Les Siem reapois connaissent bien ce petit marché des samedi et dimanche matins situé à deux pas du Raffles et qui ouvre et ferme au grès des confinements successifs. Il regroupe des petits producteurs qui vendent directement aux consommateurs. Une ONG française est à l’origine de ce projet : le GRET. Groupe de Recherche et d’Echanges Technologiques
La Gret et ses partenaires ont appuyé le Département Provincial du Commerce dans la mise en place de ce marché, afin de rapprocher les producteurs et les consommateurs finaux et d’assurer un meilleur prix de revient aux petits agriculteurs
La crise du Covid pèse ici de tout son poids. Le marché a été fermé à plusieurs reprises, ce qui a réduit considérablement les débouchés des producteurs et collecteurs locaux. Ecofarm, par exemple, la première des 3 coopératives de Sotr Nikum et Prasat Bakong créée avec l’appui du Gret, ne vend actuellement que 50% du volume des légumes issus de l’agroécologie qu’elle vendait il y a encore 6 mois.
Il y a moins de clients qu’avant. L’endroit pourrait pourtant être une bonne alternative aux marchés classiques qui sont souvent devenus des foyers de contamination ces derniers mois. Mais les ouvertures et fermetures erratiques du lieu ont quelque peu perturbé la clientèle. Les différentes contraintes de déplacement n’ont également pas facilité la tâche ni des exposants ni des clients.
Le Gret est une ONG française de développement qui travaille depuis 1976 afin de réduire la pauvreté et les inégalités dans une trentaine de pays, dans le respect des valeurs culturelles et sociales des populations et afin d’assurer un développement durable, garantissant l’avenir des générations futures.
Pour mener à bien ses actions, il compte sur de nombreux partenariats de long terme, en France et dans tous ses pays d’intervention, avec des acteurs du monde associatif, économique, public ou de la recherche.
En 2019, ses 650 employés ont mis en œuvre 202 projets, études et expertises dans 28 pays, situés pour l’essentiel en Afrique et en Asie du Sud-Est.
Justine Scholle, responsable de programmes terrain en agriculture et nutrition du GRET, qui nous avait déjà sensibilisé sur la nécessité maintenir une agriculture paysanne au Camboge qui nous explique ic ses actions
Agir pour le développement nécessite une approche globale et pluridisciplinaire. En effet, dans les pays dans lesquels nous travaillons, les populations locales sont souvent confrontées à des difficultés diverses et variées. Il n’est pas possible d’aider ces populations à sortir de la pauvreté simplement par un point d’entrée. Il faut prendre en compte de multiples facteurs afin de répondre au mieux à leurs besoins, et ceci, en adéquation avec le contexte local.
C’est pourquoi le Gret travaille sur 7 thématiques complémentaires qui, ensemble, contribuent au développement des pays du Sud :
o Agriculture : filières et politiques agricoles,
o Citoyennetés, et démocratie
o Eau potable, assainissement et déchets,
o Gestion des ressources naturelles et énergie
o Microfinance et insertion professionnelle
o Santé : nutrition et protection sociale
o Villes pour tous et décentralisation
Cela se traduit par une grande diversité de métiers, allant du terrain au politique en passant par la recherche, et du local au global, à l’échelle de villages jusqu’aux instances internationales.
Quelles sont les missions, les objectifs de Gret, en général et particulièrement au Cambodge ?
Les actions du GRET sont fondées sur une démarche d’expérimentation sur le terrain, au plus proche des populations qu’il souhaite appuyer et sont destinées à s’inscrire dans la durée, sans induire de dépendance. Elles doivent aboutir au renforcement des acteurs et au fonctionnement autonome des structures mises en place. Le but n’est pas que les populations avec lesquelles nous travaillons dépendent des actions de projet ad vitam aeternam ou de se substituer au rôle de l’État.
Le Gret considère que les populations des pays du Sud sont des citoyens acteurs de leur développement et agit avec elles. Et si ces mêmes populations n’ont plus besoin de nous, c’est que nous avons bien fait notre travail.
Le Gret est présent au Cambodge depuis 1988 et intervient dans les quatre domaines suivants : agriculture et gouvernance foncière ; eau potable, assainissement et déchets ; santé et nutrition et finance inclusive
Quels sont les moyens humains, matériels, financiers que vous mettez en place au Cambodge
Le budget annuel de l’antenne cambodgienne est d’environ 1 million USD. L’équipe est actuellement constituée de 37 salariés, repartis en 4 équipes, dont 3 sont basées au bureau de la représentation du Gret à Phnom Penh et une à Dom Daek, dans la province de Siem Reap. Nous intervenons actuellement dans 15 provinces du pays.
Quels sont les projets sur lesquels vous travaillez au Cambodge ?
