Dans « Mado, 13 ans, oublie l’exil », Christine Sagnier dépeint, à travers les yeux d’une enfant, le « chemin de croix » des demandeurs d’asile en France. Rencontre avec l’autrice.
Dans « Mado, 13 ans, oublie l’exil » (2021, Henry Dougier), Christine Sagnier raconte le parcours d’une famille issue d’un pays d’Afrique francophone, de la fuite du domicile sous les coups de feu à l’obtention du statut de réfugié politique tant convoité. Mais, à travers les yeux d’une enfant, Christine Sagnier ne raconte pas une seule histoire, mais mêle les récits pour faire émerger une histoire universelle. Celle de personnes humaines dont l’arrivée et l’adaptation en France est, bien trop souvent, semée d’embûches.
L’histoire de Mado est un mélange de plusieurs histoires d’enfants réfugiés.
Il s’agit d’un récit, car nous sommes très proches de la réalité. J'ai recueilli les témoignages de jeunes adolescents et adolescents, et également de leurs parents, des instituteurs qui s'occupent d'eux. Il s'agissait d'enfants de demandeurs d'asile ou de personnes qui venaient d'obtenir l'asile et qui étaient dans un foyer de France Terre d'Asile, c’est-à-dire un Centre d'accueil de demandeurs d'asile (CADA), à Créteil.
Comme si, finalement, tout était fait pour leur mettre des bâtons dans les roues et freiner leur accueil et leur adaptation
Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire l’histoire de Mado ?
En 2015, les situations dont nous entendions parler à la radio me désespéraient. Le fait de ne rien faire était désespérant, et j'ai donc contacté France Terre d'Asile. Par leur biais, j'ai rencontré, dans le cadre d'un programme, un jeune homme du Darfour qui venait d'obtenir le statut de réfugié. En faisant la connaissance d'Abdelaziz, en l'écoutant à plusieurs reprises parler de son expérience en France et du chemin parcouru, j'ai compris l'ampleur du parcours du combattant pour arriver en France, sans connaître la langue pour certains, avec une administration d'une lourdeur effarante. Comme si, finalement, tout était fait pour leur mettre des bâtons dans les roues et freiner leur accueil et leur adaptation. Et j'ai eu envie de parler de ça, de parler tout particulièrement de l'accueil, car il est crucial. Il s'agit d'une pierre de plus dans ce chemin de croix. Il y a un facteur de dépression, de désespoir. L'accueil en France est tellement difficile.
Ce que nous pouvons maintenir à distance quand il s'agit d'adultes nous touche beaucoup plus lorsqu'il s'agit d'enfants.
Cela en fait-il une sorte « d’histoire universelle » des réfugiés ?
De nouveau par le biais de France terre d'asile, j'ai contacté des enfants pour recueillir leurs témoignages, mais dans le cadre d'une famille, pas des enfants qui auraient fait le chemin seuls. Ça n'a rien à voir. Ces familles sont des monsieur et madame Tout le monde. Nous aurions pu, d'une certaine manière, nous retrouver dans cette situation-là avec nos propres enfants. France Terre d'asile m'a permis d'aller dans un centre d'accueil et de rencontrer différents enfants à différents stades de la procédure. Je trouvais intéressant d'avoir le regard des plus jeunes car il me semble que cela facilite la compréhension. Ce que nous pouvons maintenir à distance quand il s'agit d'adultes nous touche beaucoup plus lorsqu'il s'agit d'enfants. J'avais l'espoir de toucher certaines personnes qui auraient pu rester un peu indifférentes ou, tout au moins, vouloir se préserver. Mais dès lors que le récit est celui d'un enfant, je pense qu'il est difficile de ne pas être dans l'empathie et de ne pas penser à ses propres enfants.
Nous ne pouvons réaliser ce que c'est que de se retrouver d'un coup dans un monde qui devient hostile, sans papiers ni connaissance des relations.
Selon vous, l'intérêt de raconter une histoire comme celle-ci à travers le regard d'une enfant de 13 ans réside donc dans le fait que son innocence provoque l'empathie bien plus que s'il s'agissait d'un adulte ?
