L'immigration française a occupé, durant le 19ième Siècle et jusqu'en 1914, la troisième place au rang des flux migratoires en Argentine. Qui étaient ces Français qui se sont lancés dans l'aventure Argentine, et que sont-ils devenus? Lepetitjournal.com a rencontré Hernán Otero, historien et docteur en Démographie et Sciences Sociales, auteur de Historia de los franceses en la Argentina publié en février dernier.
Des exilés militaires et intellectuels aux Pétinistes d'après guerre
Des exilés militaires et intellectuels
Depuis les débuts timides d'un flux migratoire dans les années 1830, jusqu'à la moitié du XXIème siècle, débarquèrent plus de 250.000 français. La défaite de Napoléon à Waterloo fut à l'origine d'une première vague migratoire composée majoritairement de militaires, explique Hernán Otero. La seconde vague, dite d'élite, survint peu après le coup d'Etat de Louis-Napoléon Bonaparte en 1851, forçant certains intellectuels à s'exiler vers des terres inconnues. Sur place, ceux que l'on nomme «les pères de la communauté française» se rassemblèrent autour de projets communs pour créer le célèbre Club Frances ou encore la Chambre de Commerce qui participe encore aujourd'hui à la vie économique et culturelle argentine. Quant-aux nombreux journaux dont ils sont les pères, ils ne résistèrent pas aux siècles et ont aujourd'hui totalement disparus, dont Le Courrier de la Plata.
... aux Français d´origine modeste
Les années passent et l'Argentine devient petit à petit la terre d'accueil de français d'origine modeste fuyant les guerres, les répressions et les successions de régimes autoritaires. "Il s'agissait principalement d'ouvriers, d'artisans, de paysans, ainsi que de nombreux socialistes et anarchistes", explique l'historien. Le pic d'immigration le plus important est toutefois enregistré entre 1887 et 1889. A cette époque, le gouvernement argentin a une véritable obsession, celle de peupler son immense territoire tout en faisant contrepoids à la forte immigration Italienne. Sous le mot d'ordre politique « gobernar es poblar » d'Alberdi, l'état se lance dans un projet de peuplement. Des entreprises de colonisation sont mandatées pour attirer les familles d'immigrés Nord Européens : billets de bateau et lopins de terre sont distribués gratuitement ou à bas prix dans le but de créer des communautés de colons. Cette politique fut incontestablement un succès puisque le flux d'immigrants tripla en trois ans, jusqu'à recevoir près de 27 000 français en 1888, plus qu'aux Etats Unis à la même époque. Cette « immigration artificielle » fut de courte durée. La crise financière de 1890 y met rapidement un terme.
... et Pétinistes d'après guerre
A l'orée de XXIème siècle, de nombreux membres des congrégations religieuses, en désaccord avec la nouvelle loi de 1905 proclamant la séparation de l'Eglise et de l'Etat, débarquent à leur tour. C'est à cette époque que l'on voit se développer les collèges religieux français. A partir de 1914 l'immigration s'essouffle : elle se caractérise par une réduction des arrivées et un taux important de retour vers la mère patrie. Hernán nous explique que les raisons sont multiples : « certains encore récemment arrivés furent par exemple convoqués pour rejoindre les rangs militaires lors de la première guerre mondiale ». Enfin, ce sont les nazis et les pétinistes qui, en 1945, choisissent l'Argentine – entre autres pays d'Amérique du sud - comme terre de refuge.
Si l'on entend souvent dire que les immigrés français étaient Aveyronnais et Basques, l'écrivain précise qu'il s'agit là d'un raccourci un peu rapide. « S'il est vrai qu'ils étaient nombreux, on ne peut pour autant se limiter à ces deux régions. En réalité ils étaient originaires du sud et sud-est de la France mais aussi de Paris et de la région Parisienne ou encore de villes portuaires comme le Havre ou Bordeaux. »
La particularité de l'immigrant français : sa volonté d'intégration
L'immigration française diffère de l'immigration anglaise et italienne sur plusieurs plans. Elle est un cas intermédiaire entre la première qui fut une immigration d'élites et la seconde, très populaire.
Sa deuxième particularité, explique Hernán Otero, est qu'elle s'intégra très rapidement à la société Argentine. Si dans un premier temps des communautés furent fondées dans les provinces de Buenos Aires, Santa Fe ou encore Entre Rios - dont la plus connue reste Pigüé où l'on y retrouve les maisons emblématiques Aveyronnaises du sud de la France - elles se mélangèrent très rapidement à la population. « On envoyait les enfants dans les écoles publiques où ils y apprirent la langue, de nombreux mariages mixtes se célébrèrent et la seconde génération ne partit pas combattre sous le drapeau français en 1914 ». Autant de signes démontrant la volonté et la réussite de cette intégration qui contribua à « l'uniformisation culturelle » de la société argentine, selon lui.
Succès ou échec : que devinrent ces colons ?
Si certains rencontrèrent un grand succès dans leur entreprise, comme fut le cas de Pierre Luro qui accumula une grande fortune et créa la grande station Balnéaire de Mar del Plata, cela reste une part minime en proportion des centaines de milliers d'immigrants. Pour la grande majorité d'entre eux, le simple fait de devenir propriétaire terrien, suite à la politique de peuplement du gouvernement, fut en soi une réussite et un indicateur de mobilité sociale. « Mais cela reste très difficile à évaluer car on parle seulement de ceux qui sont restés, qui ont réussi, non des autres, ceux qui ont connu l'échec et qui sont rentrés » fait remarquer l'écrivain, « pour ceux là, il est très difficile de connaître les raisons de leur retour, seules quelques lettres le permettent ».De même, si certains retournèrent dans l'exagone, on ne peut pour autant l'assimiler à un échec, bien au contraire souligne Hernán Otero. Il cite comme exemple le français Emilio Bieckert, fondateur d'une célèbre marque de bière, qui rentra en France en homme fortuné. « Tout dépend des projets migratoires de chacun » ajoute t-il.
Un héritage français silencieux
Pour Hernán, et malgré ce que l'on pourrait penser, les signes de l'immigration française en Argentine sont « silencieux » et « peu visibles ». «Ce qui nous vient des français, à savoir les sciences, l'art, la littérature ou encore l'architecture, à peu à voir avec l'immigration mais provient plutôt d'un modèle français qui, à l'époque, était très fort partout dans le monde et très influent». Selon lui, cet héritage est au contraire relativement discret. Il se retrouve, par exemple, caché au cœur des traditions familiales qui ont su perdurer malgré les années et les deux siècles qui nous séparent de ces aventuriers.
Daphné de Vautibault (www.lepetitjournal.com - Buenos Aires) Mardi 11 septembre 2012
Hernán Otero est auteur de Historia de los franceses en la Argentina. Buenos Aires, Editorial Biblos, Colección La Argentina Plural, 2012, 387 p.