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Charlène Descollonges, Fake or Not : “Un Français consomme 5000 L d’eau par jour”

L’eau est au centre de l’actualité depuis l’explosion catastrophique du barrage Kakhova en Ukraine. Sécheresses, guerre de l’eau, inondations, mais aussi espoir sont au menu de la discussion avec Charlène Descollonges, ingénieure hydrologue qui signe "L’eau" de la collection Fake or Not de Tana Editions.

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Crédit photo : Clémentine Gras
Écrit par Natacha Marbot
Publié le 9 juin 2023, mis à jour le 18 juin 2023

Qu’est-ce que l’empreinte eau ? 

L'empreinte eau est un indicateur qui permet de quantifier toute l'eau nécessaire pour fabriquer nos biens : nos objets, vêtements, notre alimentation. Cela compte aussi l’eau qu’on pollue pour la fabrication de ces biens de consommation. Alors, grâce à l’empreinte eau, on voit mieux l’appropriation humaine sur le cycle de l’eau. 
 

Pourquoi les ressources en eau sont-elles de plus en plus limitées ? 

On a tendance à croire que l’eau disparaît, ou se raréfie : mais ce n’est pas vrai ! On ne manque pas d’eau dans nos latitudes, le problème concerne la gestion de cette ressource. Le changement climatique entraîne des phénomènes climatiques extrêmes tels que des canicules, des sécheresses, des inondations, des fortes pluies : ce sont des facteurs extérieurs. Mais il y a aussi des facteurs internes qui montrent que nous, les humains, avons complètement dégradé le cycle de l’eau en aménageant les territoires de manière à évacuer le plus d’eau, le tout en sur-utilisant les ressources naturelles, en détruisant les zones humides et les forêts. Pour résumer, le cycle de l’eau a déjà été très dégradé par l’activité humaine, et le changement climatique vient aggraver le tout.
 

Quel est l’effet de la fonte des glaciers sur la réserve mondiale d’eau douce ? 

Les effets sont multiples. La fonte des glaciers, telle que la calotte glacière (77% de l’eau douce mondiale) entraîne la perturbation des courants océaniques, comme le Gulf Stream, car elle dilue la salinité des océans. Les courants ont eux un impact sur le climat. 5% de l’eau douce mondiale est, elle, dans les glaciers continentaux. Quand ils fondent, ils bouleversent le régime hydrologique. Concrètement, les cours d’eau sont beaucoup trop pleins l’hiver et à sec l’été. 
 

 

Existe-t-il un risque de guerre de l’eau ? 

Oui, et j’irai même plus loin en disant que la plupart des conflits dans le monde ont, un moment donné, eu un lien avec l’eau. On le voit aujourd’hui malheureusement (le 6 juin 2023) avec la destruction du barrage de Kakhovka en Ukraine. On ne sait pas encore qui est responsable mais il s’agit sans aucun doute d’un signe de domination. Beaucoup de conflits naissent autour de barrages, du partage des ressources en eau. En France, on le voit aussi, notamment sur le partage de l’eau dans l’agriculture. Des évènements comme Sainte Soline et les mégabassines sont les signes avant-coureurs de guerres de l’eau. 
 

D’un point de vue individuel, que peut-on faire - ou ne plus faire ? 

Il faut déjà arrêter de consommer de l’eau en bouteille. L’eau alimentaire, en France, est un produit très contrôlé, sans risques. Nous sommes très chanceux ! Si jamais le goût ne vous plaît pas, vous pouvez toujours la laisser en carafe, la filtrer. Un des premiers éco-gestes est d’arrêter les bouteilles en plastique.


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Que dire aux expatriés qui vivent dans des pays où l’eau du robinet n’est pas potable ? 

Ils sont effectivement dans une situation plus compliquée. Il faut aller autant que possible faire pression sur les autorités publiques, même s’il n’est pas évident de le faire quand on est expatrié. Alors, ce qu’ils peuvent faire, c’est s’informer puis témoigner à leur famille et leurs amis en France à quel point ils sont chanceux de pouvoir boire l’eau du robinet, peut-être être le déclic qui les fera arrêter. Enfin, s’ils le souhaitent, ils peuvent s’engager auprès d’associations et d’ONG locales qui œuvrent sur place pour l’accès à l’eau potable, je pense notamment à Solidarités International. 
 

