Méconnue du grand public, l’ONG Douleurs Sans Frontières (DSF) travaille pourtant depuis plus de 25 ans au service des populations cambodgiennes défavorisées. Ce n’est que depuis peu que la lutte contre la douleur est réellement entrée dans le champ de la médecine.
Longtemps banalisée par les professionnels de santé et par la société civile, ce n’est qu’en 1995 qu’elle fait son apparition dans un texte de loi français.
Cette prise en compte tardive est notamment due au fait que la douleur est une expérience individuelle. Il s’agit d’un ressenti, ce qui la rend particulièrement difficile à repérer et à évaluer. Dans les pays disposant d’un système de santé moins établi, la douleur n’est pas toujours une priorité. Sa prise en charge reste une spécialité médicale très peu connue et le personnel soignant n’est pas ou très peu formé à la soulager.
Réduire la douleur au Cambodge est la mission que s’est donnée l’ONG Douleurs sans Frontière , en partenariat avec le ministère de la Santé Cambodgien. Elle met en place une approche pluri et transdisciplinaire mettant en synergie divers métiers. Dans son équipe on rencontre des médecins, des infirmiers mais aussi des psychologues permettant de reconnaitre et prendre en charge la souffrance émotionnelle des patients et également celle de ceux qui les accompagnent, bien souvent des membres de la famille proche. Présente au Cambodge depuis 1996, elle a vu son champ d'expertise évoluer, des douleurs fantômes des amputés (pathologie fréquente au sortir de la guerre) à l’accompagnement en fin de vie et aux soins palliatifs de nos jours. ONG française peu connue de la communauté francophone du Cambodge, elle traite environ 1 000 patients par an.
Lepetitjournal.com a rencontré le tout nouveau directeur national de DSF, Frédéric Garcia, arrivé il y a quelques semaines au Cambodge.
Quelle est la raison de la présence de DSF au Cambodge ?
DSF a établi son premier programme au Cambodge en 1996, dans un pays en reconstruction suite à la tragédie Khmers rouges. Fondé par des médecins français spécialisés dans la prise en charge de la douleur, le premier projet vise à proposer une prise en charge adaptée des douleurs des victimes de mines anti personnelles. Au fur et à mesure des années et en adéquation avec les besoins identifiés, DSF a fait évoluer son programme vers d’autres problématiques de santé publique. Dans les années 2000, le programme évolue pour participer à la lutte contre l’épidémie de VIH. Puis, alors que l’épidémie est sous contrôle suite aux efforts considérables portés par les acteurs internationaux et locaux, DSF se tourne vers les patients atteints de cancer, pour lesquels l’offre de santé est insuffisante, voire inexistante. Avec le soutien de DSF, le pays se dote de moyens de plus en plus adaptés dans la lutte contre le cancer.
Aujourd’hui, la transition épidémiologique qui s’opère au Cambodge ne peut plus être ignorée : les maladies non transmissibles représentent 56% des décès, et le cancer à lui seul comptabilise 14% des décès enregistrés. Face à ce constat, les autorités de santé se doivent d’accentuer leur stratégie de prévention et contrôles des maladies non transmissibles, tout en maintenant/améliorant les bons résultats obtenus dans la lutte contre les maladies transmissibles comme le VIH, la malaria et la tuberculose. Dans ce contexte, le Ministère de la Santé a défini les soins palliatifs comme une de ses priorités, car considérés comme une intervention rentable dans la lutte contre les Maladies non transmissibles.
Quels sont les critères qui permettent de définir qu’un patient est en fin de vie ?
Selon l’OMS, la fin de vie peut être définie comme les derniers instants d'une personne gravement malade, atteinte d'une maladie grave et incurable, dont le pronostic vital est engagé.
Quelles sont les spécificités de la prise en charge de la douleur en tant que spécialité médicale ?
Dans la gestion de la douleur, il est important de penser à une évaluation de qualité de la douleur et à une prise en charge et un traitement adapté selon chaque individu.
Le concept de douleur totale - douleur physique, douleur psychologique, douleur sociale et douleur spirituelle - est au centre de la gestion de la douleur et doit être abordé.
C'est un travail d'équipe impliquant d'autres professionnels de la santé ou non comme des médecins, des infirmières, des pharmaciens, des travailleurs sociaux, un psychologue, un bénévole, une communauté (voisins, des personnalités religieuses telles que des moines dans le bouddhisme...) et plus encore.
Comment vous sont adressés vos patients ?
Beaucoup de nos patients nous sont adressés par le bouche-à-oreille ils nous contactent directement, nous avons également une page Facebook en Khmer qui est vectrice de communication de nos activités et d’inclusion de nouveaux patients dans notre programme de prise en charge. De plus, nous recevons des référencements des professionnels de santé des hôpitaux et organisations partenaires.
Quels sont les services que vous offrez à vos patients et à leur famille ?
