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Reportage : une matinée avec les activistes de Letzte Generation à Berlin

Last Generation © LPJ Berlin - Laura DuboisLast Generation © LPJ Berlin - Laura Dubois
Last Generation © LPJ Berlin - Laura Dubois
Écrit par Laura Dubois
Publié le 30 octobre 2022, mis à jour le 31 octobre 2022

Depuis plusieurs semaines à Berlin, le groupe d’activistes « Letzte Generation » milite au moyen de la désobéissance civile afin de réclamer des mesures fermes face au réchauffement climatique. Leur technique : vêtus de gilets oranges, ils s’assoient au milieu d’un passage routier et plaquent leurs mains au sol avec de la colle forte.

 

Mercredi 26 octobre 2022, huit heures du matin. L’endroit exact de l’action du jour vient d’être communiqué : huit activistes se retrouvent au passage pour piétons au carrefour entre la Leipziger Strasse et l’Axel-Springer-Strasse, en plein cœur de Berlin. Chacun est vêtu et équipé afin d’affronter la froideur du sol durant les deux prochaines heures : pulls en laine, bonnet, thermos rempli de café encore chaud, sans oublier le gilet fluo orange distinctif de « Letzte Generation ».

 

Le feu devient vert pour les piétons, c’est le moment où il faut faire vite. Pancartes dans une main, colle dans l’autre, le groupe a répété ces gestes plusieurs fois avant aujourd’hui. Par binôme, afin de conserver la chaleur, ils courent s’asseoir en ligne parallèle au passage faisant face aux automobilistes. Très vite, les regards interrogés mêlés aux klaxons provocateurs assistent à la scène : aspergée de colle forte, leur main est désormais enracinée dans le sol, rendant impossible leur déplacement par la force. Seule issue : attendre l’arrivée de la police.

 

La Police arrive rapidement sur les lieux ©Laura Dubois
La Police arrive rapidement sur les lieux © LPJ Berlin - Laura Dubois

« Vous n’avez aucun respect pour les gens, vous êtes des criminels ! » - automobiliste en colère

Alors qu’un groupe de curieux s’est formé aux abords de la route, rien ne semble perturber les visages des militants voilés d’un regard obstiné pour certains, d’un bandeau noir pour d’autres. Pas même l’arrivée de la police, elle aussi familiarisée à ces évènements de plus en plus fréquents dans la capitale allemande. La route est désormais barrée et sécurisée, mais pour défaire les militants de leur place, il faudra encore attendre quelques heures, le temps d’éliminer la substance robuste qui agit sur leurs mains. De chaque côté, on sait que la patience sera le meilleure alliée pour arriver à ses fins.

 

« Vous n’avez aucun respect pour les gens, vous êtes des criminels ! », lance un automobiliste sorti de sa voiture, téléphone à la main afin de filmer la scène. Le calme opérant entre la police et les militants est, à de nombreuses reprises, rompu par les citoyens en colère, impatients de se rendre sur leur lieu de travail. En guise de réponse de la part des activistes, un silence permanent avec comme seul moyen de langage, les bannières sur lesquelles on peut lire : « 100 Km/h et 9€ pour tous », « Et si le gouvernement n’y arrivait pas ? ». La répétition des actions de Last Generation, réclamant donc entre autres des transports accessibles et une vitesse limitée sur l’autoroute, donne au groupe d’activistes pour le climat une notoriété divisée à Berlin.

 

Une dame vient leur appoorter son soutien ©Laura Dubois
Une passante vient leur apporter son soutien © LPJ Berlin - Laura Dubois

 

En effet, le week-end précédent, une femme et un homme de Letzte Generation ont lancé de la purée sur un tableau de Monet au musée Barberini à Potsdam. « Les gens ont faim, les gens ont froid, les gens meurent. Nous sommes en pleine catastrophe climatique. Et tout ce dont vous avez peur, c'est de la soupe à la tomate ou de la purée de pommes de terre sur un tableau », avait exprimé la militante après avoir barbouillé l’œuvre estimée à 110 millions d’euros. La vidéo devenue virale a offert aux activistes oranges une large visibilité, tantôt accompagnée de haine, tantôt de nombreux soutiens.

 

Un débat public est provoqué

Quoique les gens en pensent, Last Generation s’immisce désormais dans le débat public et dans les conversations quotidiennes au travers de leurs actions placées sous le signe de la désobéissance et de la résistance. A commencer par cette grève de la faim initiée en 2021 au moment des élections : le but de cet appel fondateur du mouvement était de faire naître une conversation autour de la catastrophe climatique. Très vite, début 2022, cette grève a évolué vers le blocage de l'autoroute la plus fréquentée d'Allemagne par des personnes qui se revendiquaient sous le nom de « Dernière génération ». De l’autoroute aux oléoducs en passant par les rues de Berlin ou Francfort, les actions multipliées ont donné de l’ampleur et de la voix à ceux qui se battent chaque jour avec la certitude de se faire arrêter : « Nous sommes la dernière génération qui peut encore arrêter l'effondrement de notre société. Face à cette réalité, nous acceptons sans vergogne des amendes élevées, des poursuites pénales et des peines d'emprisonnement. », peut-on lire sur leur site officiel.

 

« Merci de faire ce que vous faites ! Merci de vous battre pour nos enfants ! Je suis de tout cœur avec vous ! » - une mère à vélo-cargo

 

Ce mercredi matin, les huit activistes toujours immobiles savent eux aussi comment l’histoire va se terminer. Mais avant ça, ils disposent d’encore un peu de temps : la colle qui maintient leurs mains au sol doit encore durcir avant que la police ne puisse appliquer le produit qui permettra de les libérer et de les menotter. En attendant, leurs affiches confisquées, ils luttent contre le froid rapidement apaisé par des passants qui viennent leur apporter un café fumant accompagné de messages de soutien. « Merci de faire ce que vous faites ! Merci de vous battre pour nos enfants ! Je suis de tout cœur avec vous ! », crie une mère à vélo-cargo avant de se faire reprendre par deux autres passants vraisemblablement opposés. Parmi la foule passante, le débat est provoqué, les "pour" contre-attaquent les "contre" et au centre, les huit activistes persistent en silence.

 

La police applique un produit afin d'éliminer la colle de leurs mains ©Laura Dubois
La police applique un produit afin d'éliminer la colle des mains des manifestants © LPJ Berlin - Laura Dubois

 

Une fois décollé, la police procède à leur arrestation ©Laura Dubois
Une fois décollé, la police procède à leur arrestation © LPJ Berlin - Laura Dubois

 

Il est presque 11 heures. Un à un, chaque militant est décollé de son emplacement et emmené vers le convoi de police stationné à quelques mètres. Ils auront tenus plus de deux heures sans exprimer la moindre la violence. Durant ce laps de temps, leur immobilisme aura libéré la parole, initié la conversation, fait réfléchir. Après une nuit passée en cellule, ils reviendront le lendemain, à un autre endroit, sur une autre route, motivés par la volonté constante d’un changement radical face à l’urgence climatique.

 

 

©Laura Dubois
Arrestation d'un militant © LPJ Berlin - Laura Dubois

 

 

©Laura Dubois
© LPJ Berlin - Laura Dubois

 

 

 

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