Tout au long des siècles, les Principautés Roumaines n’ont pas constitué uniquement un grand « théâtre d’opérations » pour les pouvoirs européens; les attestations de documents officiels confirment la présence d’un nombre impressionnants de diplomates, de commerçants, d'intellectuels et d'artistes, qui ont traversé les trois provinces carpato-danubiennes. Parmi elles, la Valachie a toujours eu la primauté, car c'est en son sein qu'on retrouve, dès 1859, la capitale de la Roumanie.
Même s’il était marqué par des révolutions et des guerres, le XIXe siècle a permis à l’État roumain de bénéficier d'un fort essor socio-économique, mais surtout culturel. La plupart de jeunes, et surtout ceux appartenant aux familles aisées, finalisaient leurs études à Paris ; ainsi, à leur retour, ils portaient dans les Principautés et, plus tard, dans le Royaume de la Roumanie, le souffle de la démocratie occidentale, le raffinement français, le bon goût et le parfum unique de la Belle Époque. Même l’enseignement roumain suivait le modèle de l’Hexagone. La création des premières universités roumaines a comme fondement les décrets du souverain Alexandru Ioan Cuza ; ses successeurs, les rois Carol I et Ferdinand I, accorderont une attention particulière à la qualité de l’enseignement supérieur et à la multiplication des domaines de recherche.
L'historien Constantin Giurescu racontait qu'à la fin de la Grande Guerre, Bucarest a connu un développement exceptionnel, unique dans son histoire, dû aux divers facteurs économiques et politiques. La ville était devenue la capitale d’un pays dont le territoire et la population avaient doublé. Il fallait créer et développer un nombre de plus en plus grand d’institutions publiques, fonder de nouvelles usines et faire progresser celles déjà existantes. De plus, les particuliers, mais aussi les institutions de l’État construisaient énormément. Cette époque de la prospérité méritait bien son nom du point de vue immobilier aussi: en 1928, plus de 3000 bâtiments ont été élevés.
Dans la capitale de la Roumanie réunie, les principes fondamentaux de l’architecture française fleurissaient ; on préférait ainsi les tendances modernistes des courants historiques (le néo-classicisme, la néo-Renaissance, le néo-baroque ou le rococo tardif). Après 1925, on a aussi intégré des touches d’Art Déco, préférées par l’architecte Arghir Culina. Le style Art Nouveau a pris forme grâce à l’architecte Ion Mincu. Diplômé des deux Écoles Nationales de Beaux-Arts - la première, de Bucarest et la deuxième, de Paris, il est considéré comme le père fondateur du style néo-roumain, un mouvement artistique national, inspiré de la tradition byzantine ou d’une architecture vernaculaire. Parmi les bâtiments qui l’ont consacré, on compte le "Buffet de la rue Kiseleff" et la maison du général Jacob Lahovary. Plus tard, ce style sera repris par les architectes Constantin Pomponiu et George Cristinel.
D'ailleurs, Mincu appartenait à la génération des architectes roumains visionnaires. Lui-même, mais aussi Grigore Cerkez, Ion D. Berindey, Ernest Doneaud, Paul Jean Christinel ou le plurivalent Duiliu Marcu ont été les adeptes de l’éclectisme français. L’utilisation d’un seul style demandait beaucoup de maîtrise ; le mélange des éléments structuraux et décoratifs caractérisait la patte des génies. Ainsi, l’opulence du palais élevé par Berindey pour le Nabab Cantacuzino, nous rappelle les bals d'autrefois ; lui, qui écoutait les accords du violon de George Enescu, mais aussi les soirées bohèmes organisées par son épouse, Maruca. Ni l’architecte Paul Gottereau ne cédait en rien aux autres, avec son monumental Palais CEC qui marquait le début du XXe siècle.
Sur l’Avenue Victoria, le palais de Barbu Stirbei étale la douceur du style néoclassique, préféré par l’architecte français, Michel Sanjouand. Il faudra mentionner aussi la contribution de l’architecte Louis Pierre Blanc, auquel on doit le Palais de la Faculté de Médecine et le siège du Ministère de l’Agriculture. L’académisme français déborde au niveau des institutions publiques : le Palais de Justice ou le Palais de la Banque Nationale défient fièrement les regards des passants.
Tout au long du siècle dernier, la ville de Bucarest peut être considérée comme un trésor architectonique. Même aujourd’hui, les résidences privées, appartenant à la société mondaine de la capitale, représentent de véritables bijoux architecturaux. Ce phénomène est expliqué par le professeur universitaire Ioana Parvulescu : dans le Bucarest de l’entre-deux-guerres, les hommes ont vécu et l'idéal et la bêtise sanglante, ils ont ressenti le raffinement extrême et l’opacité grossière… D’ailleurs, l’écrivain nous révèle une triste vérité : contrairement aux attentes, superposant la carte culturelle du Bucarest d’antan sur celle du Bucarest d'aujourd'hui, en commençant par les kiosques où on vendait des revues culturelles et finissant par les salles de théâtre et de cinéma, les vides se trouvent dans le Bucarest de nos jours.
Sources : E-arhitecture.ro
Constantin Giurescu, Istoria Bucureștilor din cele mai vechi timpuri până în zilele noastre, Editura pentru Literatură, București, 1966
Ioana Pârvulescu, Întoarcere în Bucureștiul interbelic, Editura Humanitas, București, 2012
Ana Maria Rosca