En général, les Khmers connaissent assez bien la flore de leur pays. Dans le domaine de la gastronomie, ce fait se reflète dans l’infinie variété des légumes, épices, fruits, tubercules qui sont consommés localement.
Après plus de 11 années passées au Cambodge, et malgré une curiosité toujours à l’affût, il m’arrive souvent de rencontrer des ingrédients dont je n’avais jamais entendu parler. Ainsi, j’ai découvert tout récemment les feuilles de Kaempferia harmandiana, consommées en légume.
K. harmandiana (khmer : ប្រោះស្វា [braoh sva]), l’une des 120 et quelques espèces du genre Kaempferia, fait partie de la famille des zingibéracées. (On trouve au Cambodge au moins deux autres espèces du même genre : K. galanga, bien connu pour son tubercule aromatique éponyme, et K. parviflora, dont le tubercule, qui serait aphrodisiaque, est connu sous le nom de gingembre noir.)
K. harmandiana est, selon la description qu’en donne Madame Pauline Dy Phon dans son Dictionnaire des Plantes utilisées au Cambodge, une « plante herbacée, acaule, à feuilles circulaires étalées contre le sol sableux des forêts claires du Cambodge, du Laos et du Vietnam ». Lorsqu’elles commencent à pousser, les jeunes feuilles, de couleur vert tendre, se dressent en fait à la verticale et sont enroulées sur elles-mêmes, formant d’élégantes spirales. Elles ne sont « circulaires et étalées sur le sol » que lorsqu’elles arrivent à maturité. Elles prennent alors une couleur vert assez foncé à violacé sur les bords et en-dessous. La fleur de cette espèce est bicolore, blanche et mauve
Kaempferia harmandiana (Photo : Veasna Tith)
Si K. harmandiana est bien une zingibéracée, ce n’est pas son tubercule que consomment les Cambodgiens, mais ses feuilles. Madame Dy Phon explique ainsi que « (les) feuilles, hachées en lanières, sont très appréciées comme légumes ». Les feuilles débitées en fines lanières entrent en effet dans la composition de diverses salades agrémentées de poulet ou de poitrine de porc émincés. Les jeunes feuilles, à la tendreté fort appréciable, peuvent également être sautées avec de la viande, ou être simplement consommées en « anluk » (អន្លក់), c’est-à-dire entières et crues, en accompagnement de sauces trempettes souvent puissantes en goût. Les feuilles tendres sont mangées avec leur pétiole. Étrangement, ces feuilles ont une saveur qui évoque indubitablement celle de la cardamome.
Feuilles de Kaempfrenia harmandiana (Photo : Veasna Tith)
Dans un court article en khmer présentant cette espèce sur le site Knongsrok (voir ici), diverses vertus médicinales sont en outre attribuées à K. harmandiana : sa consommation permettrait de faciliter la digestion, d’apaiser les douleurs d’estomac, de la poitrine, et les nausées, entre autres choses.
Une amie khmère, gastronome avertie, connaissant mon intérêt pour les plantes de son pays, m’a ramené d’une excursion à Kirirom, lieu de villégiature fort apprécié des Phnompenhois, un copieux sachet de feuilles de K. harmandiana. Elle m’a expliqué que cette espèce poussait souvent à l’ombre de bambous. Elle a poussé l’amabilité jusqu’à préparer pour moi avec ces feuilles une salade agrémentée de poulet frit, d’ail, de piment émincé, etc., que voici :
Salade de feuilles de Kaempferia harmandiana (Photo : Pascal Medeville)
Article de Pascal Medeville, publié précédemment sur Tela Botanica - CC BY-SA 4.0