Depuis les temps les plus reculés, on raconte qu’à l’origine, les diptérocarpes (ឈើទាល [chheu teal], Dipterocarpus alatus) avaient pour habitat les berges des rivières, ruisseaux et étangs du pays. Cependant, chaque année, à la saison des inondations, ils subissaient l’érosion des eaux et les courants, phénomènes qui provoquaient chez eux une véritable hécatombe.
Inquiets, fort justement, pour la perpétuation de leur espèce, après une inondation particulièrement meurtrière, les diptérocarpes tinrent conseil : « Ce n’est plus possible, c’est insupportable ! Si cela continue, nous allons disparaître, il faut faire quelque chose ! ». L’un des conseillers eut une idée : « Allons demander aux palétuviers de nous céder leur habitat, nous leur donnerons le nôtre ! Avec leurs robustes racines, ils n’auront aucun mal à supporter les inondations et le ruissellement ! » En effet, en ces temps reculés, c’étaient les sommets et les pieds des collines qui avaient été dévolus aux palétuviers.
Dipterocarpus alatus près du Musée National à Phnom Penh (Photographie : Tith Veasna)
Sitôt dit, sitôt fait ! Les diptérocarpes allèrent dare-dare rendre visite aux palétuviers (ដើមកោងកាង [daeum kaong kang], Rhizophora apiculata) pour leur exposer leur supplique. Au début, les palétuviers montrèrent quelque réticence. Alors, pour finir de les convaincre, les diptérocarpes leur firent la promesse suivante :
En souvenir de vos bienfaits et pour vous honorer, nous promettons que désormais, chaque année, nous nous raserons la tête en hommage à votre dévouement.
Cette promesse suffit à persuader les palétuviers. Et c’est depuis lors que, chaque année, quand vient la saisons sèche, les diptérocarpes, habitant désormais les sommets et les pieds des collines, perdent toutes leurs feuilles (qui repoussent quand vient la saison des pluies), respectant ainsi la promesse faite aux palétuviers.
Les palétuviers s’installèrent donc le long des rivières, des ruisseaux, des étangs, et même en bord de mer, et s’y trouvèrent fort bien. Il est cependant de notoriété publique que les palétuviers sont plutôt volages et enclins à courir le jupon. C’est ainsi qu’ils se mirent à conter fleurette, à poursuivre de leur flamme, à tenter de séduire sans vergogne les jeunes pousses d’aquilaire (ក្លាំពាក់ [klam péak], probablement Aquiliara crasna) qui vivaient dans le voisinage.
Jeunes plants d’Aqualaria crassna, Jardin botanique de la reine Sirikit, Chiang Mai, Thaïlande (Photographie : Raffi Kojian, CC BY-SA 3.0, via Wikimedia Commons)
Les mères aquilaires, craignant pour la vertu de leurs filles, se mirent dans une colère noire et, pour faire obstacle aux desseins libidineux de ces impertinents palétuviers, elles plantèrent à proximité des galants des épines à l’aspect redoutable, qui n’étaient autres que les boutons floraux produits par de vigoureux plants de girofliers (ក្លាំពូ [klam pu], Syzygium aromaticum).
Peu enclins à renoncer à leurs passions, les palétuviers décidèrent d’ériger des ponts pour enjamber les girofliers et retrouver, à la nuit tombée, les jeunes aquilaires peu farouches. C’est à cela que l’on doit les longues racines aériennes qui caractérisent si bien les palétuviers. Et c’est aussi pour cela que la mangrove cambodgienne est aujourd’hui peuplée de palétuviers, d’aquilaires et de girofliers.
Note de l'auteur:
L’histoire ci-dessus est librement adaptée de l’Histoire du palétuvier et du diptérocarpe (រឿងដើមកោងកាងនិងឈើទាល), qui se trouve dans le septième volume des Contes et légendes khmères de l’Institut Bouddhique à Phnom Penh. Le texte original se trouve ici, sur Wikisource. (L’exactitude botanique du conte n’est pas garantie.)
Note de la rédaction du Petit Journal
Il semble que les vertus aphrodisiaques des palétuviers aient été remarquées depuis longtemps en Occident, et chantées par les plus grands auteurs classiques :