De retour de résidence à la Cité internationale des Arts à Paris, Éléonore Sok partage son parcours créatif et les défis qu’elle a rencontrés dans son processus artistique. Elle évoque les inspirations qui l’animent et les effets de cet environnement unique sur son développement personnel et professionnel.
Éléonore Sok est une écrivaine, photographe et artiste pluridisciplinaire franco-khmère qui réside au Cambodge depuis 2015. Elle a été la correspondante de médias francophones prestigieux comme Le Monde Magazine, La Croix, et Radio France.
Elle a réalisé la série de portraits documentaire Swinging Phnom Penh en 2013, mettant en lumière la scène artistique cambodgienne. En 2019, elle a publié Cambodgiens, un essai offrant un aperçu de la société contemporaine à travers une série de portraits et d’entretiens.
Éléonore Sok a développé sa pratique photographique au Cambodge, qui traite des thèmes de la féminité, l'identité, et la mémoire, en collaboration avec des danseurs contemporains cambodgiens.
Accueillie en résidence à la Cité Internationale des Arts à Paris pendant trois mois, cette expérience a enrichi son approche artistique et son exploration des thèmes qui lui sont chers. Une opportunité précieuse de s'immerger dans un environnement créatif où l'on peut développer des projets, échanger des idées et collaborer avec d'autres artistes.
Le Petit Journal : Éléonore, pouvez-vous nous expliquer quel est l'objectif principal de cette résidence internationale des Arts à la Cité à Paris ?
Éléonore SOK: La Cité des Arts est une des plus anciennes résidences d’artistes internationale (créée en 1965, elle a accueilli plus de 30 000 artistes de toutes disciplines, générations et origines). C’est avant tout un lieu de vie, il n’y pas d’obligation de production et c’est ce qui est génial ici : on peut expérimenter et explorer librement, sans la pression d’attentes précises. Et toutes les semaines, des résidents ouvrent les portes de leurs ateliers au public, ce qui permet de découvrir des approches, processus et œuvres les plus variées.
LPJ : Et vous, comment avez-vous intégré cette résidence ?
ES : L’Institut Français du Cambodge a proposé ma candidature, et j’ai rejoint un programme d’une vingtaine de personnes venant de différents Instituts Français à travers le monde. Pendant trois mois, j'ai bénéficié d'un studio aménagé avec un espace de travail dans le Marais. Ce site accueille 250 artistes du monde entier, autrement dit, j’ai vécu au cœur d’une centrifugeuse créative ! Une sensation de liberté et d’émulation unique partagée par tous ceux que j’ai rencontrés.
LPJ : Avez-vous participé à des projets collectifs durant cette résidence ?
ES : Oui, c’était une des choses les plus intéressantes pour moi. J'ai fait des rencontres incroyables parce que j’ai dit oui à tout ce qui s’est présenté ! J'ai participé à des ateliers hebdomadaires de théâtre, un questionnaire surréaliste sur des objets du quotidien, un atelier de dessin sur la question du territoire, j’ai suivi des cours de danse... J'ai aussi collaboré avec la musicienne Elian Zeitel Frei qui a composé un morceau de "body music" pour une de mes séries de photos.
LPJ : Quel a été votre projet personnel au sein de la résidence ?
ES : Je suis arrivée avec un projet de récit en lien avec le Cambodge, mais rapidement, je me suis rendue compte que le deuil récent d’un proche m’obsédait davantage. Au fil de mon séjour, mon écriture s’est chargée de mémoires, mes fantômes, celle de ma famille, et de mon vécu présent, m’emmenant à écrire de la poésie. J’ai abordé l’écriture d’une manière fragmentaire et ça été comme une révélation ; dans l’éclatement, j’ai senti que je trouvais le fil rouge de mon travail, à l’image de l’hybridité de mon parcours et mes origines. J’ai interviewé des oncles cambodgiens pour une recherche sur mon arbre généalogique. J’ai également proposé aux résidents de la Cité des sessions de massage lecture avec ma partenaire franco-cambodgienne Sorya Song, ces moments d’intimité nous ont permis de faire des rencontres étonnantes. En fin de résidence, j'ai présenté un "Open Studio" où j’ai invité la comédienne brésilienne Viviane Dias, la slameuse martiniquaise Lola Cloquell, et la rappeuse française Roumdoul à performer avec moi. J'ai retravaillé une performance que j’avais écrite il y a quelques années, intitulée Le Survêt, qui parle de ma jeunesse en banlieue, de mes parents, et d’adolescence.
LPJ : Cette expérience a-t-elle changé votre façon de travailler ?
ES : Complètement. J'ai pris la mesure de l'importance du corps et de l'incarnation dans ma pratique. Que ce n’est pas uniquement le texte, ou l’objet livre qui compte pour moi, mais que le moment présent, et l’acte de dire sont tout aussi cruciaux. Cela m’a ouvert à de nouvelles façons de concevoir l’écriture, en l'incorporant dans des projets audiovisuels, et en m’éloignant un peu plus de la réalité pour aller vers quelque chose de plus intime et fictionnel, nourri d’images et de sensations.
LPJ : Et votre quotidien durant ces trois mois, comment cela s’est-il passé ?
ES : Intense et plein de joie ! J’ai aussi redécouvert ma ville, Paris. Le défi principal c’est surtout d’être une femme artiste et mère. J’ai vu régulièrement mon enfant pendant les grandes vacances, puis nous avons été séparés pendant plusieurs semaines. Pas évident, mais cette distance m’a permis de me plonger entièrement dans mon travail. Cette résidence offre une bulle, un espace où l'on peut se connecter à soi-même et se consacrer sans restriction à ses projets.
LPJ : Est-ce une expérience que vous recommanderiez aux artistes cambodgiens ?
ES : Absolument. Il y a plusieurs types de programmes auxquels les artistes cambodgiens peuvent candidater. C’est une très belle opportunité de s’enrichir et revenir ici rechargé.
Merci Eléonore, je sais que vous allez bientôt exposer vos photographies pendant le Photo Phnom Penh Festival, nous aurons l’occasion de nous revoir