Et à part l’eau en bouteille ? 

Il y a plein de choses à faire. Au début de l’été, le gouvernement lance son plan de sensibilisation d'éco-gestes avant la sécheresse et c’est très bien, cela permet d’alléger les cours d’eau et les nappes autour de soi. Mais il faut aller plus loin. Il faut parler de l’empreinte eau qui est bien plus importante que l’eau que l’on consomme chez soi : elle est entre 4000 et 5000 litres d’eau par jour, contre 146 litres à la maison ! Elle utilise majoritairement ce qu’on appelle l’eau verte*. L’empreinte eau pose donc la réflexion de l’alimentation. Après l’eau en bouteille, il faut donc penser à manger une alimentation moins transformée et moins carnée*. C’est entrer dans un cercle vertueux : manger plus végétal veut dire plus sainement, de meilleure qualité, en émettant moins de carbone et en consommant moins d’eau. Par extension, cela protège aussi les sols, les arbres et la biodiversité. 

Pour tous les autres objets de consommation - les plus gourmands en eau sont les objets technologiques* et les vêtements - il faut faire durer, moins acheter, préférer l’occasion au neuf, le low tech au high tech. La sobriété hydrique va de pair avec la sobriété énergétique, tout converge. Et il ne s’agit pas du tout de revenir à l’âge de pierre !
 

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Quelles sont les pistes d’espoir ? 

Il y en a beaucoup ! Il faut bien noter que ce n’est pas foutu, loin de là. Certes, le réchauffement climatique prend le pas sur beaucoup de choses, notamment sur la ressource eau, et nous allons être encore confrontés à des évènements climatiques extrêmes. Mais nous avons le pouvoir de régénérer le cycle de l’eau : ne serait-ce que par des choix politiques ou notre alimentation ! Il existe des politiques vertueuses, de dépollution, d’agro écologie par exemple. Il suffit de faire les bons choix. Je pense qu’il est temps aussi de s’engager, pas forcément d’un point de vue politique, mais citoyen ! Il existe par exemple des Parlements de l’eau* partout en France, et personne ne le sait, ou encore des associations (Waterfamily, LPO, FNE, Wild Legal, Rivières sauvages, Pour une agriculture du vivant) . 


Glossaire

*Eau verte : il s’agit de l’eau de pluie infiltrée dans les sols, contenue dans le terre qui s’évapore ensuite par la végétation (forêts, prairies…). À ne pas confondre avec l’eau bleue, des cours d’eau et des nappes souterraines, et l’eau grise qui désigne les eaux usées (domestiques, agricoles, industrielles). 

*Viande & l'eau : Il faut entre 15.000 et 22.000 litres d’eau pour produire un 1kg de bœuf. 41% de l’eau utilisée pour irriguer les champs en France arrose des productions de maïs qui vont ensuite nourrir le bétail. 

*Eau en bouteille : Au-delà du coût de l’eau en bouteille, 72 fois supérieur à celle du robinet en France, elle pose un problème de cycle de l’eau. L’eau embouteillée est pompée à un endroit et consommée (puis rejetée par les excréments) souvent très loin de son lieu d’origine. 

*Technologie & eau : les objets high-tech pourvus de batteries sont très gourmands en eau. On estime que pour une batterie de Tesla (64 kWh), il faut 3849 litres d’eau, et environ 12.000 litres pour un smartphone

*Parlements de l’eau : Ce sont des assemblées locales, on en dénombre 477 en France. Elles élaborent des feuilles de route sur le partage et la protection de la ressource. Les membres sont élus tous les six ans et les citoyens n’y sont pas admis.

 

Fake or Not, l'eau. Tana Editions, 13,90€ 

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Publié le 9 juin 2023, mis à jour le 18 juin 2023