Oui. Nous parlons énormément des réfugiés adultes, qui sont en nombre, avec souvent les mêmes récits. Et nous avons rarement, finalement, le regard des enfants, qui nous rapproche d'un coup. J'ai fait lire mon texte à des enfants et des adolescents en France, et ils ont réalisé qu'il s'agissait vraiment de personnes comme vous et moi, dont les parents avaient une situation plus ou moins bonne et qui se retrouvaient soudainement obligés de partir sans savoir où ils allaient atterrir, aux mains de passeurs et autres. Et ici, ils se retrouvent complètement démunis, sans passé, sans rien. Nous ne pouvons réaliser ce que c'est que de se retrouver d'un coup dans un monde qui devient hostile, sans papiers ni connaissance des relations. Se retrouver comme ça dans l'espoir d'obtenir des papiers, mais dans cette attente infernale qui n'en finit pas. Cette attente-là fait que vous n'existez plus, en tant qu'adulte en tout cas. Les enfants ont beaucoup plus de force et d’énergie.
En facilitant l'accueil, nous simplifierions l'adaptation et recevrions beaucoup en retour.
Quel message souhaitez-vous transmettre ?
Le message est simple : cela pourrait arriver à n'importe qui. Il faut regarder ces gens avec empathie et s'ouvrir davantage. En facilitant l'accueil, nous simplifierions l'adaptation et recevrions beaucoup en retour. À l'inverse, mettre des bâtons dans les roues ne peut générer que des choses négatives pour les personnes qui sont accueillies. Il est évident que cela crée des frustrations. Nous créons du malheur à la chaîne. Les enfants, comme ce récit s'adresse aussi aux scolaires, collégiens comme lycéens, peuvent eux aussi être touchés par cela. Cela peut les inciter à regarder tous ces gens complètement différemment, à voir qu'ils sont comme vous et moi et qu'il faut les accueillir dignement.
Certains travaillent sans papiers et, à un moment, il devient ridicule de ne pas leur donner.
Vous décrivez aussi le processus d'obtention du statut de réfugié, qui est encadré par la Convention de Genève de 1951, et la précarité de la situation de demandeur. Comment pourrait-on améliorer leur situation?
Certains travaillent sans papiers et, à un moment, il devient ridicule de ne pas leur donner. Les employeurs payent les cotisations, et cette personne n'a pas ses papiers au bout de 10 ans. Si nous ne leur facilitons pas la vie, à quoi cela sert-il ? Quant aux démarches administratives pour une procédure d'asile, il faudrait aussi se pencher sur la vie des gens, essayer de connaître les langues. Une personne soudanaise m'a racontée que lorsqu'elle s'est présentée lors de la procédure, il y avait un traducteur d'arabe classique et non d'arabe soudanais. Il ne connaissait pas la langue, ni la région. Les choses sont souvent interprétées de travers, avec une mauvaise connaissance de la situation politique, ce qui est assez terrible car cela peut conduire à des erreurs monumentales, à renvoyer des personnes qui, de retour dans leur pays, se retrouveront directement en prison. Il y a tellement de choses qui paraissent faites pour les repousser plutôt que pour les accueillir.
Nous ne regardons pas ce que les gens sont.
Nous pourrions trouver des solutions pour que ces personnes soient moins seules, pour ouvrir les bibliothèques, que les foyers restent ouverts l'été pour les enfants, etc. Mettre à disposition un traducteur qui connaît la langue de la personne en face de lui relève du bon sens. D'autre part, dans le cas de ce jeune homme soudanais qui venait d'obtenir son statut de réfugié, aucun travailleur social n'a cherché à savoir ce qu'il avait fait avant. Il avait travaillé dans l'agriculture depuis ses sept ans, et en avait désormais 28, et personne ne l'avait orienté vers un travail dans le paysagisme ou l'agriculture. Tout le monde est systématiquement renvoyé vers le tri de déchets et je trouve ça terrible et plein de mépris de l'autre. Les femmes se voient toujours proposer des métiers subalternes également. Nous ne regardons pas ce que les gens sont.