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ILS SONT REVENUS EN ROUMANIE: Dr. Monica Papaianu, mieux prendre en charge la douleur

ILS SONT REVENUS EN ROUMANIE: Dr. Monica Papaianu, mieux prendre en charge la douleurILS SONT REVENUS EN ROUMANIE: Dr. Monica Papaianu, mieux prendre en charge la douleur
Écrit par Grégory Rateau
Publié le 19 décembre 2022, mis à jour le 19 décembre 2022

Cette semaine notre rédaction est allée à la rencontre du Docteur Monica Papaianu pour vous faire découvrir son histoire et son parcours étonnant. Après avoir quitté la Roumanie à la chute du communisme et avoir vécu depuis toutes ces années en Allemagne puis en France, Monica a décidé de rentrer en Roumanie pour s'investir dans le domaine assez méconnu, celui de l'algologie ou le traitement de la douleur.

 

J’ai toujours voulu que mes filles apprennent le roumain, et connaissent la Roumanie, et j’ai eu la chance d’avoir un mari très compréhensif, Jean-Christophe, qui apprend lui-même le roumain et qui m’a toujours encouragée à parler dans ma langue maternelle avec mes filles.

 

Grégory Rateau: Vous avez grandi en Roumanie, pendant le communisme. Pouvez-vous nous en parler ?

Monica Papaianu: Je suis née en Roumanie, d'une maman roumaine, avec des racines dans la communauté allemande de la Transylvanie, et d'un papa venant de la région de Cernauti en Bucovine, territoire roumain avec une lourde histoire, qui aujourd'hui n'appartient plus à la Roumanie... J'ai vécu à Bucarest, dans une Roumanie sous le communisme le plus terrible, jusqu'à mes 22 ans. Avec ma maman, on vivait dans un petit appartement dans les banlieues de Bucarest, on n’avait pas grand-chose et il s’agissait parfois de survivre avec peu. Ma maman faisait les queues pour acheter du lait, du beurre, des œufs et parfois même du pain, car il manquait de tout dans les années quatre-vingt ! Je me rappelle avoir appris parfois pour l’examen d’admission à la Faculté de Médecine à la lumière d’une petite chandelle, car les coupures d’électricité et d’eau étaient quasiment quotidiennes dans les années quatre-vingt. Mais on n’était pas malheureux du tout, au contraire, j’avais une famille joyeuse autour de moi ! Quand je ferme les yeux et je pense à mon enfance, il y a surtout la joie des réunions de famille et des amis qui me revient, on se rencontrait souvent, on discutait, on refaisait le monde, on chantait, on dansait, on partait dans les montagnes avec des cousins, faire du ski ou jouer dans la neige…une enfance heureuse malgré une époque grise et triste !

 

Vous avez ensuite fui le pays après la Révolution suite aux minériades, au début des années 90.

J'étais étudiante en 3e année de Médecine à Bucarest lorsque la tant attendue mais inespérée libération d'une terrible dictature est arrivée. Sur les rues de Bucarest on chantait et on criait « Liberté », on était fous de joie ! Mais la réponse des dirigeants de l’époque a été des tirs à balles réelles, et j’ai passé plusieurs jours à la fin décembre 1989 à aider à soigner des blessures par balles dans l'Hôpital d'Urgences à Bucarest, où je faisais à l'époque mon stage en chirurgie. Là-bas j’ai été pour la première fois de ma vie confrontée à la mort de très près… Quelle belle mais terrible période !

Ensuite j'ai fait partie du mouvement des étudiants de Bucarest, qui ont occupé en mai 1990 la Place de l'Université, pour demander une vraie démocratie, et non pas celle aux couleurs rougeâtres des anciens membres du parti communiste, qui étaient au pouvoir à l'époque...

