Saviez-vous qu’un dessinateur de voyage pouvait se nommer un « caricatouriste » ou qu’un « népalaid » est en fait un beau bébé ? Ces bons mots sont signés Pascal Légitimus, membre des Inconnus, qui, avec son Alphabétisier (Michel Lafon), navigue avec humour dans sa version de la francophonie.
L’alphabêtisier est un livre de mots pour dénoncer les maux
Comment vous est venue l’idée de cet Alphabêtisier ?
L’idée vient d’un ami journaliste Gilbert Jouin, qui est un amoureux des mots. Il m’a proposé d’écrire un livre où on changerait la facture des mots, c’est à dire qu’en enlevant ou en rajoutant une lettre certains mots changeaient de forme et donc de définition. On a, par exemple, pris le mot « dépôt vente », en rajoutant un « r », cela fait un « dépôt-ventre » dont la définition est "femme porteuse". Nous nous sommes amusés à refaire tout l'alphabet pendant presque six mois. Nous avons pris les mots les plus intéressants avec des définitions originales, drôles voire même philosophiques.
Pour se démarquer des livres de Laurent Baffie ou Stéphane de Groodt, nous avons inventé d'autres rubriques pour jouer sur les mots, comme des épitaphes anticipées de personnes qui ne sont pas encore mortes. Nous avons aussi détourné des chansons. Si vous êtes dans une situation et vous ne trouvez pas le mot exact, il se trouve dans notre livre. L’alphabêtisier est un livre de mots pour dénoncer les maux.
Quand on voit la langue des banlieues, on est loin du français de Molière ou de Racine
On reproche souvent au français de ne pas assez évoluer contrairement à l’anglais. Votre Alphabêtisier est aussi un moyen de dépoussiérer la langue de Molière ?
Je trouve que le français bouge. Quand on voit la langue des banlieues, le verlan, Pierre Dac, Alphonse Allais, on est loin du français de Molière ou de Racine. Le français utilise aussi des mots qui viennent de l’arabe comme « kawa » ou « kif-kif ». Je trouve, c'est vrai, qu'en matière d'humour, elle n'a pas beaucoup changé. Sans aucune prétention, nous l'avons fait bouger dans ce livre en prenant des chemins de traverse.
Parmi tous les mots que vous avez créés ou desquels vous avez détourné le sens, quels sont vos préférés ?
Il y a tellement de choses. J'aime bien le mot « clébar » qui est un « établissement permettant aux chiens de se désaltérer », un « fachaud » qui est un « extrémiste exalté prêt à tout crâmer » ou une « équivioque », une vieille femme au comportement ambigu, susceptible de méfiance.
J'aime beaucoup les épitaphes comme celle de Macron : « Hé, Manu, tu descends ? ... C'est fait ! », ou celle de Jean-Marie Le Pen : « Quand on pense que toute ma vie, j'ai combattu les Maures… » Il y a aussi des phrases drôles comme « Il a tellement pris son pied qu'il était sur les genoux » ou « Les gens qui se font chier ont souvent un air constipé ». Des choses assez simples mais finalement presque philosophiques.
Les thèmes que nous avons abordés dans nos sketchs sont universels
Les Inconnus sont un incontournable du paysage humoristique français. Est-ce que l’humour, en tant que langage universel, vous a aussi permis de dépasser les frontières ?
Avec les Inconnus, nous avons inventé des mots comme « bouleversifiant ». Pas mal d'étrangers reprenaient nos termes pour se les approprier. L'humour des Inconnus s'exporte beaucoup dans la francophonie et même de génération en génération. Nous nous en sommes rendus compte il n'y a pas longtemps. Des gamins de 12-13 ans, qui ne nous ont pas connus il y a 30 ans, sont avides de notre humour et s'en nourrissent. Les thèmes que nous avons abordés dans nos sketchs sont universels.
Nous avons craché sur du papier notre façon de voir le monde
En tant qu’acteur et metteur en scène, en quoi est-ce important de réinventer le language ?
Ce qui est intéressant c'est de faire bouger les lignes. Comme dans une recette de cuisine, chacun ajoute sa petite sauce. Le fond reste le même. Nous parlons tous de la même chose : du malaise, du mal-être, de carence affective, d'histoire d'amour... Tous les créateurs du monde parlent de ces sujets, il n'y a que la forme qui change. La forme c'est un point de vue, une facture, une manière de concevoir le monde. Chaque personne a son propre univers.
Avec Instagram, chaque personne a aujourd’hui sa propre télévision. La leçon est d'être soi-même et de ne pas imiter les autres. Il ne faut pas vivre à travers le regard des autres. La peur et le stress nous poussent à rentrer dans le rang. Avec les Inconnus, nous ne sommes jamais rentrés dans le rang. Nous avons toujours fait ce que nous voulions. Nous avons craché sur du papier notre façon de voir le monde.