monde, que leur exportation a progressé de 28% en 2021.
Fin 2020, 85% des expatriés se déclarent « fiers d’être français » et 63% se considèrent comme des « ambassadeurs de la France » dans leur pays d’accueil. Malgré les distances et les années, l’attachement pour la France est très fort, le lien est indéniable. Selon l’Observatoire de l’expatriation, seuls 2% des Français expatriés déclarent ne plus jamais vouloir retourner en France. 98% ne fuient donc pas la France. Et, si l’on se concentre un peu plus sur les mots, l’écrivain Ambrose Bierce écrivait un jour qu’un exilé est une " personne qui sert son pays en résidant à l'étranger, sans être pour autant ambassadeur". Le terme d’exilé n’est finalement pas si péjoratif que ça…