Mais la réponse du gouvernement roumain a été terrible, ils ont envoyé les mineurs dans des garnitures de train affrétés par le gouvernement, des pauvres gens sortis directement des mines de charbon de la Vallée du Jiu. Ces gens nous ont chassés et tués sur les rues de Bucarest, c’était la « minériade » du 13-15 Juin 1990, un vrai début de guerre civile, des Roumains tuant d'autres Roumains....

Mon cousin a été grièvement blessé, moi j'ai eu beaucoup de chance mais j'étais meurtrie dans mon âme et extrêmement déçue de cette quasi-guerre civile, une violence inutile montée par les pouvoirs politiques. J'ai décidé de quitter la Roumanie avec ma maman, en août 1990.

 

Vous avez vécu en Allemagne puis en France, vous avez eu des enfants, comment s'est passée leur intégration et la vôtre ?

Le 28 août 1990 nous sommes parties chez ma tante maternelle, qui vivait en Allemagne. J’avais quelques notions d’allemand et j’ai eu la chance de pouvoir poursuivre rapidement mes études en médecine là-bas. J'ai fini mes études à la Faculté de Médecine à Aix-la-Chapelle en 1995. La même année je suis devenue maman d'une petite et magnifique fille, qui a aujourd’hui 27 ans et vit à Rennes où elle finit ses études pour devenir médecin également.

Mon intégration s’est donc très bien passée en Allemagne, et j'ai professé ensuite en tant qu'anesthésiste-réanimateur et urgentiste pendant 10 ans. En 2005 j’ai reçu une proposition professionnelle très intéressante et je me suis installée en France avec ma fille. Là-bas j'ai connu mon mari français (et surtout vendéen) Jean-Christophe. Nous nous sommes installés pas loin des plages vendéennes, dans la commune de Sallertaine en Vendée, une région que j’adore et où je me suis également sentie bien intégrée. En 2013 la vie nous a offert un énorme cadeau, notre petite Lena, qui a aujourd'hui presque 10 ans, et qui m’accompagne actuellement à Bucarest où elle est élève au Lycée Français. 

 

Avez-vous gardé un lien avec votre pays d’origine ? Et vos enfants ?

J’ai toujours gardé un lien avec mon pays d’origine, et tant que ma maman a vécu, nous sommes venus au moins 1 à 2 fois par an, ici en Roumanie, pour lui rendre visite, ou pour passer des vacances ensemble…aujourd’hui elle n’est plus de ce monde malheureusement, mais le lien est resté, et il est très fort. J’ai toujours voulu que mes filles apprennent le roumain, et connaissent la Roumanie, et j’ai eu la chance d’avoir un mari très compréhensif, qui apprend lui-même le roumain et qui m’a toujours encouragée à parler dans ma langue maternelle avec mes filles. Mes enfants adorent la Roumanie, je dirais même qu’elles l’idéalisent un peu car pour eux ici c’était toujours les vacances...

 

Pourquoi être revenue vivre aujourd'hui en Roumanie ?

J’ai eu la chance de travailler presque 10 ans dans un de plus grands et des plus connus CETD en France (Centre d'Etude et Traitement de la Douleur), la Clinique Bretéché à Nantes, où je suis devenue spécialiste en Algologie, dans le traitement de la douleur. C'est une nouvelle branche de la médecine, il n'y a pas beaucoup de centres et des spécialistes encore.

Fin 2021 j'ai reçu une proposition intéressante de la part du Dr. Ovidiu Palea, le manager des Cliniques NORD-Provita à Bucarest. Le Dr. Palea  est un excellent médecin anesthésiste réanimateur, spécialisé dans le traitement de la douleur aux Etats-Unis, où il a vécu avec sa famille. Il m'a donc proposé de venir à Bucarest pour l'aider et coordonner l'ouverture du CITD Nord-Provita (Centrul Integrat de Terapia Durerii, l’équivalent des CETD en France) avec son équipe déjà sur place, des collègues neurologues, neurochirurgiens, anesthésistes réanimateurs, médecins de rééducation fonctionnelle, psychiatre, kinésithérapeutes, psychologues, etc.