Au Cambodge, nos projets visent à :
- améliorer les conditions de vie et l’autonomie des petits agriculteurs et promouvoir des systèmes alimentaires plus sains et durables, notamment grâce à des formations techniques sur l’agroécologie et la structuration des filières locales
- renforcer l’accès a l’information des producteurs et les échanges entre pairs notamment via la réalisation de vidéos sur smartphones, l’utilisation des réseaux sociaux et la formation de journalistes cambodgiens aux questions agricoles
- renforcer et/ou créer des structures locales assurant des services pérennes aux populations cibles, tels que des groupes d’épargne et de crédit, des coopératives agricoles ou des associations d’usagers
- assurer la reconnaissance des produits de qualité et locaux via des systèmes participatifs de garanti et le développement d’appellations géographiques protégées (dont la plus connue est le poivre de Kampot)
- soutenir le ministère des Ressources en eaux et de la météorologie dans l'amélioration de la gestion de l'irrigation en apportant une assistance technique
- soutenir la gouvernance foncière dans la région du Mékong
- améliorer l'approvisionnement en eau courante et faciliter le raccordement des ménages pauvres et développer des prêts innovants pour améliorer l’accès à l’eau
- améliorer l’hygiène et l’assainissement dans les écoles en construisant des installations sanitaires
- améliorer la couverture sociale des travailleurs du secteur informel à travers la mise en place d’un système de protection sociale pour les travailleurs du secteur informel à Phnom Penh, en partenariat avec le NSSF, ainsi que des micro-assurances santé pour le secteur formel et informel
- développer et promouvoir une vision commune de l'agroécologie et des transitions de systèmes alimentaires sûrs en Asie du Sud-Est parmi les acteurs du développement, de la recherche, du gouvernement et du secteur privé via la mise en place et l’animation du réseau Alisea
Dans la province de Siem Reap, le Gret travaille depuis 2010, avec le l’ONG locale CIRD, sur le projet APICI « Appui à une agriculture intensive peu consommatrice d’intrants » dans 54 communes, dans les districts de Sotr Nikum et Prasat Bakong. Au total, plus de 2500 producteurs, dont 75% sont des femmes, ont bénéficié des appuis du projet, qui s’articule autour de 6 composantes :
- la promotion de techniques améliorées de production de riz afin d’accroitre les rendements, tout en préservant la fertilité du sol et en diminuant les coûts de production,
- l’intensification, diversification et amélioration de la qualité de la production de légumes via l’agroécologie,
- l’amélioration de la production de poulets et poussins,
- l’amélioration de la commercialisation des produits, via la création de groupes de producteurs et de coopératives, la collaboration avec les collecteurs locaux et l’appui au département du commerce pour le développement du marché hebdomadaire des produits locaux, dans la ville de Siem Reap,
- la création et le renforcement des capacités des groupes d’épargne et de crédit,
- l'amélioration de l’accès à l’eau au travers de la construction de mares familiales et soutien à l’acquisition d’équipements d’irrigation.
Depuis quelques mois, une nouvelle composante sur l’amélioration de la nutrition est venue enrichir le projet.
Ces actions sont majoritairement financées par le Conseil Départemental des Hauts-de-Seine (CD 92), et ont été également co-financées au fil des ans par d’autres bailleurs tels que l’Union européenne, ICCO, le CFI, DCA et l’AFD.
Elles ont permis d’améliorer le revenu et les conditions de vie des ménages travaillant avec le projet. Par exemple, M. Luch Sann, du village de Chrey Khang Tboung, a pu passer d’un revenu agricole d’environ 70 USD/mois, qui l’obligeait à travailler à coté comme main d’œuvre, à un revenu agricole d’environ 585 USD/mois. Pour ce faire, il a suivi les conseils des techniciens agricoles du projet et amélioré ses techniques de production de riz, de légumes et de poulet, et il est devenu membre d’un groupe d’épargne et de crédit ainsi que de la coopérative Ecofarm.
De même, Mme Pan Chanda, du village de Chrey Khang Cherng, mère célibataire ayant un enfant à charge, ne dégageait presque pas de revenus de son exploitation avant de joindre le projet, l’exploitation leur permettait tout juste d’être en auto-suffisance alimentaire. Aujourd’hui, elle gagne environ 140 USD/mois et peut subvenir aux besoins de son foyer. Elle est également membre de la coopérative Ecofarm et a particulièrement développé les techniques agroécologiques pour la production de légumes.
Quels sont les impacts de la crise Covid sur les petits producteurs que vous suivez ?
Le modèle promu par le projet s’est trouvé être assez résilient face à la crise au départ, car les petits producteurs appuyés par le projet n’ont pas ressenti le choc immédiatement. Malgré la fermeture des frontières et l’absence de touristes, leur modèle économique a permis aux agriculteurs de poursuivre leurs activités. Il est à noter aussi que de nombreuses personnes ayant perdu leur emploi à cause de la crise du covid 19 se sont tournées vers l’agriculture pour faire face à la situation, alors qu’avant, et comme dans de nombreux autres pays, l’agriculture n’était pas un secteur très attrayant, car c’est un métier risqué, difficile et a priori moins bien payé que d’autres secteurs.
Cependant, après plus d’une année de covid, ayant entrainé la perte d’emplois de certains membres de la famille dans d’autres secteurs, ou le retour de migrants qui travaillaient dans les pays voisins, et notamment ces derniers mois avec les confinements successifs et les fermetures de marchés, les prix des produits agricoles ont fortement fluctué, les débouchés traditionnels n’ont plus été accessibles certains temps, le revenu global des ménages ruraux a diminué et l’insécurité alimentaire s’est accrue. On observe malheureusement à présent des ménages qui s’en sortaient bien et qui commencent à se demander ce qu’ils vont manger demain.
De plus, avec la fermeture des frontières, de nombreuses filières de produits importés à bas coûts, concurrençant les produits locaux, ont été déstabilisées, et cela pourrait s’avérer être une opportunité pour développer les filières cambodgiennes et promouvoir les produits locaux.
Mais les agriculteurs et les collecteurs locaux avec lesquels nous travaillons ne perdent pas espoir pour autant. Nous nous adaptons ensemble au contexte changeant et tentons de diversifier les productions et les débouchés.
L’espoir se profile maintenant d’une réouverture prochaine des frontières entrainant une reprise de l’activité touristique. Le Gret sera là pour accompagner les petits producteurs cambodgiens. Merci Mme Scholle d’avoir pris de votre temps pour nous éclairer sur le travail de fond que vous menez ici.