Édition internationale

L'escalade militaire a de lourdes conséquences économiques pour le Cambodge

Alors que les combats se poursuivent le long de la frontière entre le Cambodge et la Thaïlande, experts et acteurs économiques alertent sur un choc économique durable, particulièrement pour les régions frontalières et, à plus long terme, pour l’économie cambodgienne dans son ensemble.

la route nationale 68 ! Deux avions de chasse F-16 ont lancé une attaquela route nationale 68 ! Deux avions de chasse F-16 ont lancé une attaque
Des F-16 ont attaqué la route nationale 68. Photo Ministre de l Information
Écrit par Lepetitjournal Cambodge
Publié le 20 décembre 2025

Les bombes et les roquettes continuent de frapper de part et d’autre de la frontière entre le Cambodge et la Thaïlande. Mais le conflit, relancé en décembre, prépare aussi le terrain à un choc économique prolongé dans les communautés les plus exposées aux combats, alertent des entreprises locales, des universitaires et des experts du commerce.

Les fermetures et restrictions aux frontières entre les deux pays, déjà en vigueur avant les cinq jours d’affrontements meurtriers de juillet, ont gelé les échanges transfrontaliers et privé de revenus des milliers de commerçants, d’agriculteurs et de travailleurs journaliers qui dépendent de ces marchés pour survivre.

Selon le ministère cambodgien de la Défense nationale, des centaines de maisons, mais aussi des marchés, des écoles, des temples et d’autres infrastructures publiques situées près de la frontière ont été détruits par l’artillerie thaïlandaise. De son côté, la Thaïlande affirme que des infrastructures publiques ont également été détruites par des roquettes BM-21 cambodgiennes lors des derniers combats, et dit vouloir affaiblir les capacités militaires du Cambodge.

Les deux pays ont subi des pertes — au-delà des dizaines de vies civiles et militaires perdues des deux côtés — en matière de commerce frontalier et sous la pression croissante sur leur produit intérieur brut. Mais, selon les experts, le Cambodge pourrait en subir l’impact le plus lourd.

La politique intérieure au cœur du conflit malgré le coût économique

Au-delà du champ de bataille, des chercheurs estiment que la politique intérieure joue un rôle déterminant dans la conduite du conflit, en dépit des coûts économiques.

« Cette focalisation sur la survie politique intérieure [de la Thaïlande] suggère que les moyens de subsistance des habitants des zones frontalières et les dégâts économiques plus larges passent au second plan par rapport à l’objectif de sécuriser une base électorale nationaliste et de maintenir le soutien de l’armée », explique Pavin Chachavalpongpun, professeur thaïlandais de politique et de relations internationales à l’Université de Kyoto.

S’exprimant auprès de CamboJA News, Pavin Chachavalpongpun estime que la reprise des affrontements a provoqué de graves perturbations économiques pour les deux pays.

La fermeture de postes-frontières clés, notamment le passage de Klong Luek–Poipet entre la province cambodgienne de Banteay Meanchey et la province thaïlandaise de Sa Kaeo, a interrompu environ 4,7 milliards de dollars d’échanges annuels, selon des données publiques. Le retour de plus de 800 000 travailleurs cambodgiens — un chiffre que le ministère du Travail porte désormais à 900 000 depuis juillet — a également désorganisé des secteurs fortement dépendants de la main-d’œuvre en Thaïlande.

Pour le Cambodge, la coupure des importations thaïlandaises a entraîné une hausse des prix et renforcé les pressions inflationnistes.

Depuis juin, Phnom Penh a interdit l’entrée de tous les produits agricoles et du carburant thaïlandais — la Thaïlande étant pourtant son principal fournisseur de carburant en 2024 — à travers toutes les frontières terrestres. Bangkok a, de son côté, annoncé des restrictions visant les navires thaïlandais soupçonnés de transporter du carburant ou d’autres produits susceptibles de soutenir l’armée cambodgienne.

Le commerce bilatéral entre le Cambodge et la Thaïlande a chuté de 13 % entre janvier et novembre 2025 par rapport à la même période de l’année précédente, selon le Département général des douanes et accises du Cambodge. En novembre seulement, les importations thaïlandaises vers le Cambodge ont reculé de 49 %, tandis que les exportations cambodgiennes vers la Thaïlande ont diminué de 38 % sur un an.