Après des longues discussions avec mon mari, nous avons décidé de dire oui pour probablement deux ans. Deux ans que je souhaite vivre pleinement, tout en oeuvrant à faire ma « petite part de colibri », pour faire avancer les choses dans le traitement de la douleur en Roumanie.

Lena, notre petite de 9 ans, est donc avec moi à Bucarest, et pour moi cela est très important... J'essaie de lui faire connaître cette partie roumaine de ses racines, nous allons souvent aux spectacles, musées, nous faisons des randonnées, ...

 

Vous êtes médecin spécialiste en Algologie, que représente exactement cette spécialité ?

Par définition, l'Algologie est la discipline médicale qui évalue et prend en charge les douleurs chroniques, des douleurs qui perdurent depuis au moins 3-6 mois, avec des patients qui sont parfois en échec thérapeutique et errent d’un spécialiste à un autre, sans pour autant avoir une réponse globale à leurs douleurs. Les douleurs prises en charge par les algologues peuvent être très variées, il s’agit par exemple des céphalées, des migraines, lombalgies, maladies rhumatismales, fibromyalgies, douleurs neuropathiques séquellaires d'un zona zoster, séquelles d'une amputation ou d’une opération chirurgicale, etc.  Un algologue est donc un médecin qui s'est spécialisé dans la prise en charge de la douleur, en faisant une formation complémentaire (DIU, 1 année ou Capacité Douleur, 2 ans). Il peut avoir une spécialité initiale comme généraliste, anesthésiste, rhumatologue, neurologue, pédiatre, gériatre, et parfois psychiatre.  En France, des infirmiers, des kinésithérapeutes, des sage-femmes peuvent aussi se former et avoir donc une compétence spéciale dans ce domaine. L'algologue évalue la douleur de la personne dans sa globalité lors d'un examen rigoureux en prenant en compte les aspects psychologiques et sociaux. La priorité est donnée à la prise en charge globale, avec des réponses qui peuvent être médicamenteuses mais également non médicamenteuses, d’où l’importance du travail en équipe pluridisciplinaire dans les CETD (Centres d’Etude et Traitement de la Douleur).

Il s’agit pas seulement de donner des antalgiques, mais aussi de trouver des solutions différentes, avec la mise en place par exemple de perfusions et d'interventions algologiques, de blocs d’anesthésie loco-régionale, de la radiothérapie antalgique, de la cimentoplastie, de la neurostimulation cutanée ou médullaire, ou également des techniques de stimulation cérébrale ou médullaire, comme la rTMS, (stimulation magnétique transcrânienne), la tDCS (stimulation cérébrale par courent directe), la radiofréquence, la crio-ablation etc. Toutes ces techniques sont accompagnées d’une prise en charge globale du patient, en tenant compte de la dimension psycho-émotionnelle de la douleur, et donc souvent d’autres thérapies sont également proposées au patient, après une évaluation psychologique et psychiatrique, comme par exemple des techniques de TCC (thérapies cognitif-comportementales), de l’hypnose médicale, un suivi psychologique, des séances de physiothérapie, musicothérapie, de l’art-thérapie, et bien entendu de la physio et kinésithérapie, de la neurostimulation électrique transcutanée (TENS), etc.

 

Pensez-vous que la Roumanie a des progrès à faire dans ce domaine ?

La thérapie de la douleur ici à Bucarest est déjà bien investie par l’équipe du Dr. Ovidiu Palea, nous oeuvrons actuellement pour améliorer surtout la prise en charge globale du patient avec sa douleur individuelle, et pour cela il est nécessaire d’établir tout un circuit médical, de mettre en place des réunions inter et pluridisciplinaires, d’instruire et former le personnel médical, d’organiser l’enseignement dans la prise en charge de la douleur avec des structures universitaires… mais malheureusement il n’y a pas encore beaucoup de centres de ce genre en Roumanie, et il y a surement beaucoup de progrès à faire dans le domaine de l’Algologie, et pas seulement.