Depuis 1996 au Cambodge, notre volonté de soulager les souffrances s’est traduite de maintes façons : formations des professionnels médicaux, paramédicaux, d’agents communautaires et des aidants familiaux, sensibilisation du public, mise en place d’accompagnements au sein des différentes structures de santé locales, appui à la création d’unité douleurs, mais également mise en place d’équipes mobiles intra hospitalières, d’équipes de soins palliatifs à domicile ainsi qu’un travail de plaidoyer sur la disponibilité des opioïdes.
Actuellement sur le programme en cours, nous offrons une prise en charge médicale et psychologique des patients douloureux en situation palliative ainsi que de leurs aidants familliaux dans les 3 hôpitaux nationaux de Phnom Penh et dans nos locaux également à Phnom Penh. Nous avons mis en place un service de soins à domicile dans 10 provinces du Cambodge avec en plus un service de téléconsultation pour le suivi des patients. Notre équipe médicale prescrit et donne des médicaments antalgiques de palier 1 à 3 (morphiniques) aux patients douloureux en situation palliative.
En effet, l’offre de soin pour la prise en charge palliative est centralisée dans la capitale Phnom Penh et reste peu accessible pour l’ensemble de la population.
Au-delà des coûts directement liés aux soins, les dépenses annexes que sont le déplacement vers la consultation ou l’achat de médicaments constituent un frein supplémentaire, voire sont rédhibitoires pour l’accès aux soins. Du fait de leurs conceptions culturelles et religieuses, la majorité des patients ne souhaite pas décéder à l’hôpital et choisit de rentrer au sein de leur foyer, entouré de leurs proches pour leurs derniers moments d’où la nécessité de la mise en place de soins à domicile par DSF.
Quels sont les moyens dont vous disposez ?
Nous avons une équipe médico-psychologique pluridisciplinaire composée de deux médecins, deux infirmiers, une psychologue et une pharmacienne. Cette équipe médicale est coordonnée par une coordinatrice médicale. Nos locaux sont situés au sud du marché russe à Phnom Penh.
Quels sont vos objectifs à terme ?
Depuis sa création, la stratégie de DSF privilégie les actions à long terme par le renforcement des capacités et l’appui aux acteurs de santé institutionnels et de la société civile.
Ainsi, la mission cambodgienne entretient des relations de confiance avec les autorités de santé locales, qui lui ont permis d’assurer une prise en charge directe des bénéficiaires, mais aussi de renforcer les capacités des acteurs locaux, notamment au sein des structures hospitalières à travers divers programmes de formation. Jusqu’ici les activités médicales ont été menées principalement par DSF avec l’appui de quelques partenaires locaux. Au fil du temps de notre intervention au Cambodge des relations opérationnelles se sont ainsi progressivement développées avec d’autres structures et l’idée d’allier les forces de chacune des structures et couvrir de manière complémentaire l’ensemble de la population cambodgienne en coordination avec le ministère de la Santé du Cambodge est un des objectifs de DSF au Cambodge.
Votre mission, où l’on ne rencontre que des gens dans la douleur et la fin de vie, ne finit-elle pas par peser sur le mental de votre équipe ?
En effet, c’est une des difficultés exprimées par notre équipe. Au quotidien cela peut-être difficile pour eux de travailler dans ce contexte particulier, des groupes d’écoute et de soutien sont mis en place pour nos équipes.
Entretien avec Madame Mon Chhorvor
Nous avons également pu nous entretenir avec la coordinatrice médicale de DSF au Cambodge.
Mme Mon Chhorvor est médecin, diplômée de la faculté des sciences de la santé de Phnom Penh en 2016. Âgée de 34 ans, elle occupe le poste de coordinatrice médicale au sein de l’association. Francophone, elle a bien voulu répondre à nos questions.
Au Cambodge, surtout dans les milieux ruraux, quand quelqu’un est malade et/ou souffre, il se rend chez le Krou. Comment articulez-vous votre action avec eux ?
Il ne s’agit pas de remplacer les Krous khmers, ce qui serait de toute façon impossible vu le contexte sociologique et médical du Cambodge rural. Nous offrons aux patients un service supplémentaire.
Si nous venions à nous opposer à la médecine traditionnelle, la majorité des patients continuerait à y avoir recours en nous le cachant. Or il est primordial de savoir quelles ont été les prescriptions qu’ils ont reçues afin de connaître leur efficacité, leur dangerosité et leur compatibilité avec les traitements que nous pourrions être amenés à leur donner.
Quels sont les principaux problèmes auxquels vous êtes confrontée ?
Nous devons prendre beaucoup de temps pour expliquer notre travail. Le principal problème auquel nous sommes confrontés est le manque d’informations des patients et de leur entourage.
Souvent, les patients s’attendent à ce qu’un antalgique fasse effet quasi instantanément, or il faut du temps. Il nous faut leur expliquer la marche à suivre avant qu’ils n’arrêtent complètement leur traitement.
DSF va présenter son travail lors d’une exposition photo au sein de l’Institut Français du Cambodge courant janvier 2023, en exposant le portraits de 4 patients en fin de vie et en proposant au public 2 films suivis de débats en partenariat avec l’Ambassade de France et avec le soutien financier de l’Agence Française de Développement et des laboratoires Ethypharm.
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