San Chamroeun, chef adjoint du bureau des données et des statistiques du département des douanes, indique que la majorité des produits agricoles auparavant exportés vers la Thaïlande sont désormais redirigés vers le Vietnam et la Chine.

Pavin Chachavalpongpun cite également des données du département thaïlandais du commerce et des échanges, publiées dans un rapport de décembre, selon lesquelles le commerce frontalier avec le Cambodge aurait été perturbé à près de 100 %, pour des pertes estimées à environ 16 millions de dollars par jour.

Si la situation perdure, plus de 66 milliards de bahts (environ 2,1 milliards de dollars) pourraient être perdus en exportations thaïlandaises totales, selon le Centre de prévision économique et commerciale de l’Université de la Chambre de commerce thaïlandaise, qui ajoute que le choc pourrait réduire le PIB du pays de 0,74 % à 1,5 % en 2026.

Un impact économique plus sévère pour le Cambodge

Des dirigeants d’entreprises au Cambodge estiment que le pays ressentira les effets économiques du conflit plus rapidement que la Thaïlande.

Arnaud Darc, président-directeur général du groupe hôtelier Thalias Hospitality Group, basé à Phnom Penh, affirme que la reprise des combats signifie que le Cambodge est susceptible de subir des dommages économiques plus immédiats que la Thaïlande, en raison de sa plus forte dépendance au commerce transfrontalier, au tourisme et aux liens de main-d’œuvre.

Depuis le conflit, la Banque mondiale a revu à la baisse ses prévisions de croissance pour le Cambodge, à 4,8 % en 2025, contre 6 % en 2024. Ce ralentissement est attribué à plusieurs perturbations, dont un affaiblissement du tourisme, une baisse des envois de fonds des travailleurs migrants en Thaïlande, une hausse des coûts logistiques et une érosion de la confiance des investisseurs.

L’économie thaïlandaise a également ralenti depuis le début du conflit, avec une croissance limitée à 1,2 % au troisième trimestre, selon un rapport de McKinsey & Company — sa performance la plus faible depuis 2021.

Selon Arnaud Darc, la vulnérabilité du Cambodge est accentuée par son déséquilibre commercial avec la Thaïlande et sa dépendance aux approvisionnements thaïlandais, en particulier pour le carburant.

Si Phnom Penh affirme pouvoir diversifier ses sources d’approvisionnement, environ 90 % des importations de carburant du Cambodge provenaient de Thaïlande ou transitaient par ce pays l’an dernier, selon des données de la Banque mondiale.

Le secteur touristique cambodgien dépend également fortement des visiteurs thaïlandais. En 2024, plus de 2 millions des 6,7 millions de visiteurs étrangers au Cambodge étaient thaïlandais, contribuant à environ 2 % du PIB, toujours selon la Banque mondiale. Les arrivées en provenance de Thaïlande ont chuté de 91,6 % en août par rapport à l’année précédente.

Arnaud Darc souligne que le tourisme thaïlandais est lui aussi affecté, mais de manière proportionnellement plus limitée à l’échelle nationale, touchant surtout les provinces frontalières, les opérateurs logistiques et les exportateurs liés aux chaînes d’approvisionnement tournées vers le Cambodge.

Selon lui, la reprise dépendra moins d’un cessez-le-feu formel que d’un fonctionnement prévisible des postes-frontières. Il avertit qu’une prolongation des restrictions pourrait retarder les investissements et peser sur la croissance pendant des années, tandis qu’une réouverture rapide permettrait au commerce et au tourisme de rebondir en quelques mois.

Interrogé sur l’évaluation de l’impact économique du conflit, Meas Sok Sensan, porte-parole du ministère cambodgien de l’Économie et des Finances, n’a pas répondu dans l’immédiat.

Pavin Chachavalpongpun estime enfin que les perspectives de coopération économique et diplomatique restent fragiles. Malgré un ancien objectif de 25 milliards de dollars d’échanges bilatéraux, les relations entre les deux pays seraient, selon lui, à leur plus bas niveau depuis des décennies. La coopération future pourrait ainsi être davantage dictée par des pressions extérieures, telles que les droits de douane américains, que par une réelle réconciliation.

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