Lui dédiant quelques lignes dans « Voyages et portraits », Alexandru Rosetti définissait Constantin Brâncuşi comme l'artiste de génie, issu du milieu paysan, qui a ouvert à notre folklore les portes de l'art universel. On peut dire qu'il était un disciple du « roumanisme », dont Eugen Ionescu a parlé dans « Notes et Controverses », un volume dans lequel le dramaturge esquisse un portrait du sculpteur ; quant aux preuves de son enracinement dans le sol roumain, elles prennent la forme de testaments. Celui écrit est rejeté par les officiels communistes, et celui statuaire, dans le cadre duquel se distingue la triade monumentale de Tirgu Jiu, parle au monde entier du génie d'un peuple roumain réuni sur le champ de bataille, dont les martyrs sont honorés à l'infini par la « Colonne sans fin ».
Constantin Brâncuşi est né le 19 février 1876 dans le village de Hobita, comté de Gorj; il était l'un des garçons du deuxième mariage de Radu Nicolae Brâncuşi (avec Maria Deaconescu) et le sixième fils de la famille, bénie avec une grâce féminine en 1884, par la naissance de sa seule sœur, Eufrosina. Malgré le fait qu'il ne s'est jamais marié, ne pouvant rester fidèle qu’à son art, ses correspondances avec ses proches met en valeur son sens de la famille auquel il ajoute des courtes notes sur son père en affirmant avec fierté qu'il est un fils d'un homme instruit et ayant beaucoup voyagé.
Sa formation artistique débute à Craiova, à l'École des Arts et Métiers, puis en 1898, il part à Bucarest. Il suit ensuite pendant quatre ans les cours de l'école de Belle Arte dans la capitale. Comme il voulait parfaire ses études à Paris, il accepte pour des raisons financières la commande d'un monument public - le buste du général Carol Davila. La première version, en plâtre, est évaluée par un conseil du ministère de la guerre dont les opinions l’agacent au plus haut point ; on raconte que, fatigué de plaider en faveur de son oeuvre, il quitte la salle, refusant le paiement intégral, et en 1904, il quitte la Roumanie, à pied. Un an plus tard, il est admis à l'Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris et son professeur est le sculpteur et peintre français, Antonin Mercié. Quant au buste du général médecin Carol Davila, il ne sera coulé en bronze que neuf ans plus tard, en 1912, et se trouve maintenant à l'intérieur du Musée Militaire national.
Par la suite, l'artiste roumain sera remarqué par un autre célèbre sculpteur français, Auguste Rodin, qui l'invitera à faire partie de ses assistants en 1907. Leur collaboration n'a pas duré plus d'un mois, à la fin de laquelle Brâncuşi déclarait que « rien ne pousse à l'ombre des grands arbres ». Leurs points de vue sur le monde étaient trop différents: Rodin «domestiquait» le chaos universel, en imposant une forme à la matière, ses modèles d'argile étant faits de pierre, de bois ou de métaux précieux, réalisés par les dizaines d'aides de son atelier. À l'opposé, Brancusi affirmait que le thème et la forme sont déterminés justement par la texture du matériau, parce qu'ils ne doivent pas être imposés par des facteurs externes, le but de l'artiste étant de révéler l'essence cosmique de la matière.
Le haut niveau d'abstraction et le minimalisme présents dans ses œuvres - Le Baiser, Mademoiselle Pogany, la Muse enformie, Le Phoque, les Colonnes ou le cycle des Oiseaux - l'ont hissés parmi les précurseurs de la sculpture surréaliste.
Brancusi accordait une attention toute particulière à la disposition dans l'espace de ses œuvres, qui pouvaient être perçues séparément ou appartenant au même ensemble, car il avait toujours rejeté la forme statique, figée, en créant des groupes mobiles, avec une préférence pour les axes verticaux. Même les socles sur lesquels les sculptures étaient placées faisaient partie de cet ensemble mouvant, car leurs formes simples et abstraites rappelaient l'énergie vitale émanant de la terre. La Colonne sans fin incarne justement l’idéal de la continuité entre l'objet et le socle, « formée de 17 ovoïdes (perles, comme Brancusi les appelaient) en métal brunifié par le feu, et disposés bout à bout, s'achevant par un ovoïde coupé au milieu, pour donner l'impression qu’elle s'étend à l'infini « (Al. Rosetti), elle devient un hommage perpétuel, érigé en l'honneur des héros roumains de la Première Guerre mondiale.
Le sculpteur Constantin Brâncuşi meurt le 16 mars 1957 à Paris, laissant à la France l'héritage de son atelier et de l'ensemble de ses créations, refusées par les autorités communistes. Son patriotisme discret n'a été récompensé qu'en 1990, lorsqu'il fut élu membre post-mortem de l'Académie roumaine.
Sources: Centrepompidou.fr, Centrulbrancusi.ro
Ana-Maria Roșca
Traduction : Lucas Cosset
Article réalisé dans le cadre du Programme Culturel București - Centenar avec le soutien de Primăriei Municipiului București à travers Administrația Monumentelor și Patrimoniului Turistic