Dans cet article, Pascal Médeville décortique des crevettes (avec quelques conseils gastronomiques ) et le vocabulaire khmer autour de la stupidité.
Ce matin, j’ai été un peu agacé en vérifiant une traduction en khmer faite pour un client. Le client voulait un document bilingue, avec la traduction en khmer sous chaque paragraphe en anglais. Il avait à cet effet, dans son fichier Excel, inséré une ligne sous chaque ligne anglaise, et avait ajouté dans les lignes insérées la mention « Khmer Translation ». Or, notre traducteur a eu la brillante idée d’ajouter sa traduction dans les cellules anglaises, sous l’anglais, et de mettre sous les lignes ayant la mention « Khmer Translation », la ligne « សំណៅបកប្រែខ្មែរ » (traduction en khmer)…
En expliquant à ma relectrice que « Khmer Translation » indiquait que le client souhaitait que nous insérions la traduction dans les lignes ainsi balisées, je ne pus m’empêcher de lui expliquer que si je ne doutais pas que notre traducteur possédât un cerveau, je le soupçonnais d’avoir oublié de s’en servir…
En réponse à mes commentaires, mon adorable assistante m’a dit deux mots : ខួរបង្កង [khuo bâng-kâng], littéralement « cerveau de grosse crevette d’eau douce ».
Les traductions en anglais que je trouve dans les dictionnaires en ligne pour l’expression ខួរបង្កង expliquent toutes que le mot ខួរបង្កង désigne ce que les cuisiniers français appellent le « corail », qui « est le nom donné à la partie verte devenant orangée à la cuisson qui se trouve dans le coffre des homards et des langoustes, et qui sert d’élément de liaison aux sauces d’accompagnement de poisson, de crustacés ou de coquillages. » (définition fournie par le site Gastromaniac).
Le mot khmer ខួរ est un terme générique qui désigne la cervelle, la moëlle et, donc, le corail des crustacés : ខួរក្បាល signifie « cerveau », ខួរឆ្អឹង désigne la « moëlle des os », et ខួរបង្កង fait ainsi référence au corail des « chevrettes » ou des « demoiselles d Mékong » (autres noms donnés aux grosses crevettes d’eau douce fameuses au Cambodge). (Signalons en passant que, si jamais vous dégustez des chevrettes, ne vous abstenez surtout pas de sucer l’extrémité de la tête détachée du corps, pour en extraire la substantifique moëlle le corail dont la saveur est inoubliable !)
En comparant le cerveau de notre cher traducteur à une « cervelle de chevrette », mon assistante suggérait qu’il n’était pas doté d’un cerveau humain, mais plutôt de celui d’un crustacé et que c’était là l’explication de son erreur.
Au Cambodge, l’expression cervelle de chevrette est une expression gentillette couramment utilisée pour parler de quelqu’un qui ne brille pas par la vivacité de son esprit.
Je qualifie cette expression de gentillette car il en existe d’autres beaucoup moins amènes : pour décrire une personne stupide, on utilise en général l’adjectif ល្ងង់ [l’ngung] et, pour appuyer son affirmation, on peut dire d’une personne qu’elle est bête comme un buffle (ល្ង់ងដូចក្របី), comme un bœuf (ល្ងង់ដូចគោ) ou encore comme un porc (ល្ងង់ដូចជ្រូក). Si je puis me permettre de vous prodiguer un conseil, c’est de vous abstenir d’utiliser ces métaphores, qui sont considérées comme des insultes majeures.
Cet article a été publié précédemment sur Khmerologie que nous vous invitons à consulter. Il regorge d'informations croustillantes sur le Cambodge.