 

La Roumanie a-t-elle beaucoup changé depuis votre départ ?

Oui et non…  Oui, car le monde a beaucoup changé, nous sommes rentrés dans l’Union Européenne depuis 2007 et cela était un grand rêve roumain, depuis le traumatisme communiste et l’occupation idéologique russe, qui a duré presque 50 ans chez nous. Il y a beaucoup de progrès, surtout dans le domaine privé, des entreprises actives et innovantes qui font vivre le pays, des jeunes très engagés, il y a une vivacité d’esprit et une envie de faire des choses, un élan et une joie de vivre tout simplement, qui me font espérer à un bel avenir pour mon pays ! Mais tout n'est est rose et des réformes sont absolument nécessaires, surtout dans les institutions politiques et dans la fonction publique, qui restent parfois des dinosaures et vestiges d’un passé peu glorieux, avec une terrible lourdeur administrative… Par exemple, pour la reconnaissance de mes diplômes, j’ai eu besoin en Allemagne de 2 semaines, en France d’un mois et en Roumanie… d’une année entière, et c’est pas encore fini !

D'un autre côté, le monde rural que j’adore, n’a pas beaucoup changé, l’autosuffisance alimentaire par exemple est une façon de vivre naturelle dans beaucoup de villages en Roumanie, où les gens savent encore faire leur potager, s’occuper de leurs bêtes, et finalement vivre avec peu, mais s'assurent une grande partie de leur nourriture par eux-mêmes, et je crois que nous avons beaucoup à apprendre de leur façon de vivre ! Les paysages des campagnes et montagnes sont toujours aussi magnifiques, et surtout l’esprit roumain, du simple paysan jusqu’au professeur d'université, n’a pas beaucoup changé, la grande majorité des gens sont restés toujours aussi ouverts et accueillants, simples et chaleureux, quand ils ne sont pas trop préoccupés par la pauvreté ou la maladie, qui sont malheureusement présentes aussi, car le niveau de vie est loin de celui de la moyenne européenne.

 

Que pensez-vous de son système de santé ?

Je pense qu’il y a beaucoup de progrès à faire. Le modèle français de la Sécurité Sociale n’existe pas vraiment ici. Selon des sondages récents, 25 % de la population roumaine n’est pas satisfaite de l’état actuel du secteur de la santé, et cela surtout à cause des différences constatées entre les zones rurales et urbaines. Il faut s’imaginer que 80 à 90% des hôpitaux se situent dans les grandes villes, et qu’il est souvent nécessaire de parcourir des centaines de kilomètres pour avoir accès à un médecin spécialiste ! De plus, certaines structures hospitalières sont vétustes et il existe encore le problème de la corruption et du pot-de vin qu’il faut parfois donner aux médecins et infirmières pour se faire soigner, bien que ce souci ait été en partie résolu en proposant des salaires plus corrects aux médecins, ce qui a fait diminuer également le nombre de ceux qui souhaitaient partir dans d’autres pays.

L’état roumain investit dans des nouveaux hôpitaux, mais c’est surtout le système privé qui progresse beaucoup, et construit des cliniques et des hôpitaux privés. Certaines de ces structures sont payantes mais il en existe aussi qui proposent une prise en charge par la CNAS (la caisse nationale d’assurances sociales). De plus en plus d'entreprises privées proposent aux salariés la prise en charge d’une assurance maladie privée, souvent dans un réseau de soins donné, mais beaucoup de Roumains avec un salaire de base restent en dehors de ce système privé, d’où une vraie disparité dans la population générale, en ce qui concerne l’accès aux soins.

 

 

 

Article réalisé avec le soutien de l'AFB

grégory rateau
Publié le 19 décembre 2022, mis à jour le 19 décembre 2022

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